Joëlle Zask, enseignante en philosophie à l’Université d’Aix-Marseille, spécialiste de philosophie sociale et auteur de Zoocities, partage son émerveillement sur l’histoire de Tel-Aviv, la cité verte.
Joëlle Zask : “Tel-Aviv est une ville extrêmement verte. Les arbres forment quasiment une canopée. D’ailleurs, je crois que c’est la septième ville la plus verte du monde. C’est assez intéressant parce que c’est une ville qui est construite sur du sable dans le désert. C’est la ville blanche.
Elle a été conçue par Sir Patrick Geddes, qui était un architecte et géographe qui mandaté par les Anglais dans les années 1920 pour faire le plan général de la ville de Tel-Aviv. C’est une ville qui va s’étendre dans une zone géographique bien déterminée : d’un côté, un fleuve, de l’autre la mer, de l’autre côté des collines, et encore une autre rivière sur un autre bord. La ville forme une entité géographique qui est ouverte sur l’extérieur, complètement contextualisée. Au lieu d’en faire un milieu purement inter-humain, Patrick Geddes y intègre la nature. Et puis, il va aussi laisser à tous les habitants de la ville – y compris à certains animaux et à la végétation – un droit d’exister, de participer à l’édification de cet environnement. La cité qu’il imagine est une cité jardin. Une ville où le parc joue un rôle très important. Où la végétation est prévue, non seulement entre les maisons, mais également sous les maisons, tout autour des maisons. Les maisons donnent sur des jardins publics, les ruelles partent de là, pour aller entre les pâtés de maisons et relier, si vous voulez, la circulation à des artères plus importantes, qui vont en s’éloignant des jardins. Les arbres forment quasiment une canopée qui climatise la ville et aussi dans laquelle prend place un très grand nombre d’espèces animales.
On croise sans cesse des animaux à Tel-Aviv. Il y a énormément d’espèces d’oiseaux, des hérissons, des mangoustes, des chacals, des petites gazelles. Il y a des rongeurs et une énorme colonie de chauve-souris qui se nourrissent des arbres fruitiers : les ficus. Évidemment, il n’y avait pas d’arbres dans cette région ou très peu, en tout cas. Ce sont les Anglais ont amené des ficus, de Chine. Ce ficus, qui était stérile au départ, est devenu fertile grâce à l’arrivée d’un petit insecte qui a fertilisé l’arbre. En même temps que l’arbre devient fertile, les fruits, bien sûr, grossissent et deviennent juteux. Justement, ces chauves-souris, que l’on appelle les roussettes d’Égypte, vont en profiter. Si bien que, Tel-Aviv abrite la plus grande population mondiale de chauves-souris d’Égypte, qui est une espèce protégée.
Il est intéressant de voir que ce design de Patrick Geddes a contribué à faire de Tel-Aviv une ville multi-espèces qui propose une série de niches et de passages et de délimitations et d’ouvertures. On tourne le dos à la coupure entre ville et nature, à laquelle on est habitué. Ainsi qu’au caractère coercitif de l’habitat soumis à des impératifs de zonages, de rationalité, de fonctionnalité, de classe sociale, d’organisation malgré les gens et leurs désirs – organisation des classes et des groupes dans l’espace…
On a une ville qui s’auto-aménage, en quelque sorte. Elle est extrêmement évolutive. D’ailleurs, c’est un terme de Patrick Geddes : il voulait une ville évolutive. Je pense que cette évolution est belle parce qu’elle est très forte, mais qu’en même temps, la ville reste la même ; en tout cas dans ce qui constitue le cœur de Tel-Aviv. C’est vraiment un très bel endroit, classé au patrimoine de L’UNESCO depuis 2004.”