Après les propos récents du chef de l’Etat sur le polémiste antisémite, le directeur du Musée d’art et d’histoire du judaïsme Paul Salmona rappelle que ce dernier a été condamné en 1945 pour « indignité nationale » afin que soit entachée sa réputation. Durablement.
Dans L’Express du 22 décembre 2020, le président de la République affirme : « Je combats toutes les idées antisémites de Maurras, mais je trouve absurde de dire que Maurras ne doit plus exister. » Emmanuel Macron a certainement à l’esprit la polémique qui a entouré l’inscription en 2018 du fondateur de la Ligue d’Action française dans la liste des commémorations officielles et s’est soldée par la mise au pilon du Livre des commémorations nationales 2018, sur décision de la ministre de la culture Françoise Nyssen. Ce qui a entraîné la démission de dix des douze membres du haut comité des commémorations nationales.
Les démissionnaires arguèrent de la différence entre commémoration et célébration, et rappelèrent l’importance de « cette personnalité, ennemie de la République, ayant joué dans l’histoire de notre pays un rôle intellectuel et politique considérable, bien au-delà de sa famille de pensée » (Le Monde du 21 mars 2018). En réalité, ce qui avait surpris en 2018, moins que le rappel du rôle politique de Charles Maurras (1868-1952), poète, félibre, écrivain, journaliste et homme politique actif de l’affaire Dreyfus à Vichy, c’est le caractère euphémistique de la notice qui lui était consacrée dans l’ouvrage finalement pilonné.
Absence de l’adjectif « antisémite »
Son auteur, Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, le décrit comme une « figure emblématique et controversée », « un polémiste redouté », mais n’emploie pas une seule fois l’adjectif « antisémite ». Son texte, se déployant sur trois pages illustrées de l’aimable photographie d’un Maurras posant dans sa campagne provençale, témoigne d’un étonnant sens de l’ellipse ; il est d’une telle neutralité qu’il donne le sentiment que le maurrassisme serait parfaitement fréquentable aujourd’hui, et laisse accroire que la peine de « dégradation nationale » prononcée en 1945, que Maurras « n’a jamais admise », serait une injustice.
Déjà, en janvier 1999, le Musée d’Orsay, alors présidé par Henri Loyrette, consacrait un cycle de conférences à Maurras. Il y était présenté comme un « tenant de la doctrine du nationalisme intégral », « critique de l’“ordre bourgeois” et de l’individualisme », hostile « à tout compromis avec le régime républicain », exaltant « le culte de la patrie et de l’identité nationale ». L’Action française était décrite comme ayant exercé « une influence décisive sur une partie des élites françaises jusqu’à la seconde guerre mondiale », sans autre précision et, là aussi, sans aucune référence à l’antisémitisme de son inspirateur, pas plus qu’à ses condamnations en 1945. Son visage encore jeune occupait une pleine page et son nom trônait sur la couverture du programme annuel du musée en compagnie de Van Gogh, Millet, Mallarmé, Hugo, Liszt ou Chausson.
Euphémismes incompréhensibles
Emanant de grandes institutions culturelles – en 2018, le haut comité des commémorations nationales était présidé par l’académicienne Danièle Sallenave, et son secrétaire général était Hervé Lemoine, directeur des Archives de France –, ces euphémismes et ces omissions sont incompréhensibles, s’agissant de l’un des polémistes antisémites les plus virulents de son temps. En 1898, année du procès intenté à Emile Zola après la publication de « J’accuse » par L’Aurore, Maurras écrit à Maurice Barrès : « Le parti de Dreyfus mériterait qu’on le fusillât tout entier comme insurgé ».
Dans son Enquête sur la monarchie, publiée en 1901, Maurras prône, « contre l’hérédité de sang juif, (…) l’hérédité de naissance française, et ramassée, concentrée, signifiée dans une race, la plus vieille, la plus glorieuse et la plus active possible ». Le 9 juin 1925, il menace le ministre de l’intérieur Abraham Schrameck dans une lettre ouverte : « De vous, rien n’est connu. Mais vous êtes le Juif. Vous êtes l’Etranger. (…) Vous venez des bas-fonds de la police, des loges et, votre nom semble l’indiquer, des ghettos rhénans. (…) Votre race, une race juive dégénérée (…), vous a chargé maintenant, d’organiser la révolution dans notre patrie. (…) C’est sans haine comme sans crainte que je donnerai l’ordre de verser votre sang de chien ».
Incitations au meurtre de Léon blum
Il persévère dans un appel au crime contre le député socialiste Léon Blum dans L’Action française du 9 avril 1935 : « C’est un homme à fusiller, mais dans le dos ! » Et le 15 mai 1936, il réitère ses incitations au meurtre de Blum, devenu président du Conseil : « Si, par chance, un Etat régulier a pu être substitué au démocratique couteau de cuisine, il conviendra que M. Blum soit guillotiné dans le rite des parricides : un voile noir tendu sur ses traits de chameau », ce qui lui vaudra de passer huit mois à la prison de la Santé.
En janvier 1945, la cour de justice de Lyon condamne Maurras à la réclusion criminelle à perpétuité pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi en raison de son soutien actif au régime de Vichy. S’y ajoute la peine de « dégradation nationale » pour « indignité nationale » au titre de l’ordonnance du 26 août 1944. Les juristes de la Résistance ont en effet introduit cette notion dans le droit pour juger les Vichystes. Comme le rappelle le texte de l’ordonnance : « Il ne s’agit pas de prononcer une peine afflictive, ou même privative de liberté, mais d’édicter une déchéance ». C’est donc une sanction infamante, qui entache la réputation du condamné.
Comment comprendre dès lors que de prestigieuses institutions omettent de rappeler cette décision de justice ou ses motivations ? Que vaut la commémoration si, dans une présentation irénique, elle omet de rappeler que la vie et l’œuvre de Maurras sont marquées du sceau de l’antisémitisme le plus violent ? A quoi sert sa mise au ban de la nation par la justice si l’amnésie vient la recouvrir ? En 1952, Maurras fut gracié pour raisons médicales par le président de la République Vincent Auriol, mais l’infamie demeure. Tant qu’à reconnaître l’existence de Maurras, n’est-ce pas aussi de sa condamnation qu’il faut se souvenir ?
Paul Salmona est directeur du Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris. Il a notamment publié Réflexions sur l’antisémitisme (avec Dominique Schnapper et Perrine Simon-Nahum chez Odile Jacob, 2016). A paraître : Les Juifs, une tache aveugle dans le récit national (ouvrage collectif qu’il a dirigé avec Claire Soussen), Albin Michel.
Bonjour.
Certes les grands mots n’ajouteraient rien mais le nommé Macron se comporte en révisionniste là où il affirme ingénument, dans son racolage en direction de l’électorat droitier : « Je combats toutes les idées antisémites de Maurras, mais je trouve absurde de dire que Maurras ne doit plus exister. » Les optimistes en retiendront que « les juifs », ou autres, ont échappé à l’accusation de vouloir que l’on brûle des livres ! Et passons sur le clin d’oeil graveleux et le message subliminaire ici adressé à de « bons français » a priori mal disposés envers le déboulonnage de statues -parfois amplement justifié- qui a pu avoir lieu aux Etats-Unis, notamment par des blacks.
Mais restons-en à Maurras. Personne -à ma connaissance, en tout cas- n’a dit que… il ne doit plus exister. Ce qui a été dit est qu’une République qui se respecte ne rend pas hommage à Maurras. Et basta, avec le « bon français » Macron.
Bien cordialement
L. Nemeth,
Docteur en Histoire contemporaine