Le best-seller de Yuval Noah Harari sur la naissance de l’humanité est adapté en BD. Cet album sort en simultané dans une trentaine de pays. Du jamais vu pour un ouvrage franco-belge.
Pourquoi les êtres humains, et non les éléphants et les hippopotames, ont-ils marché sur la lune? Aussi farfelue soit-elle, cette question reste un des plus grands mystères de la science. Elle est au cœur de Sapiens (2011, Albin Michel), où l’historien israélien Yuval Noah Harari raconte la « révolution cognitive » à l’origine de la suprématie humaine sur les autres espèces.
Cette question est toujours d’actualité dans l’adaptation en BD de ce best-seller vendu à plus de 15 millions d’exemplaires: « On ne sait toujours pas pourquoi, il y a environ 70.000 ans, nous et non les hippopotames avons obtenu des facultés cognitives nous permettant d’inventer des fictions, mais notre BD revient sur tous les enjeux et les conséquences de cette fameuse ‘révolution cognitive' », explique le scénariste David Vendermelen, qui s’est allié pour l’occasion à son vieux compère Daniel Casanave, spécialiste comme lui de la vulgarisation scientifique et historique en BD.
Cette dimension a contraint l’équipe à porter une attention supplémentaire à chaque aspect du récit, afin que l’ouvrage soit le plus universel possible, ajoute Martin Zeller: « La volonté d’être lu et compris dans des pays et des cultures très différentes est au cœur du projet. Ca a donc évidemment un impact sur la manière de travailler. La narration, le dessin et les couleurs ont été pensés afin de parler à des publics qui ne sont pas des lecteurs de BD. »
« Avec nos albums précédents, Daniel et moi avions pour habitude de ne pas trop penser à l’international. Nous faisions des albums pour le marché francophone, et si nos livres étaient traduits, ils l’étaient généralement pour le marché européen », renchérit David Vandermeulen. « Ici, c’est très différent, notre BD est disponible sur cinq continents, traduits en 30 langues et présents dans une soixantaine de pays. Heureusement, Yuval nous a beaucoup appris. En découvrant les ébauches des planches il nous disait parfois: ‘Ici, cette idée risque de ne pas être bien comprise en Inde ; là, cette représentation pourrait blesser en Australie…’ Très vite, nous avons intégré ces remarques. »
Harari a été présent tout au long du processus de création: « Nous sommes allés, il y a un an, Martin Zeller, David et moi à Tel Aviv pour rencontrer Yuval et son équipe. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque Yuval s’est réellement impliqué dans le scénario et la réalisation de l’album! », se souvient Daniel Casanave. « Bien que peu connaisseur de la bande-dessinée, il nous a enchantés par ses propositions et ses envies. Son esprit alerte a très vite compris les possibilités narratives qu’offre le médium bande-dessinée. »
Pastiche de roman policier et de peintures
Pour raconter la disparition des grands animaux, le récit prend ainsi des allures de roman policier: « L’idée est née en y réfléchissant avec Yuval », raconte David Vandermeulen. « Pour écrire ce passage, il nous avait dit qu’il avait envisagé son chapitre comme une enquête. Il n’en fallait pas plus pour que cela m’inspire et que je situe l’action dans le milieu policier new-yorkais. » « Nous avons voulu profiter des incroyables capacités de l’écriture en bande dessinée à véhiculer des concepts pour permettre à un lectorat extrêmement large de découvrir Sapiens« , commente de son côté Martin Zeller.
Afin de mieux faire comprendre une notion aussi abstraite que la révolution cognitive, ils ont donc inventé une figure imaginaire, le super-héros Doctor Fiction, et ils se sont amusés à pasticher des œuvres cinématographiques (La Planète des Singes, Les Temps modernes) et picturales: « J’ai toujours aimé, dans mes albums précédents, faire des références discrètes ou appuyées, à l’histoire de l’art », glisse Daniel Casanave. « Dans son scénario, David proposait différents clins d’œil à des œuvres telles que celles de Picasso, Poussin, Magritte…, et j’en ai ajouté quelques-unes comme Caspar David Friedrich, Millet… »
BD de vulgarisation oblige, c’est Yuval Noah Harari qui endosse le rôle du narrateur, à l’image de Maestro dans Il était une fois: « Dessiner Yuval nous aide surtout à réduire au maximum les cartons récitatifs », précise David Vandermeulen. « Nous voulions que la parole soit incarnée. » Il est accompagné par une galerie de personnages, dont la professeure Saraswati, inspirée par la déesse hindoue de la connaissance, qui personnifient « les questions anthropologiques, la religion ou la biologie. »
Remettre en cause les idées reçues
Adapter Sapiens en BD permet aussi de toucher un public différent et tout aussi que celui du livre. Son objectif est de permettre à chacun de remettre en cause les idées reçues. Une ambition affichée dès la couverture des éditions française et américaine, où une femme noire préhistorique peint un bison sur un mur. Une idée de Harari, révèle Daniel Casanave, pour rappeler « que [les Homo] Sapiens arrivent d’Afrique, et que l’histoire de l’humanité est aussi l’histoire des femmes. »
« L’une des choses que Harari expose dans Sapiens est que d’une part on n’a pas de connaissances extrêmement précises sur les habitudes sociales des premiers humains, et d’autre part que ces habitudes étaient très probablement extrêmement variées d’un groupe à l’autre. Alors pourquoi supposer que les artistes de l’époque étaient nécessairement des hommes? », complète Martin Zeller.
J’ai lu et relu son livre, c’est admirable son point de vue sur le monde, si la B.D. est de la même veine sa promet !