Confrontés aux restrictions sanitaires, des Israéliens vont se marier… à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Un incroyable changement pour le Moyen-Orient.
Pas plus de vingt, c’est aujourd’hui, en Israël, Covid oblige, le nombre de personnes autorisées à participer à des événements publics. Et les mariages n’échappent pas à la règle. Une calamité pour de nombreux foyers juifs orthodoxes, où selon la Halakha, la loi juive, la date fixée pour les noces doit être respectée à tout prix ; sans compter les familles nombreuses qu’il faut impérativement inviter. Résultat : la liste des convives peut facilement dépasser les mille, voire beaucoup plus. Alors, pour les parents du futur couple, réduire à une vingtaine le nombre des invités peut sembler une tâche quasi impossible, aussi bien techniquement que psychologiquement. Mais voilà, grâce aux derniers développements géopolitiques – la normalisation des relations entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahrëin –, le miracle a eu lieu. Pour les familles ultra-religieuses aisées, il suffit de se rendre à Dubaï, où les hôtels de luxe, avec leurs jardins somptueux, vous offrent un mariage clés en main et conformément aux lois religieuses les plus strictes.
Le premier mariage de ce genre s’y est déroulé le 30 novembre à l’hôtel Park Hyatt. Plus d’une centaine de personnes avaient fait le voyage. Les uns en provenance d’Israël, les autres venus d’Europe. Pour le futur marié, il s’agissait de retrouver sa famille qui vit à Londres, alors qu’il étudie dans une école talmudique réputée de Jérusalem, dont l’un des dirigeants n’est autre que celui qui est devenu son beau-père. Tout ce beau monde a célébré ces noces, comme il se doit. Le trajet jusqu’à la Houpa, le traditionnel dais nuptial, avec son cortège d’hommes en costumes noirs, chemises blanches, kippa sur la tête ou chapeau, a été suivi par de nombreux curieux, des touristes et des Émiratis dans leur traditionnelle tunique blanche – la gandourah et leur keffieh. Entre la réception des invités, la cérémonie nuptiale, les repas (strictement cashers) et les danses (hommes et femmes séparés), la fête a duré plus d’une dizaine d’heures. Qu’est-il advenu des mesures sanitaires ? La vidéo tournée par un cameramen d’une société de production israélienne montre l’absence de masques et pas vraiment de distanciation sociale. Interviewé à ce sujet, l’organisateur de l’événement, l’agent de voyages israélien, Avi Feïn, s’est voulu rassurant. « Les autorités émiraties sont extrêmement pointilleuses. Avant de monter dans l’avion à Londres et à Tel-Aviv, les voyageurs ont dû présenter une attestation prouvant qu’ils avaient été testés négatif dans les 48 heures précédant leur départ. Et à l’arrivée : rebelote : ils ont subi un nouveau test. »
La « folie Dubaï » en Isarël
Rassurant aussi, le rabbin venu d’Israël qui a dirigé la cérémonie religieuse. Au futur marié, peut-être anxieux de convoler loin d’Israël, il a tenu à évoquer la similitude entre son histoire et celle de Jacob « notre patriarche qui, pour se marier, a quitté la Terre d’Israël et s’est rendu… au pays de Kedem, un territoire qui aujourd’hui va de l’Arabie saoudite jusqu’à la Turquie ». À Kikar HaShabbat, le site israélien ultra-orthodoxe, le rabbin Franck a aussi confié son enthousiasme de la normalisation des relations entre Israël et les EAU : « Il y a ici une nouvelle réalité. Où que nous nous tournions, nous étions très bien reçus. Espérons que cette situation va se renforcer et que d’autres pays arabes vont cesser de boycotter Israël. »
À l’heure qu’il est, sur le Web, il y a florès d’entreprises émiraties qui se proposent de louer salles et jardins pour des mariages grandioses à Dubaï. Comme celle que dirige Mohammed bin Jassin Althami. « Nous avons reçu de nombreuses demandes de responsables juifs d’Israël ou des États-Unis pour louer des salles. Nous sommes prêts à faire affaire avec quiconque est intéressé, quelle que soit sa religion, aussi longtemps que nos autorités l’approuvent. » Un engouement que confirme le PDG d’une entreprise spécialisée dans le tourisme réservé aux juifs ultraorthodoxes : « Aujourd’hui, en raison de la pandémie, les Émirats sont devenus la destination privilégiée de l’industrie des mariages juifs. »
Cela étant, en Israël, la « folie Dubaï » va bien au-delà des mariages. L’établissement de vols directs, la curiosité pour ce pays qui jusqu’à récemment était interdit et le fait que les émirats soient qualifiés de pays vert – pas d’obligation de quatorzaine au retour –, tout cela a eu un résultat : plus de 15 000 Israéliens s’y sont rendus au cours de la première moitié de décembre. Et les prévisions sont du même ordre jusqu’à la fin du mois. À moins que… Dubaï ne devienne zone rouge. En Israël, les responsables de la santé sont, en effet, inquiets. Ils prévoient que sur les 30 000 visiteurs jusque fin décembre, 240 pourraient être contaminés par le Covid-19. En cause selon eux, la conduite des Israéliens qui, lorsqu’ils sont à l’étranger, ont tendance à ne pas respecter les mesures barrières. « Les Émirats vont probablement devenir la prochaine source la plus importante d’importation du virus », a récemment averti le ministère israélien de la Santé.
L’autre inquiétude est liée à la présence de nombreux touristes et hommes d’affaires israéliens dans ces pays proches de l’Iran. Comment assurer leur sécurité, alors que le niveau d’alerte est encore monté avec le récent assassinat, près de Téhéran, de Mohsen Fakhrizadeh, le père du nucléaire iranien. Un assassinat imputé à Israël par le régime des Ayatollahs qui a promis de se venger. Pour Yossi Melman, l’un des meilleurs spécialistes en Israël des affaires de renseignement et auteur de nombreux ouvrages, dont Spies Against Armageddon, c’est un véritable casse-tête pour les services de sécurité israéliens. « Au Shin Bet, la sécurité intérieure, et au Mossad, on craint les kidnappings ou les assassinats d’Israéliens par les services iraniens ou les agents du Hezbollah opérant dans la région sous différentes couvertures. Il faut savoir que hors Covid, des centaines de milliers d’Iraniens visitent et même vivent à Dubaï, où certaines sociétés serviraient de façade au renseignement iranien. » Toujours selon Melman : « L’autre crainte du Shin Bet serait l’infiltration en Israël d’agents ennemis venus du Golfe. » Mais, actuellement, comme le montre l’achat du club de foot du Beitar Jerusalem par le Cheikh bin Khalifa, les relations entre les deux pays se développent rapidement.
Par Danièle Kriegel