Etonnamment, c’est justement dans cette période de Corona que de jeunes chefs en Kippa noire et cuisinant Glatt Cachère ont conquis un public qui, jusque là, ne connaissait pas le mot gastronomie.
La fermeture des grandes salles de réception, des banquets à 1000 couverts, a révolutionné le monde de la restauration et aurait bien pu y mettre un accord final. Eux, ils ont rebondi avec des réceptions « boutiques », où, parfois, le nombre des invités ne dépasse pas 40 personnes, mais où ils vont exprimer tout leur talent et transformer chaque plat en un chef-d’œuvre culinaire. Les prix suivront, et, l’un dans l’autre, ils ne sortiront pas perdants, bien au contraire.
La haute qualité se paye et leurs nouveaux clients sont riches et exigeants. Ils avouent que la cuisine est pour eux une forme d’art, et qu’ils peuvent, le soir, après avoir servi les viandes les plus apprêtées, rentrer chez eux et se suffire d’un plat de Cornflakes avec du lait.
Nous avons interviewé 3 de ces jeunes chefs prometteurs, tous habitant en Israël, orthodoxes, chacun avec son parcours, ses spécialités et ses rêves : Chalom Katzengold (37 ans), Elie Davis (31 ans) et Youdi Cirota (26 ans). Ecoutons-les :
Comment tout cela a-t-il commencé, Chalom Katzengold ?
J’ai commencé à travailler dans les cuisines de la salle “City Tower”, où j’ai pratiquement tout fait. Les services du matin, du midi, du soir, de la sortie du Chabbath, et c’est là-bas que j’ai compris que la cuisine n’est ni un pique-nique, ni un endroit où on peut se « la couler douce ». C’est un endroit sans fin, dans lequel tu travailles beaucoup d’heures.
Quelqu’un qui pense venir travailler ses 8 heures et ranger ses casseroles, malheureusement, ne « survivra » pas. Tower City m’a préparé, m’a formé à être indépendant, et je l’en remercie. En travaillant, j’ai vite compris que mon domaine de prédilection, là où je m’exprime pleinement, est les réceptions « boutiques », c’est-à-dire petit comité et maximum qualité. A l’époque, dans le public religieux, cette notion n’existait pas. Aucun traiteur n’acceptait de préparer un évènement pour 40 personnes. Moi, je me suis lancé, en essayant de voir quelle marge je pouvais avoir, et j’ai vu que c’était possible.
Et pour vous, Elie Davis, quel fut le point de départ ?
J’ai commencé en amateur. J’ai regardé le travail de chefs mondiaux, j’ai appris leurs méthodes et leurs techniques, celle d’une cuisine moderne et de son temps. Mes essais, je les faisais pour les copains et la famille, et leurs retours enthousiastes m’ont donné confiance en moi pour me professionnaliser. Et là, est apparu le Corona, et la demande est devenue énorme. On cherchait partout des cuisiniers “itinérants” pour des petites réceptions ; c’était mon domaine.
Mon emploi du temps est palpitant et varié : je commence le matin par un tour des boucheries, puis je continue par les marchés et les épiceries. Puis, une fois les produits choisis, je me prépare au « spectacle ». Lorsque la réception commence, je plane, je suis dans mon élément, et c’est un bonheur.
Et pour vous, Youdi Cirota ?
J’ai moi aussi commencé sur le terrain, puis, je me suis perfectionné à la Mikhlala de Jérusalem. J’ai organisé des voyages a l’étranger dans des hôtels, les périodes d’été et pour Pessa’h. Mais je dois dire que chez moi, dans ma famille, le sujet culinaire est très présent et j’ai grandi à la cuisine. De là viennent mon inclination et mon aspiration. Je me suis marié et je devais commencer à nourrir ma jeune famille. Je me suis inscrit à des études d’architecture, mais quelqu’un m’a débrouillé un poste dans une salle de banquet à Jérusalem : j’étais responsable du service et nous pouvions sortir 400 plats par jour.
Les trois chefs tombent ensemble d’accord sur deux points : tout d’abord, l’attention au client. Descendre des fourneaux et rencontrer ses hôtes, leur demander si tout va bien, les écouter : quelqu’un n’est pas content, un plat n’a pas donné satisfaction, est-ce qu’on peut corriger. Le contact est très important. Un deuxième point est le fait que les chefs avouent qu’après avoir préparé des mets exquis, ils se suffisent parfois pour eux-mêmes de plats très simples. Katzengold, qui a vu des milliers de morceaux de viande lui passer dans les mains, n’en mangera pas après la réception. Il préfèrera un gâteau au fromage…
Qu’est-ce qui a changé pour vous avec le Corona ?
Katzengold : Une nouvelle sorte de client est apparue : celui qui devait organiser une réception de 600 personnes, comme ce n’est plus possible, va restreindre à 40 personnes, le faire chez lui, mais il va exiger du luxe.
Cirota : Pour moi, la période du Corona m’a jeté en avant et m’a obligé à devenir indépendant, chose que je n’aurais pas faite dans des conditions normales.
Une autre nouveauté : être beaucoup plus sur le « qui-vive » et pouvoir préparer une réception de luxe avec seulement deux jours de préavis. C’est un défi et on le tient, Baroukh Hachem. J’ai une petite anecdote sur le sujet. Une famille avait commandé un traiteur dans son appartement, mais les voisins se sont mêlés, ne voulant pas de cet événement dans leur immeuble. Le responsable du traiteur s’est emporté, car on ne le laissait pas monter les plats et s’en est allé avec la nourriture, laissant la famille abasourdie. La famille m’a appelé me demandant si je pouvais, en six heures, préparer un dîner grande classe pour 35 personnes. Et pas du soi-disant. J’étais en voiture et j’ai organisé en quelques heures par téléphone le dîner, en envoyant chercher qui de la viande, qui des légumes. A 21h, tout était prêt, et c’est peut-être le meilleur dîner que je n’ai jamais préparé.
Racontez-nous une réception exceptionnelle que vous avez eu l’occasion de faire.
Katzengold : Il y a un mois, entre les confinements, j’ai organisé une soirée à Herzliya pour un client américain, dans une villa grand luxe. Ce n’était même pas pour un événement familial, mais pour une réunion de collègues de travail. Il y avait 40 personnes et c’était fabuleux. La villa était située au bord de la mer.
Davis : J’ai également eu l’occasion de faire une réception à Herzliya. 25 personnes, pour un ambassadeur, chaque plat à 750 shékels. Il y avait 14 sortes de viandes et tous les desserts possibles. J’ai d’ailleurs amené pour l’occasion un chef qui ne s’occupait que de la pâtisserie.
Le public religieux est devenu gastronome ?
Davis : Sans aucun doute. Aujourd’hui, on peut m’appeler et me dire : “Je veux ce plat et ce plat que j’ai vu et goûté dans une réception.” Pendant la période du Covid, beaucoup de gens qui ont participé à nos réceptions boutiques ont goûté à autre chose et il est évident que la restauration Cachère va devoir s’adapter à cette montée de niveau. Aujourd’hui, le public comprend qu’un steak traité, ce n’est pas bon!
Ciota : Après le Corona, les restaurants Cachères vont devoir relever des défis pour se mesurer aux nouvelles exigences du public religieux, qui s’est habitué à un autre niveau culinaire.
Katzengold : Des grands chefs pas spécialement religieux ont aujourd’hui commencé à cuisiner Cachère, et même Laméhadrin, car ils ont compris que la demande du public orthodoxe va en augmentant. A mes débuts, je servais à mes clients un steak tartare, du Carpaccio, un Ceviche, et les gens me disaient : “Ce n’est pas cuit…”. Aujourd’hui, tout le monde connaît et se régale.
Comment reste-t-on passionné après tant d’heures passées dans la cuisine ?
Katzengold : Impossible de travailler dans cette branche sans passion. Il faut être un artiste dans sa tête. Si, dans un plat que j’ai confectionné, je ne sens pas que j’ai créé quelque chose de spécial, je ne vais pas le servir. Le jour où je ne serai plus émerveillé par ce que j’ai préparé, ça sera un gros problème. Je peux avoir un frisson d’émotion en préparant quelque chose de très fort, et je prie que ce sentiment ne disparaisse jamais.
Davis : L’autre jour, je me suis rendu avec ma femme dans une épicerie spécialisée dans toutes sortes de légumes incroyables à Holon. Mon épouse m’a dit : “On dirait une bijouterie !”. Et c’est vrai. C’est un plaisir de voir, de sentir. Je me rends d’ailleurs souvent dans des restaurants pour voir des plats et m’en inspirer.
Cirota : Au début de chaque semaine qui s’annonce chargée de commandes, je me rends dans les marchés, je sens, je touche, je regarde et je m’inspire. Au Chouk Ma’hané Yéhouda à Jérusalem, au Chouk Hacarmel à Tel Aviv, je m’enivre des couleurs, des odeurs, des matières premières, la tête commence alors à travailler et à imaginer les futurs menus.
Au fait, encore un mot pour faire l’éloge des légumes. Lorsque quelqu’un me dit que mes salades sont “folles”, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. Car réussir une salade, c’est beaucoup plus difficile que de réussir une viande, que presque tout le monde peut faire. C’est avec la salade qu’apparaît le véritable “pro”, sauce et présentation sur l’assiette comprises…
Merci à vous trois, en vous souhaitant de continuer à proposer une cuisine Cachère haut de gamme, pour le plus grand plaisir de vos invités.
Traduction et adaptation : Jocelyne Scemama
Remerciements à Kol Pay/Yonathan Riegler