Nous vous proposons à travers ce billet de découvrir la mémoire des fêtes juives qui interviennent dans la foulée de Yom Kippour. Il est désormais bien loin le temps où, à pareille époque de l’année, le quartier de Lafayette frétillait de joie…
Mon enfance s’est déroulée à Tunis, d’abord rue de Sparte (centre ville) puis rue Rochambeau, dans ce fameux quartier Lafayette, à deux pas du marché du même nom. Je me souviens encore après toutes ces années combien la vie y était douce…….
Après Kippour, la joie est de retour…
Tout le Tunis de la hara et des rues environnantes s’apprêtait alors à sortir du jeûne de Yom Kippour et des rigueurs de cette fête pour s’ouvrir à la joie de Souccoth puis celle, tout aussi grande de Simhat Torah.
Bien sûr, ils sont encore quelques uns, trop rares, à célébrer ces fêtes juives d’une communauté quasiment évanouie. Mais de Lafayette à Djerba, de la Goulette à Sousse et Sfax, la ferveur sera bien présente, vivace, entretenue par la foi inébranlable des minorités.
Les palmiers de Gambetta et du Belvédère
Cette année, Souccoth sera célébré du 4 au 11 octobre avec une pleine lune au rendez-vous du quinzième jour du mois hébraïque de Tichri. Cette fête juive est inséparable de mon expérience personnelle et, toujours, je l’attends avec impatience et nostalgie.
C’était à la fin des années soixante lorsqu’arrivait Souccoth… Avec nos camarades juifs, c’était alors une équipée fantastique à la recherche de branches de palmiers, qui nous menait aussi bien à Gambetta qu’au Belvédère.
La soucca de nos rêves
C’est qu’il fallait construire une soucca, une cabane de branchages qui, sept jours durant, resterait dans la cour ou le balcon. Sans nous soucier outre mesure du caractère religieux de la fête, nous autres enfants rêvions alors des promesses de cabanes qui nous projetaient dans le monde virtuel des bungalows de Zembla ou Akim ou encore parmi les trappeurs de Blek le Roc.
Ygal, Victor, Zembla et Blek le Roc
Avec Ygal et Victor, nous écumions les marges de la ville, réunissant branchages et feuillages, construisions notre petite hutte et attendions le jour fatidique pour dormir sous la soucca.
Je crois que je n’oublierai jamais ces moments si simples et enfantins, devenus des repères de fraternité dans ma vie d’adulte. Je n’oublierai ni Ygal, fils de Mardoché détaillant de la rue Arago, ni Victor, fils de Gagou, boucher casher de la Hafsia. Ils sont toujours là et me manquent énormément…
Pour revenir à Souccoth et aux significations de cette fête dont le cycle d’une semaine commence ce dimanche, je soulignerai d’abord la symbolique de cette célébration qui invite les juifs à séjourner, étudier, manger et dormir sous une hutte pendant une semaine.
Les huttes de l’errance et l’éphémère de nos vies
Souccoth nous rappelle que tout est éphémère, y compris notre propre maison. Cette fête est celle de notre précarité essentielle face au destin, notre dépendance d’un Dieu omniscient et omnipotent.
Cette fête a un caractère joyeux et aussi des significations historiques et agricoles. En effet, Souccoth est associé à l’errance du peuple juif dans le désert, sur le chemin de la Terre promise. C’est en souvenir des huttes de l’errance que sont construites les fragiles cabanes de Souccoth, ces cabanes sans autre toit que des branchages qui laissent passer la lumière des étoiles.
Dans un coin de jardin, un balcon ou une terrasse, la soucca est le symbole de toute précarité existentielle et il est commandé aux juifs d’y séjourner une semaine durant.
Les récoltes d’automne
Souccoth a aussi une signification agricole car la fête intervient avec les récoltes d’automne. De ce fait, il s’agit aussi d’une action de grâce pour l’année écoulée et une promesse pour l’année à venir.
Cette dimension agricole culmine avec l’usage du « loulav » pour les prières. Il s’agit d’un bouquet composé de branches de palmier, de saule et de myrte qu’on tient dans la main droite alors que la gauche tient un cédrat.
Le « loulav » et ses symboles
Ce loulav est agité de haut en bas et vers tous les points cardinaux pour signifier la présence immanente du divin. Chacun des composants a de plus une signification précise: le palmier symbolise l’épine dorsale, le saule la bouche, la myrte les yeux et le cédrat le cœur.
Enfin, Souccoth est avec Pessah et Chavouot, l’une des trois fêtes de pèlerinage. Cette fête des cabanes ou des tentes est aussi « la » fête. A ce titre, on se contente parfois de la nommer simplement « hag », autrement dit la fête.
De Chmini Atzeret à Simha Torah
Souccoth se clôt avec une double célébration de rituels qui lui sont associés mais demeurent indépendants. C’est d’abord Chmini Atzeret qui consiste en la clôture du huitième jour, après le début de Souccoth et intervient le 22 Tichri.
Le lendemain, c’est au tour de la fête de Simhat Torah de faire son avènement, le 23 Tichri. Cette fête joyeuse de la Joie de la Torah marque la fin du cycle annuel des lectures hebdomadaires de la Torah et son nouveau recommencement.
Lors des prières vespérales, les rouleaux de la Torah sont portés par les fidèles qui tourneront sept fois autour de la « bimah » de leur synagogue. Tournant autour de l’estrade de lecture, les fidèles chantent et dansent après chaque boucle.
Les fiancés de la Torah
Cette célébration de Simha Torah est riche de plusieurs traditions parmi lesquelles celle des fiancés de la Torah, les « hatanim » qui incarnent la coutume selon laquelle les cycles de lecture du texte sacré ne doivent jamais s’interrompre.
Ainsi, le « hatan Torah » lira la dernière section et sera tout de suite relayé par le « hatan béréchit » (le fiancé du début) qui lira la première section du texte sacré invitant l’assistance à ne jamais se lasser de lire et relire la Torah.
Le souvenir de tant de souvenirs
Avec Souccoth, Chemini Atzeret et Simhat Torah, ce sont des jours de fête à Lafayette que je voudrais évoquer avec une pensée à tous mes amis dans la communauté juive de Tunisie.
Ces jours de fête, j’y ai souvent participé avec le cœur et ils me lient pour toujours à la scène de mon enfance et à l’atmosphère unique et au souvenir qui irradient les rues de Paris, de Londres et de Lafayette.
En écrivant, je repense à Manino, Khamous, le Novelty et le Robinson, la rue de Madrid et l’ombre de Habiba Messica, Ygal et Victor bien sûr, et tous les autres qui gardent cette joie de Tunis au fond de leur cœur et au bord de leurs mémoires.
Hannouka et la promesse des lumières
Après le temps de Souccoth, viendra celui de Hannouka et des Lumières. Que rendez-vous soit pris pour de nouveaux jours de fête qui se poursuivront du 24 décembre au jour de l’an grégorien.
Hag Souccoth Sameh! Bonne fête et que règne encore et toujours notre joie à Lafayette…
Hatem Bourial