Politique vaccinale israélienne ou émirienne : ces exemples sont-ils transposables à la France ? L’édito de Michel Taube.
Depuis le début de la campagne de vaccination contre la Covid-19, les médias n’ont cesse de mettre en exergue la performance d’Israël, dont 63 % de la population a déjà reçu une première dose (à peine plus de 3 % en France). Son nouvel allié, les Émirats arabes unis, dont le savoir-faire logistique est réputé, occupe la seconde place avec 41 %, suivi du Royaume-Uni avec 18 %, des États-Unis avec 12 %, de Bahreïn (autre nouvel allié d’Israël) avec 11 %. Tous ces chiffres sont arrondis à l’entier le plus proche.
L’Europe, en particulier l’Union européenne, est à la traine, et en son sein, la France est toujours en queue de peloton, l’implacable réalité chiffrée étant en singulier décalage avec les incessantes fanfaronnades gouvernementales. Hélas, les pays plus pauvres, ceux d’Afrique en particulier, sont encore plus mal lotis. Pour la suite, surtout s’il faut se faire vacciner régulièrement du fait des mutations du virus, il faudra peut-être forcer la main aux laboratoires pour qu’ils réduisent significativement leurs marges. Face à un fléau mondial, les vaccins anti-Covid devraient même devenir des génériques, comme nous le demandions il y a déjà quelques semaines.
Emmanuel Macron, Jean Castex et Olivier Véran nous ont dit qu’on allait voir ce qu’on allait voir, mais quand on examine les statistiques des vaccinations par jour, non pas en chiffres bruts, mais en proportion de la population, on voit que la France est toujours proche du bonnet d’âne européen. Mais cette fois, c’est promis : tout va changer avec l’arrivée du vaccin AstraZeneca, certes insuffisamment efficace pour les plus de 65 ans, voire les plus de 55 ans. Et si ça ne suffit pas, on pourrait peut-être même lorgner sur Spoutnik V, le vaccin russe, et oublier le comportement de l’autocrate Poutine à l’égard de ses opposants, et se souvenir que la Russie n’a en fait jamais été véritablement démocratique. Après tout, on fricote avec tant d’autocrates (ah nos chers amis saoudiens, qataris, émiriens…), sans parler de nos grands amis chinois, qu’on peut bien faire une courbette à Vladimir pour un petit tour en Spoutnik !
Israël, donc, tout comme les E.A.U., et dans une moindre mesure les Anglais et les Américains, vaccine à tour de bras. Et pas nous. Avec une vaccination vraiment massive, Israël est à cet égard un laboratoire grandeur nature.
La première différence entre Israël et la France, ou plutôt l’Union européenne réside dans l’approvisionnement en doses vaccinales. D’abord, les laboratoires Pfizer ont eu pour interlocuteur un haut fonctionnaire européen, alors qu’en Israël, c’est le Premier ministre Netanyahou qui a harcelé personnellement le patron au téléphone. Imaginons ce qu’a dit à Pfizer notre haut fonctionnaire de Bruxelles, puis le chef du gouvernement israélien :
EU : « Si on fait une commande groupée, on peut avoir quelle remise ? »
ISR : « Et si je vous paye 1/3 du prix en plus, vous pouvez m’en livrer combien ? »
EU : « Non, on ne peut pas vous envoyer des données sur le suivi des vaccinations. D’abord, c’est juridiquement impossible à cause du RPGP. Ensuite, on n’est pas capable d’assurer ce suivi. »
ISR : « Pas de problème : on vous envoie en direct toutes les données cliniques : âge et état de santé des vaccinés, taux de contamination et de survenance de la maladie après une puis deux injections, rapport détaillé sur les effets secondaires et les chocs allergiques… »
Bon. Pour l’approvisionnement, les choses sont claires. Passons à la suite.
Les Israéliens comme les Émiriens sont des champions de la logistique. Pour les premiers, elle fut un gage de survie depuis la création de leur État en 1948. Pour les seconds, il suffit de constater comment la cité de Dubaï émergea du désert pour en avoir le cœur net. D’ailleurs, les deux alliés ont beaucoup gagné dans cette démonstration, alors qu’ils devaient affronter les mêmes contraintes que la France, en particulier celle de la conservation du vaccin à moins 80°.
Concrètement, ce sont les caisses d’assurance maladie israéliennes qui ont contacté leurs adhérents par téléphone ou SMS pour organiser leur vaccination. L’enjeu étant de sauver des vies et l’économie du pays, on a fait court sur le consentement, d’autant plus que la question du risque et des éventuels effets secondaires était largement débattue dans les médias. On peut même se faire vacciner en drive-in, les mains sur le volant : « Pas d’allergie ? Levez la manche, puis attendez quelques minutes avant de repartir ».
Comme en France, la vaccination n’est pas obligatoire en Israël. Mais le gouvernement fut le premier à annoncer la mise en place d’un « passeport vert » à l’issue de l’actuelle campagne vaccinale (il pourrait y en avoir d’autres, du fait des mutations du virus). En France, certains politiques et commentateurs, notamment, mais pas seulement à l’extrême-droite, osent opposer l’argument de la liberté individuelle et celle d’une mesure instaurant de deux catégories de Français, les vaccinés qui auraient tous les droits, et les autres, qui seraient reclus, emprisonnés, punis. C’est sûr : on va condamner définitivement les restaurants et les cinémas (entre autres) et nous obliger de porter le masque à vie pour faire plaisir à une poignée (certes grosse) d’égoïstes dogmatiques !
Un argument que l’on entend souvent pour expliquer que c’est plus facile en Israël ou aux E.A.U qu’en France est la taille du pays. Avec environ 9 millions d’habitants, deux grandes villes, un aéroport, et une infrastructure hospitalière typique d’un pays de l’OCDE, on peut comparer Israël à une région française. Si le Premier ministre Jean Castex avait mis en pratique son discours originel, empreint de régionalisme, de territoires, de proximité, il aurait peut-être laissé les collectivités territoriales gérer la logistique. Si Israël peut se comparer à une région française, la France peut se comparer à un État des États-Unis, pays fédéral où tout ne vient pas de Washington. Rappelons les chiffres actuels, même s’ils font mal à Olivier Véran : 3 % de vaccinés en première dose en France contre 12 % aux États-Unis et 18 % au Royaume-Uni. L’excuse de la France trop grande pour être performante est irrecevable. Enseigne-t-on toujours aux étudiants de Sciences Po que le monde entier nous envie notre formidable organisation administrative ?
Finalement, ce n’est pas se comparer à Israël ou aux Émirats arabes unis qu’il eut fallu. C’est aller sur place regarder comment les choses se font. On le fait déjà en matière de prévention du terrorisme. Olivier Véran aurait dû effectuer un petit voyage d’études en Israël et aux E.A.U., histoire de s’inspirer du meilleur chez ceux qui font tellement mieux que nous. Mais avec le torrent d’autocongratulation dont s’asperge notre ministre de la Santé, on comprend que l’idée ne lui effleura pas l’esprit. Si l’on proposait à notre ministre de s’inspirer du Royaume-Uni, il nous répondrait vraisemblablement que leur situation sanitaire est pire que la nôtre (pour le moment !), comme si cela avait le moindre rapport (à ce stade) avec les loupés de notre stratégie vaccinale. « Apples and oranges », diraient les Anglais, pour désigner les torchons qu’on ne saurait confondre avec les serviettes. En Israël, la situation sanitaire est également bien plus dégradée qu’en France, mais on y voit la sortie du tunnel. Concrètement, et pas dans les discours par trop contradictoires, et les promesses qui n’ont pas été tenues, jusqu’alors.
Israël et Emirats arabes unis : une leçon pour le monde ? Peut-être. Et la France, qu’en pense le monde ? Comment la regarde-t-on ? La France et l’Union européenne. Nous reviendrons à elle très prochainement.
Michel Taube