Trois pacifistes palestiniens doivent être jugés par un tribunal militaire du Hamas pour avoir organisé une conversation en ligne avec des Israéliens. Une affaire symptomatique du durcissement des attitudes palestiniennes dans le contexte des accords de normalisation arabes avec l’Etat hébreu.
Jusqu’à dix ans de prison et de travaux forcés. C’est ce que risquent trois pacifistes palestiniens, accusés par le Hamas d’avoir «affaibli l’esprit révolutionnaire» en organisant un webinaire anti-blocus auquel s’étaient connectés des activistes israéliens. Détenus depuis près de six mois, ils seront jugés par un tribunal militaire du mouvement islamiste, ne leur laissant pratiquement aucune chance d’obtenir un procès équitable, comme s’en est indigné le Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR), qui les défend et a rendu publiques les charges retenues contre eux jeudi.
Durant le confinement d’avril dernier, Rami Aman, journaliste de 36 ans et fondateur du Comité de la jeunesse de Gaza, lance sur l’application Zoom un «Skype avec ton ennemi», auquel se greffent près de 200 participants. S’adressant aux quelques jeunes Israéliens de gauche présents sur l’appel, il les implore «de se faire élire, d’aller à la Knesset», le parlement israélien, afin de changer la situation des habitants de l’enclave palestinienne sous blocus israélo-égyptien depuis plus d’une décennie.
Très médiatisée, l’initiative fait du bruit sur les réseaux palestiniens, où elle est condamnée par plusieurs figures «anti-normalisation», s’opposant à tout contact avec les Israéliens, quel que soit leur bord politique. Le ministère de l’Intérieur du Hamas lance alors une vague d’arrestations contre le groupe, accusé «d’activité normalisatrice». Huit personnes, dont une femme, se retrouvent alors sous les barreaux. Ce n’est pas la première fois pour Rami Aman : un an plus tôt, celui-ci avait été embastillé une quinzaine de jours pour avoir organisé une course de vélo des deux côtés des barbelés frontaliers. Cinq membres de groupe seront finalement relâchés, mais pas le trio, accusé de «collusion avec l’ennemi».
«C’est une façon de criminaliser tout contact avec Israël»
«Il semblerait cette fois que le Hamas veuille faire de Rami un exemple, note John Lyndon, directeur exécutif de l’Alliance pour la paix au Moyen-Orient (Allmep), réseau d’une centaine d’ONG dont fait partie le Comité de la jeunesse de Gaza. L’affaire est d’autant plus sensible aujourd’hui dans le contexte actuel des accords de normalisation entre Israël et les Emirats arabes unis : pour le Hamas, détruire la vie de Rami serait un moyen facile de marquer des points politiques.» Pour Human Right Watch, l’affaire «s’inscrit dans une série d’arrestations arbitraires par le Hamas, visant des militants usant de leur liberté d’expression pacifiquement».
Le Hamas utilise à l’encontre des activistes un vieil article pioché dans la «loi révolutionnaire» de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dont le mouvement islamiste n’a pourtant jamais fait partie. «C’est la première fois que l’on voit ça, note Lyndon. Certes, ce n’est pas l’accusation de « collaboration », passible de la peine de mort, et qui a été appliquée dans le cas de contact de membres des groupes armés avec les renseignements israéliens. Mais c’est une façon de criminaliser tout contact avec la société civile israélienne, ce qui est absurde et n’est d’ailleurs pas interdit par la loi palestinienne. Rami cherchait simplement un moyen de s’adresser directement aux Israéliens, qui sont mal informés sur ce qui se passe à Gaza et ignorent souvent la réalité du blocus.»
«Cette affaire n’est pas une simple anecdote»
Les soutiens de Rami Aman alertent par ailleurs sur son état, qui se serait détérioré dans les geôles du Hamas. «Nous sommes très inquiets, car il est devenu « célèbre » avec cette affaire et que la nature du crime dont on l’accuse le met en danger en prison», ajoute Lyndon, qui déplore le manque d’engagement des chancelleries européennes, qui s’interdisent tout contact avec le Hamas, listé comme une organisation terroriste. «Cette affaire n’est pas une simple anecdote dans le conflit israélo-palestinien, elle doit être traitée dans le cadre de la défense de la liberté d’expression dans le monde arabe», insiste l’humanitaire.
Dans le même temps, en Cisjordanie, dans les Territoires sous le contrôle de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, rivale du Hamas, la chasse aux «normalisateurs» s’est aussi durcie. Des dizaines de militants liés au «Courant réformiste» de Mohammed Dahlan ont été arrêtés ces dernières semaines. Ce rival d’Abbas, chassé du Fatah et en exil à Abou Dhabi, est accusé par les hiérarques palestiniens d’être l’architecte du rapprochement israélo-arabe, voire de fomenter un coup pour prendre la place du raïs.
Les pouvoirs palestiniens, hamas et fatah, semblent d’accord sur un point : museler, emprisonner et torturer toute voix s’élevant contre leur pouvoir dictatorial!