Après avoir étudié à la prestigieuse Central Saint Martins School et reçu une bourse d’études du groupe LVMH, le jeune créateur Benjamin Benmoyal lance son label à partir d’un textile unique, tissé à base de VHS.
Le Roi Lion et Aladin – Le Livre de la jungle ou Mary Poppins pour les moins jeunes – toutes ces histoires sont peut-être tissées au cœur des vêtements de Benjamin Benmoyal. Quinconque né avant 2000 se souvient de la VHS, qu’il nous fallait rembobiner impatiemment avec des crayons de couleurs avant de pouvoir découvrir l’enchantement d’un dessin animé. Matière première du créateur, les bandes magnétiques de ces cassettes tombées dans l’oubli sont recyclées au cœur de robes chatoyantes signées Benjamin Benmoyal. Après six années dans la prestigieuse école de mode Central Saint Martins à Londres, le Franco-Israélien présentait, le 25 février 2020, le premier défilé de son label à la Fashion Week parisienne. Et cette année, sa collection présentée à Fashion Week est juste merveilleuse.
Une vocation révélée pendant son service militaire
Ses parents le destinaient plutôt médecin, ingénieur ou avocat. Mais après trois mois d’études d’ingénieur à la Technion de Tel-Aviv, il quitte tout et part pour l’armée d’Israël dont ses études le dispensaient, contre l’avis familial. En plein conflit syrien, il sert alors pendant quatre années en tant que parachutiste. Si cette expérience est éprouvante, elle est surtout libératrice, et lui révèle une passion profonde d’origine inconnue : la mode. “Ça peut être une coupe, ça peut être un design très simple, un show. Mais je ne pourrais pas expliquer pourquoi. C’est difficile d’expliquer pourquoi on aime quelque chose. C’est comme expliquer pourquoi on aime quelqu’un”. La Central Saint Martins School dans son radar, il soustrait deux heures aux cinq heures de sommeil réglementaires, pour dessiner son portfolio. Complètement séduit par ses tenues néo-militaires, le jury lui offre son ticket doré, et le jeune créateur en herbe s’envole pour Londres.
Voir cette publication sur Instagram
C’est sur les bancs de la Central Saint Martins School que naît l’idée d’un nouveau tissu, dans un amphithéâtre plein de modeux aux looks rocambolesques. Dans ce milieu très préservé et innocent, une sensation de décalage émerge “ Je voulais recouvrer cette naïveté que j’avais perdue à l’armée, par rapport aux autres étudiants. L’école est un monde très fermé, une bulle, et tout le monde vit dans une espèce de conte. Je voulais vraiment faire partie de ces personnes qui n’avaient pas vu la guerre.” Dans la philosophie, il trouve une source d’apaisement : en cours de Cultural Studies (sociologie), il entend parler de deux académiciens — Timotheus Vermeulen et Robin van den Akker — et de leur théorie, la naïveté informée. Mal d’une époque, ce concept désigne la nostalgie d’une innocence perdue face aux guerres, aux crises écologique et économique, que l’on souhaiterait retrouver : exactement ce que ressent le jeune créateur.
La VHS symbole d’une innocence perdue
Lui vient alors l’idée d’un tissu qui serait capable d’évoquer cette nostalgie. Comme un symbole de résilience, il crée un tissage mêlant fils de coton et bandes magnétiques de VHS : “Je trouvais que la cassette regroupait bien tout ça. Et puis dans le tissage en lui-même, il y a cette question futuriste, car le tissage est le premier ordinateur, il a permis de développer le code binaire, le 01.01 des ordinateurs modernes. Donc je trouvais que ça se connectait assez bien entre le moderne et en même temps l’ancien et puis la cassette est quelque chose qui rassemble les deux.” Brillante et réflective, cette étoffe lumineuse, modèle d’un upcycling poétique, est le résultat d’une année d’un travail laborieux pendant laquelle Benjamin Benmoyal expérimente sur un métier à tisser, dans une cave de Peckham, dans le sud de Londres. Fort de ses expériences et munis d’échantillons, il contacte l’atelier français Mahlia Kent, spécialisé dans le tissage d’étoffes pour les maisons de luxe. Séduite par ses arguments, la fondatrice Eve Corrigan accepte de fabriquer son tissu gracieusement pour sa collection de fin d’études.
Une collection soutenue par LVMH et un premier défilé à Paris
En 2019, après six années d’études à Londres, il est temps pour les étudiants en mode de présenter leur collection de fin d’études. Bénéficiaire d’une bourse d’études du groupe LVMH, Benjamin Benmmoyal a su s’entourer de professionnels de la mode qui croient en son projet : le célèbre perruquier du Crazy Horse, Salon Raphaël, lui taille des perruques sur mesure alors qu’Alexandre Capelli, responsable du pôle environnement chez LVMH, soutient son défilé. Après trois mois de confection, Benjamin Benmoyal propose une collection aux couleurs éclatantes, inspirées des palettes chaudes et enveloppantes de l’artiste Olafur Eliasson “Pour cette collection il n’y avait aucune limite dans la création”. Les volumes sont démesurés, entre épaules carrées et rembourrées et longues tuniques coupées en biais. La pièce maîtresse est une longue robe “méduse” faite de plus de 4000 fils de coton encerclant la silhouette. Chatoyantes, ces créations sortent du lot et tapent dans l’œil des investisseurs présents au défilé.
Quelques mois plus tard, dans un atelier parisien du XIIe arrondissement, et présente le 25 février 2020 sa première collection : It Was Better Tomorrow. Dans la lignée théorique de sa collection de fin d’études, son tissu personnel enveloppe les mannequins de robes et combinaisons au tombé pointu, inspirés de l’architecture brutaliste des années 60. À travers le brutalisme, c’est un idéal à la fois futuriste et utopique qui séduit le créateur : “Je voulais des vêtements simples et minimalistes, mais avec un côté architectural qui se révèle dans le tombé.” Les couleurs toujours inspirées d’Olafur Eliasson et de James Turrell, sont néanmoins plus sombres et ces robes s’adressent à une femme “nonchalamment sexy”. Entre upcycling et concept philosophique, ces créations sont le reflet d’une génération angoissée mais tournée vers l’avenir, comme le symbole d’une naïveté finalement retrouvée.