Après soixante-dix ans dans un coffre-fort, le témoignage de Renia, juive polonaise, est traduit en français. Elizabeth Bellak se souvient de sa sœur, assassinée en 1942 par la Gestapo.
« J’ai fini de lire le journal de Renia, il y a juste un mois. » Sur l’écran, le visage maquillé d’Elizabeth Bellak rayonne. Elle sourit mais son regard s’assombrit furtivement. « Jusqu’alors, à chaque fois que je l’ouvrais, je pleurais. »
Dans son appartement new-yorkais, on aperçoit le portrait en noir et blanc de sa sœur derrière elle. La dame de presque 90 ans a survécu à la Shoah. Renia n’a pas eu cette chance. Elle a été tuée par la Gestapo le 30 juillet 1942 dans le ghetto de Przemysl, en Pologne. Elle venait d’avoir 18 ans.
Publié en 2019
Renia Spiegel. Son nom aurait pu rester enfoui dans la liste interminable des victimes. Aujourd’hui, il est sur le devant de la scène grâce à la publication de son journal intime, qui a passé soixante-dix ans dans un coffre-fort : 700 pages en polonais, traduites en anglais et publiées en 2019 au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Depuis le 8 octobre, deux éditions sont disponibles en français. Avec Le Journal de Renia, Elizabeth ose désormais raconter son passé tragique et partager les souvenirs de sa sœur.
Une ado romantique
Au moment de l’invasion de la Pologne, Renia, née en 1924 à Uhrynkowce, dans le sud du pays, est une adolescente de 15 ans « très romantique ». Elizabeth s’appelle alors Ariana et a six ans de moins.
En l’observant, on devine la petite fille actrice, surnommée la Shirley Temple polonaise. Renia en parle au début de son journal. Elle vit alors chez ses grands-parents à Przemysl depuis un an et souffre de l’absence de sa mère, installée à Varsovie pour s’occuper de la carrière d’Ariana.
La Pologne coupée en deux
Pendant les vacances d’été 1939, Ariana rejoint Renia chez ses grands-parents. Elle y reste « coincée » jusqu’à l’été 1942. En septembre, la Pologne est coupée en deux. Renia, sa petite sœur et ses grands-parents se retrouvent du côté russe, leur mère du côté allemand.
« Renia était très attentionnée avec moi. Elle m’amenait à l’école, m’aidait à faire mes devoirs… Bien sûr, nous étions très angoissées pour notre mère. » La petite fille apprendra plus tard qu’elle travaillait dans un hôtel à Varsovie avec de faux papiers.
Poèmes et pensées
À Przemysl, la vie s’organise malgré l’occupant. En cachette, Renia livre à son journal ses pensées d’adolescente et ses poèmes. La jeune fille aime écrire. « Ma sœur était présidente du club de littérature de son lycée. Son écriture était très belle. Elle écrivait des poèmes que tous ses amis voulaient lire… Mais j’ignorais alors qu’elle tenait un journal intime ! »
Entre les tranches de vie et les confidences, la mort progresse. Mais elle n’empêche pas Renia de tomber amoureuse. « Zygu est divin et l’amour est magnifique », écrit-elle avec ferveur le 18 mai 1942. « Vous n’avez pas idée à quel point elle aimait Zygmunt ! confirme Elizabeth. Il était très beau avec ses cheveux noirs et ses yeux verts. Renia savait les horreurs de la guerre mais grâce à son amour, elle était transportée. »
À peine deux mois plus tard, le ghetto de Przemysl est créé. La première AB-Aktion (plan d’élimination systématique de la « classe dirigeante ») se déroule le 27 juillet. Les Juifs qui n’ont pas de permis de travail sont déportés dans les camps. Zygmunt en obtient un. Pas Renia. Le jeune homme arrive à la cacher avec ses parents dans un grenier. Juste avant, il emmène Ariana chez une amie qui n’est pas juive. La suite est terrible. « Trois tirs ! Trois vies perdues ! » écrit Zygmunt, anéanti, le 31 juillet dans le journal que Renia lui a confié et qu’il est arrivé à mettre en sûreté.
Un morceau d’histoire
De son côté, Ariana, 11 ans, retrouve sa mère à Varsovie, change d’identité et devient Elzbieta. En 1946, elles s’installent aux États-Unis. Zygmunt, qui a survécu à Auschwitz, les retrouve vers 1950. « Quand il a remis le journal de Renia à ma mère, ça a été un choc », se souvient Elizabeth. Aucune des deux n’est capable de le lire. Elles le déposent dans le coffre-fort d’une banque.
La suite, c’est Alexandra, la fille d’Elizabeth, qui la raconte. « Il y a une dizaine d’années, j’ai voulu connaître la partie juive de mon histoire. J’ai récupéré le journal pour le traduire en anglais. La traduction était rudimentaire mais j’ai tout de suite perçu une profondeur. Il ne parlait pas que de ma famille. C’était aussi un morceau d’Histoire. »