Il ne compte que 9 millions d’habitants et pourtant, ce petit pays du Moyen Orient est devenu en quelques années seulement le berceau d’une créativité débordante.
De la musique en passant par le cinéma et la télévision, Israël a imposé son style et sa vision un peu partout au-delà de ses frontières, faisant de lui un des plus importants exportateurs de contenus dans le monde, à commencer par les séries.
On ne compte plus les excellentes séries dont Israël nous a gratifié ces dernières années: «Shitsel» en 2013, «Fauda» en 2015, «Our Boys» en 2019, ou encore la dernière en date «Losing Alice» sortie en janvier, pour ne citer que quelques exemples. Des programmes tous aussi passionnants les uns que les autres avec en point de mire des personnages troublés, animés par des conflits intérieurs. Et c’est bien grâce à ça que ce bout de terre bordant la Méditerranée a réussi a tirer son épingle du jeu. Alors qu’Israël ne possède ni le budget des productions américaines, ni des têtes d’affiche aussi fameuses que son collègue hollywoodien, ses contenus affolent les friands de récits intimistes le faisant devenir en peu de temps l’un des plus gros exportateurs de séries au monde. Depuis la fameuse série américaine «Homeland», adaptée du programme israélien «Hatufim» créée par Gideon Raff, le pays de l’Oncle Sam, parmi d’autres, n’a cessé de guigner du côté d’Israël, le plaçant ainsi dans son top 3 des exportateurs de contenus ces dix dernières années.
Mais pourquoi tant d’engouement? La raison est peut-être à chercher dans l’écriture subtile des scénaristes israéliens. Toutes les séries issues de leur vivier ont un point commun: des histoires dramatiques et des personnages aux diverses facettes, dont les parcours personnels touchent aux affects et émotions de façon universelle. Sans s’embarrasser du superflu, les auteurs israéliens l’ont bien compris: décrire sans détour l’intime dans ses formes les plus brutes, les failles et les trajectoires sinueuses des personnages en les ancrant dans une réalité conflictuelle spécifique à cette région du monde.
À l’image de la série «Our Boys», les récits imaginés par les scénaristes israéliens prennent corps dans un contexte national particulier d’urgence, le conflit israélo-palestinien en toile de fond, et construisent leurs fictions à travers l’actualité propre à leur pays, jetant un regard singulier sur ce qui les entoure. Si bien que les importateurs de contenus y voient l’opportunité de raconter des récits d’un autre genre en les adaptant à leur sauce. Ainsi, la série à succès «BeTipul» a déjà été adaptée 20 fois à l’international, la dernière version étant la française «En thérapie» racontée sous le spectre des attentats du Bataclan. Succès au rendez-vous pour la mouture française qui cartonne sur Arte, et triomphes en rafale pour les autres adaptations également. Coup de projecteur sur trois d’entre elles qui ont fait mouche récemment.
Le teen drama «Euphoria»
Issue de la collaboration entre HBO et le studio A24, «Euphoria» est adaptée d’une série israélienne du même nom diffusée en 2012, elle-même tirée d’une histoire vraie. « Euphoria » à la sauce américaine a été créée par Sam Levinson et compte dans ses rangs Drake et Future The Prince comme producteurs exécutifs, accompagnés de Ron Leshem et Daphna Levin, les créateurs du programme original israélien. Rue (Zendaya) est une ado élevée au sein de la classe moyenne dans une banlieue américaine typique. Et pourtant, depuis son plus jeune âge elle semble souffrir, selon une thérapeute, de plusieurs maux tels que des troubles obsessionnels compulsifs, bipolarité, déficit de l’attention et anxiété. Rue est une droguée, un rien menteuse et ne compte pas arrêter avec ses addictions.
Tout juste sortie de cure de désintoxication, alors que l’année scolaire débute à peine, elle file se ravitailler chez son dealer. Autour d’elle gravitent des ados, eux aussi perturbés d’une façon ou d’une autre. À commencer par Nate (Jacob Elordi), le beau gosse rustre et violent, ou Jules (Hunter Schafer), la petite nouvelle transgenre. Tous essaient de vivre ou survivre dans des contextes familiaux loin d’être idéaux. Entre quête identitaire, premières amours et prémisses d’une vie sexuelle défigurée par l’omniprésence d’images pornographiques, la drogue, l’alcool et la violence viennent se mêler au jeu et le cocktail est explosif.
Crue et brutale par moments, « Euphoria » dépeint une jeunesse déphasée et débridée, une vision pessimiste mais pas moins réaliste d’une adolescence qui doit livrer bien des luttes avant même d’avoir mis un pied sur le champ de bataille. À contre-courant des programmes d’ados bien rangés, la série dépeint une fresque sombre d’une jeunesse tourmentée et complexe. Au bord de l’implosion, les émotions sont exacerbées. Subtile et trash à la fois, « Euphoria » aborde une multitude de thématiques allant de la transsexualité à la pornographie comme norme, en passant par l’addiction. Autant de thèmes primordiaux abordés frontalement qui doivent être, plus que jamais, traités sans détour.
Alors que la première saison a remporté un franc succès, offrant à son actrice principale Zendaya un Emmy de la meilleure actrice et faisant d’elle la plus jeune lauréate de ce prix, la deuxième saison, dont la production a pris du retard en raison de la pandémie, devrait débarquer ces prochains mois. Cette seconde saison très attendue est précédée de deux épisodes spéciaux diffusés en janvier et se focalisant sur les personnages de Rue et Jules.
L’intimiste «En thérapie»
Adaptation de la série israélienne à succès «BeTipul», créée par Hagai Levi, Nir Bergman et Ori Sivan, et déjà adaptée à la sauce américaine par Rodrigo Garcia pour le compte de HBO sous le nom de «In Treatment», «En thérapie» est la version française imaginée par le duo Nakache- Toledano.
Nous sommes peu après les attentats du Stade de France et du Bataclan perpétrés le 13 novembre 2015. Adel (le génialissime Reda Kateb), Ariane, Léonora, Damien et Camille prennent place chaque semaine sur le canapé du thérapeute Philippe Dayan (Frédéric Pierrot). Ils viennent parler de leurs peurs enfouies. Face au psychanalyste, les patients sont tour à tour agressifs, en colère, pensifs, inquiets, tristes, joyeux. Ascenseur émotionnel tant pour les patients que pour le psychanalyste qui, à travers ses diverses consultations, tente de retrouver du sens dans ce qu’il fait et ce qu’il est. Car, face à cette patiente qui fait un transfert amoureux sur lui, ce flic d’une brigade d’intervention entré dans le Bataclan cette nuit-là, ou encore face à cette ado athlète de haut niveau paumée ou ce couple en pleine crise, le thérapeute se retrouve confronté à ses propres démons et craintes.
Les 35 épisodes de 25 minutes tordent le cou au stéréotype du psychiatre invincible qui a réponse à tout. Philippe Dayan, interprété remarquablement par Frédéric Pierrot, médecin taciturne, est un homme comme les autres, bourré de doutes et figé dans un quotidien qu’il n’arrive plus à comprendre. Dans «En thérapie», c’est tout un pays qui est passé à la loupe. Photographie d’une société française troublée, la série enracine son récit dans le contexte post- attentats de 2015, permettant de mettre habilement en exergue les tensions et traumas de cette population.
Grâce à un casting 5 étoiles, composé notamment de Frédéric Pierrot, Mélanie Thierry, Carole Bouquet, Reda Kateb, Clémence Poésy et la jeune Céleste Brunnquell, la série plonge pudiquement dans l’intimité de quelques personnages. Sans sur-jeu, ni étalage de sentiments, les diverses histoires et leur dimension universelle feront de toute façon écho au vécu d’une large audience. Parce que l’émotion n’est jamais aussi bien traitée que dans la pudeur, «En thérapie» est une jolie réussite à la française.
«Your Honor» ou le cas de conscience
Diffusée sur la chaîne américaine Showtime et disponible sur Sky Show et Canal+, «Your Honor» suit Michael Desiato (Bryan Cranston), un juge respecté, qui tente de rendre justice dans sa ville de la Nouvelle Orléans gangrénée par la corruption. Veuf depuis la mort tragique de sa femme, il essaie de garder la tête hors de l’eau, tout comme son fils Adam (Hunter Doohan), ado asthmatique plutôt effacé. Mais alors qu’Adam se rend dans un quartier sensible de la ville pour y déposer des fleurs en hommage à sa mère, il se retrouve encerclé par une bande de gros bras du quartier.
Effrayé, il quitte les lieux à la hâte à bord de sa voiture. Dans la précipitation, il fait tomber son inhalateur sous le siège passager. En voulant le récupérer, il percute violemment un motard. À terre, ce dernier succombe à ses blessures. Adam terrifié s’enfuit laissant le corps sans vie étalé en pleine rue. À son retour chez lui, il raconte toute l’histoire à son père. Les deux hommes décident d’aller à la police mais une fois au poste, Michael réalise que le jeune motard percuté n’est autre que le fils d’un des plus fameux parrains de la mafia locale. Dès lors, le juge rebrousse chemin et décide d’enterrer cette histoire coûte que coûte afin de protéger son fils.
Après son rôle mythique de Walter White dans «Breaking Bad», Bryan Cranston rempile dans une série sous les traits d’un père tiraillé entre l’amour pour son fils et la justice. Adaptée de la série israélienne «Kvodo», «Your Honor» pose la question délicate: jusqu’où seriez-vous prêt à aller pour votre enfant?
Un rien caricaturale, la série créée par Peter Moffat offre les quelques clichés usuels: une famille blanche aisée à la tête de laquelle un père, homme de loi juste et respecté, et son fils sans histoires, tous deux détruits par la mort de leur femme et maman. Comme si tous ces éléments servaient à légitimer ou, tout du moins, excuser le comportement du fils asthmatique bien comme il faut qui a laissé un corps sans vie étendu en pleine rue. En prenant ses jambes à son cou, le gosse entraîne dans sa chute une multitude de personnes, dommages collatéraux d’une mauvaise appréciation. Dans une ville corrompue jusqu’à l’os où les flics torturent les innocents et où les black kids du ghetto sont les victimes toutes désignées des magouilles et autres règlements de compte, «Your Honor», malgré ses raccourcis faciles, offre quelques bons moments de fulgurance et la joie de retrouver Cranston dans un rôle, certes moins mythique que celui de Walter White, mais qui doit, lui aussi, jongler avec le bien et le mal.