Le dessinateur revient avec un nouveau Chat du Rabbin et une série inédite, La Chanson de Renart, où il met en scène sa frustration face à la résurgence de l’antisémitisme et la violence du monde.
En 1978, Joann Sfar a 7 ans. Cette année-là, le garçonnet se rend à Jérusalem avec ses grands-parents maternels et son père pour visiter le mémorial de la déportation de Yad Vashem.
Alors que ses grands-parents s’affairent à retrouver dans les listes de victimes les membres de leur famille disparus pendant la Shoah par balles, son père, saisi d’un mélange « d’impuissance, de rage et de culpabilité », lance à son fils: « Hitler a tenté de nous exterminer. Toi, ton métier, c’est de faire des enfants pour montrer que notre peuple va survivre. » Ce à quoi le grand-père répond: « Explique à ton père que tes organes génitaux ne servent pas à combattre Hitler. »
Une « phrase terrible » dont se souvient plus de quarante ans après Joann Sfar, qui a retranscrit la scène dans Rentrez chez vous (Dargaud), le dixième tome du Chat du Rabbin, en librairie ce vendredi 16 octobre. « Je pense que Le Chat du rabbin vient de ce genre de phrases que pouvait sortir mon grand-père », commente le dessinateur, qui a fait des peurs enfantines et du poids de la culture juive les thèmes centraux de son œuvre.
« J’ai souvent tendance à penser que ce n’est pas moi qui ai écrit Le Chat. Ma famille est sur mes épaules quand je l’écris. Surtout ma famille qui n’est plus là. Je fais parler un peu les voix qui ne sont plus là. », indique le dessinateur, avant d’ajouter: « La question que je me pose encore à ce jour est: est-ce que j’étais trop jeune pour aller à Yad Vashem? Ce sont des lieux où on forge sa vision du monde, des lieux où les parents racontent le sens que ça a pour eux. »
« Refuser la petite musique de l’espoir »
C’est dans ses BD et ses films que Joann Sfar partage sa vision du monde. « Adulte, c’est quand on cesse de croire qu’il existe un endroit où les choses vont bien », dit le Chat dans Rentrez chez vous. Constat partagé par Joann Sfar, pour qui la fiction permet de canaliser le chaos du monde.
« Le caractère informe du monde peut terroriser. Quand on a comme moi une sorte d’angoisse permanente, un certain besoin de compréhension ou de contrôle du monde, résumer le monde à une petite histoire est extrêmement reposant. Faire le bord d’une case, la remplir… C’est très reposant », indique le dessinateur, qui sort le 21 octobre, le film Petit Vampire, une version fantasmée de son enfance, puis à Noël Monstres, un jeu de rôles qui essaye d’apporter une cohérence à tous ses récits surnaturels.
Avec la résurgence de l’antisémitisme, sa vision du monde est plutôt pessimiste ces jours-ci. Dans Rentrez chez vous, les héros du Chat hésitent à s’installer à Jérusalem après avoir été victimes d’une attaque antisémite. Plusieurs personnages vont prendre la parole pour les en dissuader et montrer qu’Israël n’est pas la terre promise. « On voit bien que le pari un peu désolant que je prends avec cet album est de refuser la petite musique de l’espoir« , indique Joann Sfar, qui dit en avoir assez des projets grandioses qui promettent de changer le monde. Il veut désormais raconter des histoires intimes, à échelle humaine, qui pourront servir d’outils à ses lecteurs.
« Je refuse tous les moments où quelqu’un est arrivé avec l’idée d’un lendemain qui chante, que telle idéologie ou tel projet allait nous sauver. Je crois que rien ne nous sauvera. Je voulais parler avec cet album de ces Juifs restés en France, qui ne sont pas partis, qui après mille péripéties se retrouvent en France et parfois vivent leur destin sans savoir le mener. Le fait de choisir de rester en Europe n’a pas été héroïsé. »
« Ça m’agace de parler d’antisémitisme »
Rentrez chez vous débute en 1870 avec la promulgation du décret Crémieux, qui attribue la citoyenneté française aux 35.000 Juifs d’Algérie, et se termine un siècle plus tard, à Jérusalem.
Comme dans le précédent tome du Chat, La Reine de Shabbat, Joann Sfar voyage dans le temps. Après avoir exploré l’enfance de son héroïne Zlabya, il l’imagine cette fois au crépuscule de sa vie, dans les années 1970. Malgré certaines scènes d’une grande tendresse, Rentrez chez vous reste un album sur « la permanence de la haine anti-juive »:
« Le livre est plein de ce désespoir-là. Montrer que ce qu’on entendait à Alger dans les années trente, on peut l’entendre aujourd’hui en France n’est pas une surprise. Les gens qui sont tous les matins révoltés sur Twitter m’énervent énormément, mais en même temps est-ce qu’on peut vraiment s’habituer à des choses insupportables? On ne peut pas faire comme si on ne voyait pas ces choses qui étouffent, qui empêchent de vivre. »
« Si on suit mes cahiers autobiographiques, on voit la résurgence de ce sentiment anti-juif depuis les années 2000″, commente-t-il encore. « Je n’ai pas envie d’être celui qui à chaque livre va dénoncer ceci ou cela, car rien ne m’agace plus que les auteurs qui [font ça]. Si vous sentez une rage chez moi, c’est que ça m’agace de parler d’antisémitisme. Ça ne me fait pas plaisir. »
« Les fanatiques veulent un retour à la sauvagerie habituelle »
Cette colère se retrouve également dans La Chanson de Renart (Gallimard), premier tome d’une nouvelle série médiévale que Joann Sfar envisage comme un pendant au Chat du Rabbin. « Renart va être à la fois plus enfantin et plus sanguinaire que le Chat », précise-t-il. « Renart tue des gens. Ça ne lui pose aucun problème. Renart est beaucoup plus puissant que le Chat. Il sait se battre, mentir. » Dans Le Chat, il y a toujours une forme d’espoir. Pas dans Renart, un univers désespéré où les personnages n’ont pas de valeur.
Mélange de heroic fantasy et de folklore niçois, La Chanson de Renart est surtout un prétexte comme Le Chat du Rabbin pour s’interroger sur un monde dont Dieu est absent, mais où le blasphème reste un péché grave. Constitué de plusieurs récits enchâssés, La Chanson de Renart voit un des personnages dire à un conteur de faire attention aux histoires qu’il raconte: « Le jour où il tombe sur des fanatiques, il va se faire tuer pour de bon », lui fait-il savoir.
Une référence à l’attentat de Charlie Hebdo, où Joann Sfar a perdu de nombreux amis dessinateurs: « Ce qui est récent, c’est que les écrivains aient le droit de raconter ce qu’ils veulent. Ce que demandent les fanatiques aujourd’hui, c’est un retour à la sauvagerie habituelle. J’aime beaucoup l’idée que Renart risque sa vie parce qu’il ouvre sa gueule, d’autant qu’il ne raconte pas de récit édifiant. J’aime bien l’idée du conteur qui se ferait tuer pour raconter une bonne histoire. »
J’ai aimer le Chat vraiment, je m’y suis toujours senti à l’aise, ses interrogations sont aussi les miennes depuis longtemps, qu’un grand nombre de juifs soient encore en France, je n’arrête pas d’y penser, il y a des interrogations qui durent, dont on a pas la réponse, mon épouse n’est pas juive et j’ai toujours hésiter à l’embarquer dans cette aventure, bien qu’elle soit pro-Israël, c’est vrai aussi que nous ne sommes plus jeune, on trouve toujours des excuses aussi !