Depuis fin décembre, Israël et le Maroc ont rétabli leurs relations diplomatiques. Ce rapprochement est l’aboutissement d’un long travail en coulisses de la petite communauté juive marocaine pour réconcilier une double identité millénaire.
Ce soir du 22 décembre 2020, au palais royal de Rabat, la silhouette élancée de Jared Kushner, le gendre et conseiller de Donald Trump, n’a pas retenu l’attention habituelle des photographes. Les regards étaient tournés vers un homme de 54 ans, petit, un peu tassé, qui se trouvait juste derrière lui : Meir Ben-Shabbat, conseiller à la sécurité nationale israélien, venu de Tel-Aviv avec la délégation américaine pour inaugurer la reprise officielle des relations entre le Maroc et Israël, après vingt ans de brouille diplomatique.
L’émissaire de Benyamin Nétanyahou s’est incliné face au roi Mohammed VI, main sur le cœur, kippa sur la tête, avant de lâcher : « Longue vie à mon souverain. » Sous les regards stupéfaits de la petite assistance, il a prononcé la formule dans une darija (arabe dialectal marocain) réservée d’ordinaire aux adeptes d’un protocole royal rigoureux, hermétique aux Occidentaux. « Les Américains sont restés plantés là, sans comprendre ce qui se passait. L’allocution de Ben-Shabbat a fait remonter deux mille ans d’héritage judéo-marocain dont les enjeux dépassent le plan de paix de Trump au Proche-Orient », confie un proche du cercle royal.
Des décennies de tractations acharnées
Douze jours plus tôt, le royaume chérifien avait annoncé la reprise des relations avec Israël, en échange de la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et dans la foulée de la normalisation des liens avec l’Etat hébreu entreprise par les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan. « Mais le Maroc n’est ni une pétromonarchie sous pression, ni un Etat aux abois. Notre réconciliation est fondée sur une histoire vraie, qui n’est pas préfabriquée », martèle-t-on à Rabat.
Pour les officiels marocains, cette décision est la consécration de plusieurs décennies de tractations acharnées en coulisses et de tentatives de réhabilitation de la mémoire judéo-marocaine que l’histoire récente a failli balayer. Même si les relations avec l’Etat hébreu n’ont jamais véritablement cessé, le royaume avait fermé ses bureaux de liaison à Tel-Aviv après la seconde Intifada, en 2000. « Le Maroc a toujours maintenu une certaine ambiguïté en ne coupant jamais complètement les ponts avec Israël, tout en défendant la cause palestinienne. C’est sur cette communauté, sur cette histoire forte, que tout repose », murmure un témoin.
En s’adressant au souverain en darija, Meir Ben-Shabbat, dont les parents sont nés au Maroc, a envoyé un message fort à plus d’un million de juifs d’origine marocaine vivant aujourd’hui principalement en Israël, mais aussi en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, et qui restent profondément attachés à leurs racines marocaines. D’Ashdod à Montréal, ils ont chanté, pleuré, organisé des fêtes pour célébrer la réconciliation tant attendue, parfois par visioconférence avec leurs familles restées au Maroc, où quelque 3 000 juifs résident toujours.
Une première vague au Ve siècle avant J.-C.
A Casablanca, le souvenir de cette soirée de décembre fait fondre en larmes Fanny Mergui. « Si je suis émue, imaginez les centaines de milliers de gens qui ont quitté le Maroc du jour au lendemain et qui ont transmis cette frustration à leurs enfants. Les blessures du passé, de l’exil, de l’errance, vont être pansées », assure cette figure de la communauté, 76 ans, cheveux blancs coupés court, attablée dans un café du quartier Maarif. « Pendant longtemps, on ne s’est pas intéressé à nous. » Elle allume une cigarette mentholée et commande un thé sucré.
« Nous », c’est cette communauté juive enracinée dans cette terre avant même les Arabes et l’islam. Les spécialistes de l’histoire du judaïsme marocain situent la première vague d’arrivée au Ve siècle avant Jésus-Christ, après la première puis la seconde destruction du temple de Jérusalem, vague qui entraîne la judaïsation de populations autochtones berbères. Puis une seconde, au XVe siècle, avec l’arrivée des juifs expulsés d’Andalousie à la fin de la Reconquista espagnole.
« Nous sommes marocains », insiste Fanny Mergui, qui a grandi dans les « belles années », celles où l’on ne se posait pas la question. A sa naissance, en 1944, le Maroc, sous protectorat français depuis 1912, comptait 300 000 juifs pour 7 millions d’habitants. Il n’y avait pas de ghettos mais des mellah, des quartiers juifs, souvent pauvres, où ils vivaient aux côtés des musulmans. Certains s’étaient fait une place dans les cercles du pouvoir. A la cour des palais, on croisait des juifs tujjar al-sultan (négociants du roi), conseillers, tailleurs ou coiffeurs de père en fils. L’histoire du judaïsme marocain compte des pages noires, mais pas de pogroms. En 1940, le sultan Mohammed V s’était fermement opposé à l’application de la législation antijuive de Vichy, donnant à ses « sujets » juifs un statut juridique d’égalité avec les musulmans.
Plus que quelques dizaines de milliers dans les années 1960
Fanny Mergui poursuit une scolarité tranquille dans une école de la puissante Alliance israélite universelle, fondée à Paris. « On nous disait à l’école que la France était notre pays, on a commencé à avoir honte de parler arabe. » Son monde est bouleversé par la création de l’Etat d’Israël, en 1948, puis par l’indépendance du Maroc, en 1956, et, enfin, par la mort du sultan « protecteur des juifs », cinq ans plus tard, autant d’événements qui provoquent à chaque fois l’exode des juifs.
En 1967, ils ne sont plus que quelques dizaines de milliers dans le pays. « Mon enfance a été rythmée par les départs. J’accompagnais mes amis jusqu’au bateau. Je me souviens encore de ces femmes bien portantes qui couraient dans la rue en disant qu’elles allaient sur la Terre promise, là où coulait le miel, vivant leur rêve messianique », dit Fanny Mergui, ses yeux sombres pleins de larmes.
Des familles résistent, fidèles à leur patrie, mais se font discrètes. « Le contexte politique local et la montée du nationalisme panarabe ont commencé à nous faire peur. Il y a eu quelques juifs dans le mouvement indépendantiste marocain, mais ils ne se sont jamais adressés à la communauté ni n’ont revendiqué leur judéité. Certes, nous étions marocains, mais nous vivions principalement comme des êtres juifs. A l’époque, les seuls qui nous ont tendu la main, ce sont les agents sionistes. » Ces derniers, envoyés au Maroc dès 1947 par l’Agence juive (organisation sioniste créée en 1929), avec l’aide du Mossad, pour recruter des candidats au peuplement du nouvel Etat d’Israël, parcourent le pays pendant des années, répandant la propagande sioniste des montagnes de l’Atlas jusqu’aux mellah des grandes villes, où ils investissent les instances de la communauté.
Les samedis après-midi, Fanny Mergui, jeune scoute révoltée, se rend aux réunions du centre culturel de l’ancienne médina de Casablanca. Là, les « cow-boys de l’alya [acte d’immigration en Israël pour un juif] », comme elle les appelle, la convainquent de rejoindre les pionniers de l’Etat hébreu. Enrôlée dans les jeunesses sionistes, elle quitte le Maroc seule à l’âge de 16 ans, blottie dans la cale d’un bateau, un des derniers de cette vague d’émigration clandestine dont le périple s’achève parfois tragiquement, comme en 1961, lorsque le chalutier Pisces sombre avec ses 44 passagers. Jusqu’alors, le pouvoir marocain, qui ne reconnaissait pas Israël, s’était officiellement opposé au départ des juifs.
« Le temps de l’absence »
Vint alors le temps de l’absence, comme aime à le définir Kamal Hachkar. Ce cinéaste franco-marocain de 43 ans, ancien professeur d’histoire, a réalisé en 2012 un documentaire révélant la longue cohabitation qui a uni juifs et musulmans, Tinghir-Jérusalem, les échos du mellah. « Je suis allé en Israël pour chercher les juifs de mon village berbère natal, ceux du Maroc profond. On m’a traité de fou, mais je les ai retrouvés ! » Dans le royaume gouverné pour la première fois par un parti islamiste, porté au pouvoir un an plus tôt, le film provoque une tempête.
Kamal Hachkar, de parents musulmans, est traité de sioniste et soupçonné d’être un agent du Mossad. « Je ne mesurais pas que je brisais un tabou. Mais, en même temps, le public était fasciné par ces juifs du terroir, profondément marocains. Ces gens-là sont partis du jour au lendemain, arrachés à leur patrie. Certains ne s’en sont jamais remis. Jusqu’à aujourd’hui, en Israël, ils parlent darija, jouent du bendir, déclament des chants poétiques berbères. » Au Maroc, dans ces lieux abandonnés, un silence profond s’est installé. « Leurs voisins musulmans disaient : ils sont partis “là-bas”, puis se taisaient », poursuit Kamal Hachkar.
Ainsi, les juifs avaient disparu. « Pourtant, nous sommes toujours là ! », lance Serge Berdugo, secrétaire général du Conseil des communautés israélites du Maroc et ambassadeur itinérant du royaume, assis dans son salon de Casablanca. « L’annonce de la reprise des relations diplomatiques, en décembre, est l’aboutissement d’un long processus auquel nous avons participé », rappelle celui qui fut ministre du tourisme sous Hassan II. A 83 ans, ce fils de Meknès parfois éruptif, né dans un quartier musulman, est une des chevilles ouvrières du récent accord entre le Maroc et Israël, dont les racines plongent au temps des départs.
Rapprocher Israël des pays arabes
Car le chemin fut long pour réconcilier les mémoires. A la fin des années 1960, alors que l’exode menace de mettre un terme à des siècles de cohabitation, cette famille proche du pouvoir marocain refuse de quitter son pays. « Nous nous sommes dit : si on reste, il faut devenir une force vive, pas un épiphénomène. Nous avons recréé l’identité communautaire à partir des années 1970 et retissé les liens avec la diaspora, pour que les absents retrouvent une présence et empêcher ce qui aurait pu être une extinction par inadvertance, confie Serge Berdugo. Il ne faut pas oublier que c’est au Maroc que les grandes décisions sur la Palestine ont été prises. »
Dans les années 1970 s’engage en effet une série de négociations, mi-secrètes, mi-publiques, pour rapprocher Israël des pays arabes. Le Maroc, qui n’a cessé de vouloir jouer les médiateurs dans la crise au Proche-Orient, s’appuie sur la communauté juive pour organiser des rencontres entre responsables palestiniens et israéliens. En 1986, la visite de Shimon Pérès au Maroc est préparée par des personnalités israéliennes d’origine marocaine et par des juifs marocains.
« A l’appel de la “marche verte” [organisée par le roi en 1975 pour récupérer une partie du Sahara espagnol], où de nombreux juifs se sont portés volontaires, nous avons offert nos services à Hassan II. Celui-ci nous a dit : “Merci, mais votre place est ailleurs. Vous devez aller expliquer à vos amis la démarche marocaine au Sahara.” Quatre jours plus tard, nous sommes partis en mission en France, aux Etats-Unis et au Canada », raconte Serge Berdugo. Il rencontre Yasser Arafat à plusieurs reprises. « Arafat lui-même a demandé à Hassan II de faire en sorte que les juifs marocains reprennent contact avec leurs coreligionnaires en Israël, car il pensait qu’il fallait retisser les liens pour rétablir la paix dans la région. » Les juifs expatriés en Israël ont ainsi toujours pu conserver leur nationalité marocaine.
S’appuyer sur la diaspora
Tout au long de son règne, Hassan II continuera ainsi de s’appuyer sur la communauté juive. Là où elle est présente, la diaspora se dote d’associations locales. Ses représentants sont régulièrement invités aux réceptions organisées par les ambassades du Maroc. En 1995, le roi en personne leur rend visite à New York. Les Marocains y ont tissé des liens avec les lobbys pro-israéliens comme l’American Jewish Committee (AJC) et l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), des réseaux très écoutés à Washington. Ce soir de 1995, à l’Hôtel Plaza, sur la Ve Avenue, Hassan II fait passer le message en darija : « N’oubliez pas d’où vous venez ! »
Où qu’ils soient, ils n’ont pas oublié. Léa Cohen fronce les sourcils : comment pourraient-ils oublier la terre mystique de leurs ancêtres, de leurs saints vénérés ? Venue d’Ashdod, en Israël, pour rendre visite à sa famille restée au Maroc, elle s’installe sur un banc face au tombeau du grand rabbin kabbaliste Haïm Pinto, mort au XIXe siècle et enterré dans le cimetière juif de Mogador, l’ancien nom d’Essaouira. Dans cette cité qui comptait alors plus de juifs que de musulmans, Haïm Pinto aurait accompli de grands miracles.
Chaque année, en septembre, quelque 1 800 pèlerins viennent se recueillir sur le mausolée jaune et bleu, situé en bord de mer. Lors de ces hiloula qui attirent annuellement 40 000 juifs venus d’Israël, d’Europe ou d’Amérique, les retrouvailles réconcilient les mémoires. « Il n’y a pas que des séfarades, raconte Tarik Otmani, président de l’association Essaouira-Mogador, qui œuvre pour la sauvegarde du patrimoine culturel et historique. Nous voyons de plus en plus d’ashkénazes dont l’histoire a été effacée en Europe et qui retrouvent des traces de leur mémoire en Afrique du Nord. »
Une renaissance pour la communauté
La famille de Jared Kushner s’est elle-même recueillie ici il y a deux ans, guidée par le grand rabbin marocain David Pinto, descendant de Haïm. Installé entre Israël et New York, le rabbin Pinto est un proche de la famille Trump. C’est lui qui a accompagné le conseiller de l’ancien président américain lors de sa première visite officielle au Maroc, en 2019, au cours de laquelle l’accord de normalisation a été amorcé. « Ce sont des orthodoxes à l’américaine, traditionnellement éloignés de la culture séfarade. Mais les liens préétablis aux Etats-Unis grâce à la diaspora ont facilité la mise en relation avec l’équipe de Trump, qui ne connaissait rien du Maroc », souffle un diplomate.
Quelques semaines après la signature de l’accord, les deux Etats ont annoncé en ce début d’année à tour de rôle la réouverture d’une mission diplomatique sur chacun de leur territoire. Et pour la première fois dans l’histoire, les citoyens israéliens vont pouvoir emprunter des vols directs pour se rendre au Maroc. « Un miracle ! », se réjouit Léa Cohen, qui a dû faire une escale en Turquie au cours de son dernier voyage. Elle est originaire de Taroudant, dans le sud-ouest du royaume, où sa famille, descendante d’un grand rabbin mort il y a trois cent cinquante ans, organise une hiloula chaque décembre. « J’ai quitté le Maroc à 25 ans pour aller vivre à Ashdod. Là-bas, il y a beaucoup de Marocains. Nous avons gardé notre culture. Au marché, on ne parle qu’en darija, lance-t-elle fièrement. La réconciliation, c’est une fête, une renaissance pour nous. »
Dans le royaume aussi, la communauté, réduite à quelque 3 000 âmes, tente de renaître. La grande majorité vit à Casablanca, très soudée. À la synagogue, dans les commerces casher ou les clubs communautaires, tout le monde se connaît. Si bien qu’elle a été particulièrement endeuillée par la pandémie du Covid-19. « Nous vivons en paix, mais en quelque sorte dans un entre-soi », reconnaît le rabbin-juge Joseph Israël, président de la chambre hébraïque du tribunal de Casablanca, héritière du tribunal rabbinique marocain, une institution qui, en dehors d’Israël, n’existe nulle part ailleurs. Ses sept rabbins-juges, fonctionnaires du ministère de la justice, sont chargés des questions liées au mariage, au divorce et à l’héritage des Marocains de confession juive. « Aujourd’hui, les juifs qui partent sont surtout des jeunes qui veulent vivre à l’étranger ou se marier. Dans une communauté aussi vieillissante, comment trouver sa moitié ? observe le juge, un sourire en coin. Peut-être qu’avec les récentes annonces certains voudront revenir… »
Le fil perdu de la mémoire oubliée
Grâce à des donations étrangères, les anciens tentent de faire subsister quelques écoles hébraïques. « Il y a eu des moments difficiles », reconnaît Jacquy Sebag, administrateur de l’école Neve Shalom, créée il y a soixante-dix ans. Pour accéder à cet établissement de 105 élèves, qui abrite une jolie synagogue derrière une cour ensoleillée, il faut passer la barrière d’une impasse, gardée par deux policiers. Ici, les lieux juifs sont discrets et protégés par les autorités.
La seconde Intifada a renforcé l’adhésion à la cause palestinienne au Maroc et, malgré le soutien indéfectible du palais envers la communauté juive, des sentiments antisémites ont refait surface, en particulier dans la mouvance islamiste. Des centaines de juifs ont alors quitté le pays, laissant derrière eux une communauté affaiblie. « La perception du juif a changé, surtout chez les jeunes. Ils n’ont pas connu le temps des juifs du Maroc. Mais tout cela va changer », espère Jacquy Sebag.
C’est sans doute la dernière bataille pour achever ce long processus de réconciliation : reprendre le fil perdu de la mémoire oubliée. Un homme en est le gardien. A 79 ans, André Azoulay s’estime chanceux d’être là pour voir son rêve se réaliser. « Je suis fasciné par la résilience et le mystère de ce judaïsme marocain. C’est incroyable de voir comment des générations ont perpétué cet ADN alors que tout a été fait pour leur faire oublier cette identité, en particulier en Israël, où elles ont été ostracisées », glisse d’une voix délicate l’homme aux yeux bleus perçants. Dans l’Etat hébreu, les immigrants marocains ont longtemps été stigmatisés par l’establishment ashkénaze. « Il n’était pas bon de dire qu’on venait du Maroc », témoigne Fanny Mergui, qui a été représentante en France du mouvement des Panthères noires, créé en 1971 en Israël pour dénoncer la discrimination ethnique des juifs orientaux.
Préserver l’héritage de ce passé judéo-musulman
Depuis plus de quarante ans, André Azoulay lutte pour préserver l’héritage fragile de ce passé que l’on préfère souvent taire. Pour l’ancien banquier parisien devenu conseiller emblématique de Hassan II puis de Mohammed VI, la réconciliation doit passer par l’éducation, la connaissance de l’histoire, le dialogue. Par la musique aussi. A Essaouira, sa ville natale, sa muse, le Festival des Andalousies atlantiques repousse depuis plus de quinze ans les barrières que tout le monde pensait infranchissables. Sur scène, juifs et musulmans se confondent. « Parfois, on entendait des chants dans une ruelle. On ne savait pas s’ils provenaient d’une zaouïa [lieu de culte musulman soufi] ou d’une synagogue », raconte l’élégant conseiller.
Depuis quelques années, l’ancienne Mogador voit son héritage judéo-musulman renaître de ses cendres. Les synagogues laissées à l’abandon sont réhabilitées, l’ancien mellah en ruine rénové. Dans les dédales d’Essaouira résonne l’écho du passé. On y voit des étoiles de David gravées au-dessus de la porte de certaines maisons. En observant de plus près, on y trouve des inscriptions hébraïques indiquant une synagogue familiale, parmi les 37 que comptait la cité. Mais il n’y a plus personne pour prier. Sauf à Bayt Dakira, où des visiteurs de passage psalmodient à voix basse dans une petite synagogue entièrement rénovée. Cette « maison de la mémoire » aménagée dans l’ancienne demeure d’une famille de commerçants est le plus grand projet mémoriel d’André Azoulay. L’année dernière, elle a été inaugurée par Mohammed VI en personne.
Comme son père et son grand-père, le roi a un statut de protecteur de la communauté. Ces dernières années, il a permis la rénovation d’une vingtaine de synagogues et de plus de 14 000 tombes dans les cimetières juifs oubliés. Aujourd’hui, la Constitution marocaine reconnaît la part de son héritage hébraïque, qui sera enseigné dans les écoles publiques dès l’année prochaine. Ainsi le Maroc se réapproprie-t-il son histoire et les juifs, leur « marocanité », dit Fanny Mergui. Comme une poignée d’autres, elle a fait le chemin inverse en revenant dans son pays natal, il y a presque trente ans. Sous le soleil d’hiver, sur la terrasse d’un café casablancais, elle sourit. Elle a trouvé la paix.