Dans l’Etat d’Israël moderne, il n’existe pas de séparation entre Etat et Religion. Excellente chronique de Daniel Haïk sur I24.
Ruth la Moabite est l’une des principales figures féminines de la Bible. Arrière-grand-mère du roi David, elle est considérée comme la Mère des convertis au judaïsme. Pourtant, si Ruth devait se présenter aujourd’hui devant le Bureau des Conversions du grand rabbinat d’Israël, il est fort probable qu’elle se verrait congédiée sans ménagement par l’un des rabbins orthodoxes en charge.
Et pour cause ! Pour adhérer au peuple juif, Ruth n’avait en effet prononcé qu’une simple phrase : « Ton peuple sera mon peuple, Ton Dieu sera mon Dieu. » En d’autres termes, une conversion comporte deux paliers : le premier, national, et le second, religieux.
Aujourd’hui cependant, 3.000 ans plus tard, le processus imposé par le grand rabbinat d’Israël à ceux qui veulent se convertir s’apparente non seulement à une véritable « Via Dolorosa », mais il ne se réfère qu’au palier religieux ! Le décret qu’a publié la Cour Suprême israélienne ce lundi 1er mars tente ainsi de modifier une situation qui, pour plusieurs centaines de milliers de citoyens israéliens non-juifs, est souvent intolérable.
Avant d’aller plus loin, deux parenthèses historiques s’imposent. Dans l’Etat d’Israël moderne, il n’existe pas de séparation entre Etat et Religion : ces deux paramètres sont imbriqués dans la vie des Israéliens… jusqu’à leur carte d’identité ! Lors de la création du pays en 1948, David Ben Gourion avait en effet concédé aux rabbins orthodoxes, à l’époque ultra-minoritaires, le contrôle des principaux dossiers d’état civil – naissance, mariage et décès. Jusqu’à ce jour, la seule union ainsi reconnue en Israël est le mariage religieux célébré devant un rabbin certifié par le grand rabbinat d’Israël, et ce même si les deux conjoints revendiquent leur laïcité. Fermons cette première parenthèse pour en ouvrir une autre.
Les paradoxes de la loi du Retour
En 1950, la Knesset a voté la fameuse loi du Retour qui accorde automatiquement la nationalité israélienne à tout Juif qui voudrait s’installer en Israël. Au fil des ans, cette loi a provoqué de très vifs débats politiques, juridiques, religieux et sociétaux autour de la question cardinale (si l’on peut dire !) de savoir « qui est Juif ». En 1970, le Parlement israélien a adopté une loi précisant : « Est Juif celui qui est né de mère juive ou qui s’est converti, et qui n’appartient pas à une autre religion. Est Israélien celui qui peut prouver l’existence d’un grand-père juif ».
Pourtant, là encore, la définition de la conversion est trop floue. Au terme de débats supplémentaires, une conclusion a été établie il y a 15 ans posant que les personnes qui se sont converties à l’étranger, y compris dans des communautés non-orthodoxes (libérales ou conservatives), pourraient être reconnues comme citoyens israéliens et bénéficier des avantages de la loi du Retour. En revanche, il a été décidé que ces convertis ne seraient pas reconnus comme Juifs selon la Halacha (la codification juive religieuse) et ne pourraient pas, par exemple, se marier devant un rabbin affilié au grand rabbinat israélien, comme peuvent le faire ceux qui ont fait l’objet d’une conversion orthodoxe à l’étranger.
Le 1er mars dernier, la Cour Suprême israélienne est allée un pas plus loin en décrétant, à une forte majorité, que même les conversions effectuées en Israël par ces courants non-orthodoxes seront reconnues, permettant à ces convertis de bénéficier eux aussi de la nationalité israélienne.
La tempête politico-religieuse provoquée par ce verdict doit donc être replacée dans son contexte : contrairement aux accusations des partis orthodoxes, la Cour ne s’est donc pas immiscée dans un dossier religieux mais elle a statué sur une légifération civile. Et contrairement aux accusations d’activisme juridique visant les juges « suprêmes », la Cour a tranché, ce lundi, sur un dossier qu’elle avait déposé devant l’exécutif il y a près de… 15 ans ! Le problème est que durant cette longue période, les différents gouvernements (essentiellement ceux de Netanyahou) ont toujours refusé de statuer de crainte de se heurter à l’opposition des partis orthodoxes, partenaires incontournables et donc puissants de la coalition gouvernementale.
L’inflexibilité du grand rabbinat
Au cours des 30 dernières années, la question des conversions a souvent fait la une des quotidiens : on considère, en effet, que sur près de 1,2 million de nouveaux immigrants venus de l’ex-URSS, entre 300.000 et 400.000 ne sont pas juifs selon la Halacha. Eux et leurs descendants sont donc Israéliens, mais sans que leur judéité ne soit reconnue. Une situation intenable qui a entraîné des développements dramatiques. On pense notamment aux nombreux soldats de Tsahal issus de l’immigration qui sont tombés au combat lors de campagnes militaires israéliennes, mais qui n’ont pu être inhumés aux côtés de leurs camarades parce que leur judéité n’avait pas été établie.
Au fil des ans, des milliers de demandes de conversions ont été déposées devant le grand rabbinat, seule adresse pour ces immigrants en détresse. Mais l’institution, représentante d’un judaïsme non-prosélyte, a toujours refusé d’assouplir ses critères rigoureux d’admission au sein du peuple juif (études prolongées ou encore engagement à respecter scrupuleusement les lois de la Torah) et même pire : elle les a durcis.
Pour tenter de solutionner ce dossier brûlant, l’Etat a initié une démarche importante en créant au début des années 2000, un tribunal rabbinique qui convertissait plus « facilement » les Israéliens non-juifs. Mais celui-ci s’est heurté à l’opposition des rabbins orthodoxes qui ont de facto annulé les conversions effectuées par ce forum. Plus près de nous, l’ancien ministre Moché Nissim, lui-même fils d’un ancien grand rabbin sépharade d’Israël, a recommandé la création de tribunaux rabbiniques municipaux qui pourraient accélérer la procédure de conversion des Israéliens résidant dans ces villes. Là encore, ces recommandations sont restées lettre morte en raison de l’opposition du grand rabbinat d’Israël. Idem, enfin, pour le tribunal du rabbin Haim Amsellem qui fait reposer ses décisions sur les enseignements d’ouverture des rabbins d’Afrique du Nord….
De manière paradoxale, c’est cette opposition farouche des instances rabbiniques officielles qui a conduit la Cour suprême à descendre dans l’arène. Avec le recul du temps, il ne fait aucun doute que si les grands rabbins d’Israël avaient accepté de cautionner ces tribunaux religieux plus « tolérants », ils n’auraient pas eu à faire face à une forme de légitimation des tribunaux des mouvements libéraux et conservatives qu’ils condamnent de toutes leurs forces. Qui sème le vent, récolte la tempête…