Un trio atypique, composé d’un prêtre catholique, d’un Hazan juif et d’un fidèle musulman engagé contre l’intégrisme, a enregistré un album de variété française pour promouvoir la fraternité entre les croyants de différentes confessions.
« Nous ne sommes pas des bisounours. » D’emblée, les trois hommes déjouent d’une fermeté malicieuse, l’étiquette de « bien-pensance » qu’on pourrait leur accoler. Ils sont réunis pour défendre un projet inédit : un album de variété interprété par un musulman, un juif et un prêtre catholique.
Ils le savent, le sujet est brûlant. C’est en plein procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher et quelques jours après l’annonce d’un plan contre les séparatismes qu’ils sont chargés de faire connaître leur disque – sept reprises de tubes français et quatre titres inédits, choisis pour leur message fraternel. Une fraternité que le pape François vient d’ériger en urgence, à l’occasion de la parution de son encyclique Fratelli tutti, dimanche 4 octobre. « Un authentique hasard de calendrier », précise François Troller, l’homme à l’origine du projet.
« Le casting n’a pas été simple »
L’idée de faire chanter trois ministres du culte de confessions différentes a germé dans l’esprit de cet attaché de presse musical et de son associée Fati Amar. En 2015, les deux amis perdent cinq proches dans l’attentat du Bataclan. Un an plus tard, ils apprennent, horrifiés, l’assassinat du père Jacques Hamel dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray.
« Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire, nous, dans le monde de la musique, pour montrer que les religions sont autre chose que la guerre », raconte François Troller, lui-même de tradition catholique, mais non-pratiquant. De cette volonté, naîtra en 2017 l’idée de réunir un imam, un prêtre et un rabbin pour chanter des textes de paix.
Mais du concept à sa réalisation, des obstacles ont éprouvé la persévérance de l’attaché de presse. « Le casting n’a pas été simple. Nous n’avons jamais réussi à convaincre un imam de nous rejoindre et nous avons aussi ramé pour trouver un prêtre. » Entre les réticences à s’exposer et les exigences musicales requises pour le projet, trouver les bons candidats relève de la gageure.
« Pas de théologie entre nous »
Finalement, le choix de François Troller s’est arrêté il y a quelques mois sur un trio singulier. Côté catholique, c’est le père Matthieu de Laubier, qui prête sa voix. Cet ancien journaliste, passionné de musique, a été ordonné prêtre en 2017, à 51 ans. « J’ai un peu hésité, car je craignais que le projet nous emporte dans une forme de syncrétisme mais mes doutes ont vite été dissipés », explique le vicaire de la paroisse parisienne Notre-Dame-de-Lorette.
Côté juif, Philippe Darmon, chantre d’origine israélienne, qui anime les offices de la synagogue Buffault, dans le 9e arrondissement de Paris, s’est laissé convaincre. L’équipe s’est étoffée avec le comédien Farid Abdelkrim, « islamiste repenti », ancien membre des Frères musulmans aujourd’hui engagé contre l’intégrisme. « Il y a quelques années encore, si on m’avait demandé de chanter avec un juif qui vient d’Israël, je n’aurais jamais accepté », raconte-t-il, soulignant ainsi que son chemin peut être celui de beaucoup d’autres. (Line : apparemment, il n’y a que le juif qui a été facile à recruter….)
L’amitié, plutôt que la « tolérance »
À les voir se taquiner, s’écouter attentivement, on les croit volontiers quand ils assurent que leur entente a été immédiate : « On ne fait pas de la théologie comparée entre nous, c’est très simple », sourit le père de Laubier. « Vivre ensemble », « fraternité »… Ces termes parfois jugés galvaudés, ils les assument complètement, sans complexe.
« Notre société vit un vrai déficit de naïveté, diagnostique Farid Abdelkrim. On revendique la simplicité du projet, nous savons que nous n’allons pas révolutionner le monde mais notre musique peut toucher ». « Si ces chansons peuvent encourager ne serait-ce que deux croyants de religions différentes à se découvrir, alors nous aurons déjà gagné », renchérit Philippe Darmon.
En revanche, ne parlez pas au trio de « tolérance », « cette façon d’être ensemble à minima, de se supporter tant bien que mal », selon les mots du père de Laubier. « Je préfère les termes “respect” et “amitié” qui sont plus positifs », abonde Farid Abdelkrim. Car, il ne s’agit pas pour ce trio de quinquagénaires que d’exemplarité. C’est aussi pour ces hommes une démarche spirituelle. « C’est parce que je suis ancré dans le Christ que je suis appelé à regarder avec amitié Philippe et Farid », estime le père de Laubier.
Quand les consignes sanitaires le leur permettront, les trois hommes aimeraient se produire en concert, notamment dans des églises, mosquées et synagogues. Leur envie de se côtoyer sur scène est manifeste.
Un album de variété à trois voix
L’album Ensemble. Liberté, produit par Bayard Musique (19,90 €), comporte onze titres de chanson française : sept reprises et quatre créations originales. Les paroles de la première chanson du disque, Pour le ciel, ont été écrites par Marc Lavoine. La dernière chanson, À l’unisson, a été coécrite par les trois chanteurs, qui, chacun dans un couplet, expriment leur profession de foi. Le trio reprend des titres d’un large répertoire de chanson française (Michel Berger, Michel Fugain…), qui expriment un message humaniste.