L’actrice et chanteuse israélienne d’origine iranienne, remarquée dans la série d’agents secrets « Téhéran », créée à Tel-Aviv mais suivie clandestinement en Iran, a bravé les interdits pour réaliser son nouvel album. En farsi et surtout en compagnie de musiciens iraniens.
Elle incarne l’un des protagonistes de la série israélienne Téhéran, actuellement diffusée sur la plateforme Apple TV+, dans un rôle taillé sur mesure pour elle, qui parle hébreu mais aussi farsi en raison de ses origines iraniennes. L’actrice et chanteuse Liraz Charhi incarne une agente du Mossad, les services secrets israéliens, chargée d’épauler sur le terrain une de ses collègues, une pirate informatique envoyée dans la capitale iranienne afin de neutraliser un radar aérien et permettre aux avions israéliens de bombarder une centrale nucléaire.
« Elle se demande si elle est israélienne ou iranienne, ou les deux. C’est le dilemme de mon personnage, et c’est l’histoire de ma vie », dit la musicienne de 42 ans, née en Israël et dont les parents ont quitté l’Iran un peu avant la révolution islamique de 1979, à une époque où l’Etat hébreu et l’Iran entretenaient d’étroits liens diplomatiques et économiques.
Une odyssée
Son nouvel album, Zan (qui signifie « femmes » en farsi), le quatrième de sa carrière et le second en farsi, sort le 13 novembre, et raconte en creux tout ce qui s’est perdu depuis que la dictature des mollahs a désigné Israël comme son ennemi.
La réalisation de cet album constituait déjà un défi pour la chanteuse issue d’une communauté originaire d’Iran représentant à peine 20 000 personnes en Israël, qui a fait le choix de délaisser l’hébreu, la langue de ses deux premiers disques. Mais cette décision raconte bien plus qu’une option musicale audacieuse : elle constitue une odyssée en soi et, à sa façon, un roman d’espionnage.
Liraz Charhi a enregistré avec des musiciens iraniens basés à Téhéran, sachant qu’il est interdit à un citoyen iranien d’entretenir le moindre contact avec un Israélien. En mai, le Parlement votait une nouvelle loi interdisant toute coopération avec le régime sioniste, qui doit être considérée comme « égale à la haine envers Dieu et à la corruption sur Terre ». La chanteuse a eu recours à des messageries cryptées pour enregistrer avec ses musiciens, passant par Istanbul et Berlin pour effectuer des virements bancaires.
« Vous imaginez bien que j’ai travaillé en toute discrétion avec eux, explique Liraz Charhi. Mais je n’arrivais pas à dormir la nuit. J’avais peur que l’on apprenne que des Iraniens avaient travaillé avec des Israéliens. Pour eux, cela signifierait la prison, la torture ou pire encore. Lorsque certains ont pris conscience de cette menace, ils ont jeté l’éponge. Ils m’ont dit : “Liraz, tu peux garder ma chanson, mais nous ne pourrons plus jamais nous parler.” Certains ont disparu, allant jusqu’à modifier leur profil sur les réseaux sociaux. »
Arrivée à « Teherangeles »
La découverte de la musique iranienne s’est effectuée pour elle au début des années 2010, quand elle s’est installée à Los Angeles afin de faire avancer sa carrière d’actrice. Elle n’avait bien entendu jamais pu se rendre en Iran et, si ses parents parlaient farsi à la maison, il leur apparaissait indispensable, une fois émigrés, de laisser leurs origines derrière eux.
En revanche, en Californie, la chanteuse a découvert une importante diaspora iranienne occupant des quartiers entiers de L.A. « C’est ce qu’on appelle “Teherangeles”. L’Iran qui me manquait tant se trouvait en fait là-bas. J’ai découvert des magasins de disques où j’ai pu acheter des valises de vinyles datant d’avant la révolution. C’est à partir de là que j’ai pris la décision de chanter en farsi. »
A sa grande surprise, son premier album dans cette langue, Nas, se révèle un succès en Israël et circule sous le manteau en Iran. « Je recevais des vidéos de fêtes clandestines là-bas, avec des femmes qui retiraient leur voile et portaient par-dessous du Versace ou du Dolce & Gabbana. Je devenais soudain un exemple à suivre pour elles, car j’étais une femme iranienne libre en Israël, avec le droit de couvrir ou non ma tête et de chanter ce que bon me semble. La boucle était bouclée. »
Un succès clandestin en Iran
Le tournage de Téhéran a eu lieu à Athènes, avec des comédiens iraniens exilés politiques. Téhéran s’inscrit dans la lignée de séries israéliennes comme Hatufim – adaptée aux Etats-Unis, où elle est devenue Homeland – ou Fauda, nourries du contexte géopolitique agité du Moyen-Orient, dans lequel les scénaristes israéliens excellent.
’une des caractéristiques de Téhéran, qui connaît un vrai succès clandestin en Iran, est de montrer une jeunesse vivant en marge de la dictature des mollahs, aspirant à un mode de vie occidental, loin de tout esprit belliqueux. « J’étais impressionnée par les comédiens iraniens durant le tournage, se souvient Liraz Charhi. Ils savaient qu’à partir du moment où ils apparaissaient dans une série israélienne, ils ne pourraient plus jamais retourner dans leur pays. On évoque régulièrement l’antagonisme entre l’Iran et Israël, mais celui-ci n’existe pas entre les deux peuples. »
Peu avant de terminer le tournage de Téhéran, le général iranien Ghassem Soleimani était tué à Bagdad dans une frappe de drones menée par les Etats-Unis. « Cette fois-ci, c’étaient mes amis musiciens en Iran qui me contactaient affolés pour me dire que je devais quitter immédiatement Israël avec ma famille avant que les Iraniens nous bombardent. C’est clair, nous n’en avons pas fini avec certains fantasmes. »