Si aucun officiel saoudien n’était présent à Washington pour la signature des « accords d’Abraham », des signes d’une volonté de rapprochement avec l’État hébreu transparaissent dans les médias du royaume.
C’est une absence qui en dit long. Aucun officiel saoudien n’était présent hier lors de la cérémonie organisée à la Maison-Blanche pour la signature des « accords d’Abraham » en présence des représentants d’Israël, des Émirats arabes unis et de Bahreïn, sous la houlette du président américain Donald Trump. Le message est clair : si Riyad ne voit pas ces développements d’un mauvais œil, il ne peut pas publiquement s’y associer. Du moins, pour le moment. Officiellement, l’Arabie saoudite reste attachée à l’initiative de paix arabe de 2002 qui conditionne une normalisation avec Israël à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est comme capitale.
« Aller à l’encontre de l’initiative de paix arabe, c’est aller à l’encontre de l’identité politique même de l’Arabie saoudite », observe Aziz Alghashian, professeur de relations internationales à l’Université d’Essex. « En ce sens, une normalisation n’est pas probable dans un avenir proche », poursuit-il.
Riyad observe pourtant de très près ce qui se passe aujourd’hui entre Israël et ses deux voisins du Golfe. Si les Émirats ont leur propre politique mais aussi une vision stratégique qui ne s’aligne pas sur celle du voisin saoudien, il paraît impossible que Bahreïn, dont la sécurité dépend entièrement du royaume, ait pu normaliser ses relations avec Israël sans avoir un feu vert du royaume wahhabite. Signe de sa bonne disposition à l’égard de cette évolution, Riyad a également ouvert son espace aérien aux liaisons entre Israël et les EAU au début du mois.
Les raisons pour le royaume saoudien d’emboîter le pas à ses voisins sont multiples : l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération qui a la volonté de briser les tabous de la région, cristallisée par le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, la montée de la menace iranienne ou encore un certain changement des mentalités en faveur d’un rapprochement avec l’État hébreu. L’équation est toutefois plus délicate pour Riyad que pour ses voisins. L’Arabie doit prendre en compte une opinion publique dont une partie importante est encore hostile à la normalisation. Elle doit également ne pas bousculer les franges les plus conservatrices, déjà en plein chamboulement ces dernières années, alors que la question palestinienne revêt également une dimension religieuse pour le royaume, Jérusalem étant considéré comme le troisième lieu saint dans l’islam. « La proéminence de l’Arabie saoudite dans le monde musulman en tant que gardienne des deux lieux saints pourrait être minée si elle normalise ses liens avec Israël sans accorder quelque chose en retour aux Palestiniens », remarque Eman Alhussein, chercheuse non résidente à l’Arab Gulf States Institute à Washington. « Même si le sentiment nationaliste a énormément augmenté en Arabie saoudite au cours des dernières années, le récit de l’État souligne toujours l’importance de l’islam dans le royaume », souligne-t-elle. L’Arabie a d’autant moins de marge de manœuvre sur cette question que ses principaux adversaires, l’Iran et la Turquie, rivalisent de surenchère pour s’autoproclamer comme les meilleurs défenseurs – en tant que pays musulmans – de la cause palestinienne.
Signes de rapprochement
Le prince héritier Mohammad ben Salmane a pour ambition de transformer profondément la société saoudienne. Tant la vision qu’il promeut que son mode de gouvernance autocratique, qui rompt avec la tradition du royaume, vont lui attirer de nombreux détracteurs. Il pourrait ainsi être tenté de retarder la normalisation avec Israël pour ne pas s’ajouter de nouvelles difficultés à gérer. Son père, le roi Salmane, fait pour sa part partie d’une génération de dirigeants arabes sincèrement attachée à la cause palestinienne. Tant que ce dernier sera vivant, il paraît peu probable que le royaume saute le pas.
Le couple américano-israélien, pour sa part, devrait tout faire pour que la normalisation avec Riyad se passe au plus vite. Dans la péninsule Arabique, le royaume est le « gros poisson » à tous les niveaux (démographique, politique, économique, diplomatique). Une alliance saoudo-israélienne signerait quasiment l’abandon officiel des Palestiniens par les pays arabes.
Les signes de rapprochement se laissent cependant entrevoir alors qu’une pléthore d’articles et d’éditoriaux favorables à la normalisation des liens avec Israël et rappelant la présence historique des Juifs dans le Golfe ont fait leur apparition dans les médias saoudiens ces dernières semaines. Une manière de préparer l’opinion publique à un possible futur rapprochement plus affiché avec l’État hébreu. « Les Arabes du Golfe – les Émirats arabes unis et Bahreïn – ainsi qu’Israël ont surpris et mis en échec l’Iran avec une manœuvre politique incroyable en établissant des relations pacifiques avec les pays voisins de l’Iran, et d’autres pays les suivront », écrit notamment l’ancien rédacteur en chef du journal saoudien Asharq al-Awsat, Tariq Alhomayed, dans un article d’opinion intitulé « Paix… et un coup d’échecs mortel » publié dans le quotidien en ligne Saudi Gazette.
Selon des sources saoudiennes citées par le quotidien israélien Israel Hayom en juin, le royaume aurait également été engagé dans des pourparlers avec l’État hébreu en coulisses depuis décembre dernier pour inclure des représentants saoudiens dans la gestion de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem-Est, actuellement sous l’administration du Waqf dirigé par la Jordanie. Dans ses déclarations hier, Donald Trump a indiqué que « cinq ou six pays » arabes supplémentaires allaient bientôt conclure des accords de normalisation avec l’État hébreu, sans donner plus de détails. Des propos qui alimentent les spéculations : est-ce que le royaume sera dans le lot?
Souhaitons que cela aboutisse au plus vite !