L’affaire Ilan Halimi est emblématique du nouvel antisémitisme, nourri d’islamisme, qui n’a fait que se développer depuis lors en France et qui menace la cohésion nationale, souligne l’enseignante et essayiste.
C’était il y a quinze ans, le 13 février 2006, à vingt-trois ans il rendait son dernier souffle dans l’ambulance, après vingt-six jours de séquestration et de tortures dans une cave de Bagneux. De près ou de loin, plus d’une vingtaine d’individus ont participé au crime, beaucoup d’entre eux se défaussant sur les «chefs», certains en récusant le caractère antijuif. Ilan Halimi aurait 38 ans aujourd’hui s’il n’était pas tombé dans le piège tendu par Youssouf Fofana et ses proches lieutenants, Samir Aït Abdelmalek et Jean-Christophe Soumbou Ces deux-là chargés de la séquestration et des violences, furent les recruteurs, à Bagneux et Bobigny, des «petites mains» du crime. Chacune de ces mains est couverte du sang d’Ilan. Ce 13 février 2021, à l’exception de Fofana, tous sont libres.
La majorité d’entre eux a bénéficié de libérations conditionnelles, quelques-uns avec l’appui d’élus locaux très soucieux de leur réinsertion. Certaines «petites mains» ont, depuis, fait l’objet de nouvelles condamnations pour faits de violence, écopant de quelques mois de prison ou d’amendes. La famille d’Ilan est condamnée à perpétuité à la souffrance d’avoir perdu, dans de telles circonstances, leur fils, leur frère.
Avant Ilan Halimi, il y eut Sébastien Selam, assassiné à Paris en novembre 2003 par son copain d’enfance et voisin qui se vanta d’avoir «tué un Juif» s’assurant donc «le paradis» ; c’est «Allah qui l’a voulu» déclara-t-il aux policiers. Il bénéficia d’un non-lieu pour abolition du discernement. Cette affaire criminelle, et toutes celles qui suivirent – sans exception – s’inscrivent dans un contexte, aujourd’hui bien connu, celui d’un antisémitisme nourri d’islamisme et de ressentiment des prétendus «opprimés» de banlieues.
En 2002, nous en avions collectivement décrit les expressions dans Les Territoires perdus de la République, à l’instar de Pierre-André Taguieff dans La Nouvelle Judéophobie, la même année. Aux menaces et violences exercées dès la fin des années 1990 contre des Français juifs résidant dans nos cités de banlieue (qui finiront par quitter écoles et domiciles dans une sorte de nettoyage ethnique à bas bruit), ont succédé homicides et attentats au cours des années 2000.
Ilan Halimi est une victime emblématique car il fut le premier à être ciblé par des inconnus et massacré parce que juif. Le mobile crapuleux de la demande de rançon, s’il existe, ne saurait en effet dissimuler le caractère antisémite de l’acharnement contre Ilan. Les conditions de sa détention, les tortures infligées, les actes qui ont conduit à sa mort, tout transpire la fureur antijuive. Les documents salafistes et propalestiniens trouvés pendant les perquisitions viendront le confirmer.
Contre cet antisémitisme-là, contre l’islamisme qui le nourrit, contre le fléau de la délinquance juvénile, contre le glissement de nombreux délinquants vers le djihadisme (à l’instar des Merah, Kouachi, Coulibaly, etc.), contre les carences éducatives parentales, contre les insuffisances d’une école-garderie sans ambition: quelles politiques publiques d’ampleur ont été conduites depuis vingt ans? À l’heure des constats mi-guerriers mi-pleurnichards de certains élus, et des lois inutiles pour «renforcer des principes» que nos dirigeants piétinent depuis des décennies, on constate que rien ne combat tous ces maux qui participent, davantage qu’à l’ensauvagement, à la minutieuse destruction de notre société.
Les millions d’euros de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ou l’argent public dévoyé dans le clientélisme associatif, permettant aux «grands frères» de poursuivre leurs business en accord avec des édiles locaux, ont-ils rendu la vie plus sereine pour tous les habitants de ces quartiers? Ceux qui se gargarisent à longueur de tribunes et de débats de «mixité sociale», là où il n’en existe plus depuis vingt ans, ont-ils l’intention de déménager à Clichy-sous-Bois ou de scolariser leur progéniture à l’école publique du Mirail?
La France n’est pas une nation fondée sur l’ethnicité. L’histoire de sa construction nationale, monarchique puis républicaine, le démontre. Mais aujourd’hui, des racialistes et leurs idiots utiles «non racisés» pétris de mauvaise conscience, racontent à une jeunesse déculturée le nouveau roman post-national: le «roman des minorités», opprimées de tout temps par une majorité fantasmée répondant au terme générique de «Français». Or dans ce roman racialiste, le Juif tient une place significative: adoré s’il récuse sa francité, haï s’il l’affirme. Après les tentatives de l’extrême droite (Drumont à la fin du XIXe siècle puis la législation antijuive de Vichy), c’est l’antiracisme des années 1980-1990 qui – paradoxalement – contribua à fragiliser la place des Français juifs dans le récit national. Le sociologue Paul Yonnet l’a montré dans Voyage au centre du malaise français (1993): invoquant la mémoire tragique de l’épisode vichyste, une nouvelle doxa antiraciste décréta à cette époque que le Français juif devait rompre avec son attachement à l’identité nationale. Le Français juif devait se concevoir comme Juif français. Il donnerait l’exemple aux autres minorités, dites opprimées. Les minorités bâtiraient cette France post-nationale du «vivre ensemble». Et le peuple français deviendrait une addition de communautés comme le slogan «Black Blanc Beur» tenta de l’incarner.
Cependant, les Français juifs ont résisté à ce piège. Une minorité a choisi d’émigrer vers Israël, en raison de la montée, en France, d’un antisémitisme nourri d’islamisme ou par quête d’une identité nationale à la fois nouvelle et ancienne. Mais la majorité est demeurée en France tout en cultivant une profonde tristesse de voir notre pays sombrer dans la «honte de soi». Entre-temps, à force de convoquer la race plutôt que les conditions socioculturelles pour dénoncer les discriminations, l’antiracisme a opéré un glissement vers le racialisme, et parfois le racisme.
Ici, un signe devrait inquiéter chaque Français: la quasi-totalité des victimes de crimes et attentats commis contre des Français juifs depuis Ilan Halimi est enterrée en Israël. Leurs familles y cherchaient, pour le repos éternel de leurs enfants, une sérénité et une sécurité perdues en France.