Division avenue, de Goldie Goldbloom: au risque de se perdre

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CHABAD MOVEMENT
Goldie Goldbloom trace le portrait empathique, tendre et saisissant d’une femme ultra-orthodoxe qui transgresse les règles de sa communauté. à un moment charnière de son existence.

En ce début d’année, une excellente surprise: la publication de Division Avenue, de Goldie Goldbloom. Née en Australie en 1964, quasiment inconnue en France, elle nous donne un roman d’une extraordinaire empathie sur l’histoire d’une famille de Juifs hassidiques originaire d’Ukraine et installée, depuis la Shoah, dans un petit immeuble de Division Avenue, au cœur du quartier juif orthodoxe de Brooklyn.

Le père, Ydel, est rabbin. Sa femme Surie, 57 ans, lui a donné douze enfants, et elle est bouleversée lorsqu’elle apprend que, treize ans après son plus récent accouchement, elle est de nouveau enceinte – de jumeaux, qui plus est.

Elle sait qu’elle sera ostracisée par sa communauté ultratraditionaliste, à commencer par sa fille aînée de 40 ans, elle-même mère de sept enfants. Car chez les Juifs hassidiques, la reproduction à outrance est un moyen d’atténuer la Shoah, de montrer aux nazis qu’ils ne sont pas parvenus à éradiquer totalement le peuple juif. Mais, passé un certain âge, une grossesse est une offense à la loi de la Torah. Surie n’ose parler de sa situation à personne, et cette mère qui ne vit que pour les siens a l’impression que sa grossesse est en train de détruire sa famille. D’autant qu’un secret plane toujours autour de la mort, à 23 ans, d’un fils dont il est interdit de prononcer le nom dans leur minuscule appartement. Surie, peu à peu, comprend que le respect forcené de la loi juive, le refus de toute intégration au monde moderne, fait aussi courir un risque de désintégration à une communauté sectaire, intransigeante, murée dans ses principes.

Au cœur d’un autre monde

Ce qui n’empêche qu’on s’y amuse: l’année juive est rythmée par les fêtes traditionalistes, lors desquelles les familles se retrouvent, mangent, chantent, dansent, comme ils pouvaient le faire au Vieux Pays. Goldie Goldbloom, elle-même mère de huit enfants, et membre militante de la communauté hassidique de Chicago, sait de quoi elle parle. Elle n’a pas, comme trop souvent, un regard extérieur sur les Juifs barbus à chapeaux noirs et papillotes caricaturés sans aménité. Elle les comprend, les excuse lorsque leur comportement, parfois, est excessif, et montre la complexité de leur existence à quelques encablures du pont de Manhattan, où certains n’ont jamais mis les pieds.

Car, chez eux, les parents choisissent, dès l’âge de 16 ou 17 ans, un conjoint pour leurs enfants, le mot d’internet n’existe pas, et le fait que Surie se mette à travailler comme sage-femme bénévole est considéré comme une forme de crime, de transgression de la loi. Crâne rasé, perruque et foulard, adorée de ses enfants et petits-enfants, elle se sent, devenue enceinte, comme une paria qui mérite d’être mise en marge, voire chassée. Jusqu’au bout, tandis qu’on en apprend toujours un peu plus sur le passé de la famille, sur ses rites, sur le drame de la mort du jeune Lipa; tandis que Surie se pose de plus en plus de questions sur son avenir, le suspense demeure: va-t-elle avouer à Ydel qu’à 61 ans il sera de nouveau père, et comment cette nouvelle sera-t-elle acceptée par la famille?

Surie est un personnage assez unique dans le roman contemporain. Elle semble venue d’à travers les âges, ne parle couramment ni l’américain ni l’hébreu, est effarée lorsqu’elle sent ses certitudes s’effriter, et elle est cependant dotée d’une force intérieure qui lui permet de survivre.

Avec Goldie Goldbloom, on n’est pas dans le roman «juif américain» intellectuel de Philip Roth, ni parmi les gens modestes de Malamud: on est plongé au cœur d’un autre monde, d’une autre civilisation, on est ému, touché, et on cherche à comprendre.

Division avenue, de Goldie Goldbloom, traduit de l’américain par Éric Chédaille, Christian Bourgois, 350 p., 22 €.

Source lefigaro