L’assassinat en pleine rue d’un haut responsable du programme nucléaire iranien vendredi 27 novembre est un cuisant échec pour la République islamique. Les hypothèses sont nombreuses mais toutes convergent vers le même constat : le régime ne parvient pas à protéger même ses membres les plus éminents.
On sait encore bien peu de choses sur les circonstances de l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, cet éminent scientifique iranien et grand spécialiste de l’énergie nucléaire, vendredi 27 novembre en pleine rue, alors qu’il se rendait dans sa résidence secondaire près de Téhéran. Mais déjà, les hypothèses vont bon train.
Interrogé par des médias iraniens lundi 30 novembre, l’amiral Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, évoque « une opération complexe avec un recours à du matériel électronique ». Cette fois, affirme-t-il, « l’ennemi a utilisé un style et une méthode complètement nouveaux, professionnels et spécialisés ». L’agence de presse iranienne Fars parle d’une « mitrailleuse automatique télécommandée » montée sur un pick-up et qui aurait explosé au passage du convoi. Press TV, la chaîne d’information en anglais de la télévision d’État, ajoute un détail : des armes récupérées sur les lieux de l’assassinat ont été « fabriquées en Israël ».
« Tout le monde fait des commentaires. Mais la vérité est que l’affaire est très compliquée et que nous ne sommes pas bien informés », reconnaît une source iranienne. Seule certitude pour Téhéran : Israël, et plus précisément le Mossad, en sont à l’initiative. Mais comment les services secrets israéliens ont-ils pu monter une opération de cette envergure, sur le territoire même de la République islamique ? La question est douloureuse pour le régime.
Un recrutement facilité par la crise économique
Les Moudjahidine du Peuple, un groupe d’opposition en exil, sont-ils « impliqués », comme l’affirme l’amiral Ali Shamkhani ? « A plusieurs reprises ces dernières années, des doutes ont été émis quant à une concertation entre les Moudjahidine du Peuple et les services de sécurité israéliens », confirme un chercheur, sans pouvoir qualifier leur « degré de collusion ».
Dans le Financial Times, un membre du régime évidemment anonyme, avance une autre hypothèse, plus problématique encore : « La crise économique comme la présence de groupes dissidents politiques et ethniques facilite le recrutement par Israël de personnes pour perpétrer les assassinats ». Une manière peut-être de mettre en cause la minorité arabe, comme lors de l’attentat commis à Ahvaz contre les Gardiens de la révolution et revendiqué par l’État islamique en 2018, ou, pourquoi pas, les minorités kurde, baloutche ou azérie, mais qui ne convainc pas totalement Raz Zimmt, chercheur à l’Institut pour les études nationales de sécurité à Tel-Aviv : « Je ne suis pas sûr qu’Israël utilise vraiment des ’Iraniens ordinaires’ ou des ’militants ethniques / politiques’ pour l’aider dans ses prétendues activités opérationnelles en Iran ».
« Même s’il apparaît que le véhicule piégé était piloté à distance, des éléments étrangers ont forcément été présents sur le sol iranien », affirme en tout cas cet autre chercheur, bien conscient des risques d’instrumentalisation par le régime de telle ou telle hypothèse. « Derrière les apparences, le système sécuritaire iranien présente des failles. Les images que l’on voit partout montrant le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, désignant la photo de Mohsen Fakhrizadeh lors d’une conférence en 2018, rappellent que des informations capitales ont été volées par les Israéliens ».
Déjà plusieurs assassinats et un sabotage
Au moins deux scientifiques iraniens de renom ont déjà été assassinés ces dernières années : l’ingénieur nucléaire Majid Shahriari dans un attentat à la bombe en novembre 2010, puis deux ans plus tard, Mostafa Ahmadi Roshan, vice-directeur commercial du site nucléaire de Natanz dans l’explosion d’une bombe magnétique placée sur sa voiture. Tout récemment, en juillet, ce site sensible a été le théâtre d’une étrange explosion, qualifiée ensuite de « sabotage » par l’Organisation iranienne de l’énergie atomique.
Khamenei argued against providing IAEA access to the scientists because he claimed it’d put their safety in danger. Now, that same framing is used again to dial down cooperation with the IAEA and return to JCPOA compliance.
All in all, not much new here.
— Ariane Tabatabai (@ArianeTabatabai) November 29, 2020
« Pendant des années, Ali Khamenei [ndlr : le Guide suprême] et d’autres ont tenté de relier l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) aux assassinats ciblés de scientifiques nucléaires iraniens. Ils s’opposaient à l’accès de l’AIEA aux scientifiques affirmant que cela mettrait leur sécurité en danger », rappelle sur Twitter la chercheuse Ariane Tabatabai. Un argument qui revient en force aujourd’hui pour demander l’arrêt des inspections de l’organisation onusienne.
Après l’assassinat par les États-Unis le 3 janvier à Bagdad du puissant général Qassem Soleymani et cette deuxième lourde perte symbolique, le régime de Téhéran ne peut que se rendre à l’évidence : malgré son avancée technologique et ses ambitions régionales, il ne semble pas en mesure de protéger ses responsables même au plus haut niveau.
Anne-Bénédicte Hoffner,