La découverte en Israël de l’usage liturgique du cannabis dans un sanctuaire vieux de 2 800 ans a relancé l’intérêt pour la consommation des stupéfiants au Moyen-Orient dès l’Antiquité.
Des archéologues israéliens ont récemment identifié des traces de cannabinoïdes (THC, CBD et CBN) sur un des deux autels du sanctuaire central de Tel Arad. Cette forteresse de l’âge de fer marquait, dans le désert du Néguev, la frontière sud du royaume de Juda. Le sanctuaire, actif de 760 à 715 avant notre ère, a été fouillé de 1962 à 1967, avant d’être transféré au Musée d’Israël, à Jérusalem. C’est là que les avancées technologiques ont permis, en 2020, de repérer les substances hallucinogènes qui, au même titre que l’encens et mélangées à des graisses animales, étaient brûlées au cours de cérémonies rituelles. Cette découverte a relancé les recherches et les controverses sur l’usage liturgique ou thérapeutique des stupéfiants dans l’Antiquité au Moyen-Orient.
L’opium médicinal
Le site d’Ebla, dans le nord-ouest de la Syrie, correspond à la capitale d’un royaume datant de 2450 à 2300 avant notre ère. Les fouilles de la cuisine du palais royal y ont identifié, aux côtés d’autres plantes médicinales, des résidus d’opium, même si un des spécialistes du site n’exclut pas une utilisation parallèle pour des cérémonies religieuses. Le traité médical connu sous le nom de « papyrus Ebers », rédigé à Thèbes vers 1500 avant notre ère, mentionne les vertus sédatives de l’opium, notamment pour « éviter les pleurs excessifs des enfants » (sic). Des jarres en forme de graine de pavot, élaborées à Chypre à une époque comparable, ont révélé des traces d’opium et ont été retrouvées en Egypte et au Levant. Il s’agissait à l’évidence de produits de prix, aux vertus avant tout thérapeutiques, même si leurs potentialités hallucinogènes ne pouvaient être ignorées.
Les magnifiques bas-reliefs assyriens de Khorsabad, conservés au Musée du Louvre, proviennent du palais de Sargon, au pouvoir de 722 à 705 avant notre ère. Un dignitaire y est représenté portant, en offrande, une plante qui a longtemps été assimilée à la grenade, avant d’être, au XXᵉ siècle, identifiée au pavot. Des bas-reliefs similaires, avec rameau à trois fruits, sont visibles au British Museum et au Musée Art et Histoire de Bruxelles. Un sceau assyrien de la même époque figure une capsule de pavot surmontée de trois folioles. Mais les spécialistes de la Mésopotamie antique restent profondément divisés entre ceux qui nient toute mention de l’opium dans les textes cunéiformes et ceux qui l’associent à « l’herbe de la joie » des inscription sumériennes, il y a déjà plus de cinq mille ans. En revanche, les techniques d’extraction de l’opium à partir du pavot semblent avoir été maîtrisées dans tout le Moyen-Orient.
Des drogues récréatives ?
Le cannabis est également mentionné dans le « papyrus Ebers » pour ses propriétés anti-inflammatoires. Cette plante était aussi utilisée dans l’Egypte ancienne pour le traitement du glaucome ou la régulation du cycle menstruel. Mais l’intérêt du chanvre résidait surtout dans sa fibre, plus solide que le coton ou le lin, d’où son usage pour les cordes, les panneaux ou les étoffes. Cela pourrait expliquer les traces de cannabis relevées, avec une vingtaine d’autres plantes, dans la momie du pharaon Ramsès II, mort en 1213 avant notre ère. Par ailleurs, la présence de haschich dans d’autres momies égyptiennes a pu être attribuée à une contamination postérieure par des consommateurs de cannabis. Rien ne permet non plus d’affirmer que le qunabu assyrien, apparemment brûlé dans des cérémonies rituelles, ait la moindre relation avec le chanvre, dénommé kannavis en grec, puis cannabis en latin.
C’est bien plutôt du peuple indo-européen des Scythes, dont Hérodote décrit, au Vᵉ siècle avant notre ère, les bains enfumés de cannabis, que proviennent à la fois l’étymologie de ce psychotrope et les premiers témoignages sur son usage récréatif. D’où l’importance de la découverte israélienne de Tel Arad, qui associe pour la première fois le cannabis, y compris son principe actif et hallucinogène, le THC, à un site du Moyen-Orient antique. D’autres analyses de résidus organiques, rendues possibles par l’avancement des technologies de recherche, ouvriront peut-être de nouvelles pistes. Il est néanmoins pour l’heure impossible d’aller au-delà des quelques recensions mentionnées ci-dessus et de prendre la mesure de la diffusion des stupéfiants dans les élites ou la population de ces différentes époques.
Des spéculations qui prolifèrent aujourd’hui sur les réseaux sociaux accréditent pourtant le mythe d’un Moyen-Orient massivement converti aux paradis artificiels depuis l’Antiquité. De telles divagations, une fois encore, nous en apprennent plus sur ceux qui les colportent que sur la réalité historique qu’ils invoquent sans fondement.
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