Entre 1940 et 1944, Bernard Bouveret a sauvé près de 200 juifs qui cherchaient à fuir l’oppression nazie. Le résistant s’est éteint ce samedi à l’âge de 96 ans.
Un héros discret. Bernard Bouveret connaissait l’épaisse forêt du Risoux comme sa poche. Entre 1940 et 1944, il a sauvé près de 200 juifs qui cherchaient à fuir l’oppression nazie. Le résistant s’est éteint ce samedi à l’âge de 96 ans.
Pendant plus d’un an, chaque semaine, Gisèle Tuaillon-Nass est allée recueillir la parole de l’ancien passeur, qui s’est engagé à 16 ans dans la Résistance française. Un livre paru en 2011, Le rendez-vous des sages : Itinéraire d’un passeur-résistant, Bernard Bouveret, raconte cette histoire fascinante. « C’est un personnage que je trouve vraiment extra « trait d’union » ordinaire. Une vie simple mais extraordinaire à la fois », estime l’auteure.
Bernard Bouveret en a parcouru des kilomètres entre Chapelle-des-Bois où il résidait et la Suisse voisine. Il transporte d’abord des documents secrets des micro-films, avant d’accompagner des familles juives à travers les bois pour éviter les troupes ennemies. Le Jurassien devient l’un des passeurs les plus fiables du réseau. « Déjà, on n’aimait pas les Allemands. On nous avait monté le coup qu’on était la plus forte armée du monde, et puis en une semaine les Allemands étaient partout en France. Même si on était des gamins, on n’était pas fiers de ça », racontait-il.
Il a ouvert des « chemins de liberté »
« Il a été de ceux qui ont ouvert des chemins de liberté. Cette conscience de l’oppression allemande, de la résistance qui est venue petit à petit tout simplement parce qu’on le privait de sa liberté », estime Gisèle Tuaillon-Nass.
Bernard Bouveret prend des risques immenses pour sauver de nombreuses familles juives, parfois au péril de sa vie. « Une fois il y avait une dizaine de personnes, dont deux petits gamins. On les a porté sur nos épaules avec un ami qui était là puis on les a monté jusqu’à la frontière et puis une fois qu’ils étaient surs en Suisse, on les mettait sur un chemin où ils ne pouvaient plus se perdre et descendaient automatiquement sur la Suisse ».
Arrêté en 1944
Un de ses camarades passeurs perd même la vie dans la forêt du Risoux, touché par des balles allemandes. En 1944, Bernard Bouveret se fait arrêter et est conduit au camp de Dachau. Une histoire qu’il a toujours racontée avec humilité et pudeur. « Jamais, jamais il ne s’est mis en avant. ‘J’ai fait ci, j’ai fait ça’. Non, c’était toujours d’une grande simplicité ».
Pendant des années, le résistant n’a rien partagé de ce passé douloureux avant d’aller parler dans des classes et dire que même dans les pires moments, il n’a jamais rien regretté. A ses visiteurs et aux jeunes, il racontait avoir vu arriver les premiers Allemands au café-restaurant que tenaient ses parents : « Un jour, un soldat allemand a arraché le petit drapeau français que j’avais accroché sur mon vélo. « France finie » m’avait-il dit… Après la fermeture de la frontière avec la Suisse, j’ai été engagé par les agents de renseignement du Sentier, côté suisse. On a commencé à passer du courrier, puis des microfilms, des journaux français, et même de la poudre… Puis des informateurs, des fuyards qui refusaient de partir en STO et des familles entières -sans doute des Juifs- mais on ne le savait pas. J’ai été dénoncé involontairement par un Alsacien qui venait faire du ski à Chapelle-des-Bois, et qui voyait bien des allées et venues suspectes chez nous. Un jour, il s’est fait approcher par un Français de mèche avec les Allemands qui lui a demandé une combine pour passer en Suisse. C’est comme ça que le réseau a été balancé. En avril 1944, je me suis fait arrêter à la douane de Chapelle-des-Bois quelques jours après mon père. On nous a expédiés à Compiègne, puis à Dachau. »
Déporté à Dachau avec son père
Tous les deux ressortiront vivants de cet enfer, en avril 1945, malgré les coups et les privations. De retour à Chapelle-des-Bois, le jeune homme, tout juste âgé de 20 ans, va réussir à reprendre le cours de sa vie contrairement à son père qui ne se remettra jamais vraiment.
Bernard Bouveret se fait débardeur et rencontre Jeannette, une Dijonnaise qui deviendra son épouse en 1949. Quatre ans plus tard, il doit se résoudre à quitter son village natal pour s’installer avec sa femme et ses quatre enfants à Foncine-le-Haut, un emploi dans une scierie à la clé. Devenu livreur pour la marque de jouets Jouef, il sillonne la France au volant de son camion avant de reprendre le café local en 1960. Une activité qu’il mènera de pair avec celle de taxi, facteur et gardien du relais ORTF jusqu’en 1980 pour une retraite largement méritée.
Chevalier de la Légion d’honneur
Bernard Bouveret pourra dès lors s’adonner à ses grandes passions, le ski de fond et la chasse tout en multipliant les interventions en milieu scolaire pour évoquer son incroyable parcours. Veuf depuis 2003, il a conservé jusqu’au bout une forme physique impressionnante qui lui permettait d’accompagner encore très régulièrement des passionnés d’histoire sur les pentes du Risoux jusqu’au « Rendez-vous des sages ». Son autobiographie écrite en 2017 avec Gisèle Tuaillon-Nass porte d’ailleurs le nom de ce refuge d’altitude où il s’abritait avec les autres passeurs durant leurs périples nocturnes.
Fait chevalier de la Légion d’honneur en France, Bernard Bouveret jouissait également d’une grande notoriété en Suisse où il avait été élu personnalité de l’année en 2014 par les lecteurs de l’hebdomadaire La Région Nord Vaudois.
Sources francetvinfo, actu et estrepublicain