L’historienne Jenny Raflik revient sur l’importance de l’attentat de l’Hyper Cacher pour les juifs de France, déjà victimes d’atteintes antisémites régulières.
Historienne et spécialiste du terrorisme, Jenny Raflik, professeure à l’université de Nantes, a collaboré à Histoire des juifs, un voyage en 80 dates de l’Antiquité à nos jours (PUF), ouvrage collectif qui sera publié le 9 septembre, sous la direction de Pierre Savy. Dans cette longue saga, le dernier repère chronologique retenu est celui de l’attentat contre l’Hyper Cacher, perpétré par Amedy Coulibaly le 9 janvier 2015.
Pourquoi l’attaque de l’Hyper Cacher constitue-t-elle une date importante dans l’histoire des juifs de France ?
Sans doute parce qu’elle se situe au croisement de deux séries chronologiques : celle des attentats commis au cours de l’année 2015 et celle des atteintes relevant de l’antisémitisme qui tue sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale. L’attaque de l’Hyper Cacher intervient après l’assassinat d’Ilan Halimi, en janvier 2006, et l’attentat commis, le 19 mars 2012, par Mohammed Merah contre l’école juive Ozar Hatorah à Toulouse, qui a fait quatre victimes dont trois enfants. Triste litanie qui ne s’arrête pas là. La justice française a reconnu le caractère antisémite des meurtres de Sarah Halimi, en avril 2017, et de Mireille Knoll, en mars 2018.
L’attaque de l’Hyper Cacher revêt un aspect clairement antisémite. L’enquête a d’ailleurs permis d’établir qu’Amedy Coulibaly avait auparavant mené des recherches spécifiquement sur des lieux juifs. La veille, la fusillade de Montrouge a eu lieu près d’une école juive ; ce qui était, semble-t-il, sa cible initiale. Le procès nous en apprendra certainement davantage sur ce point. D’après ce qu’ont rapporté les ex-otages, le caractère antisémite de l’attaque était assumé et revendiqué par Amedy Coulibaly.
Les attentats de janvier 2015 ont suscité une importante émotion et une immense mobilisation. Mais aussi une intense solitude et un désarroi dans la population juive de France…
La grande manifestation du 11 janvier 2015 est double. Elle est populaire et, en même temps, c’est une mobilisation officielle internationale. Dans les deux cas, le soutien aux juifs est nettement affiché (pas si nettement que ça…. Line). Cette journée du 11 janvier se termine d’ailleurs par un hommage à la Grande Synagogue de Paris, rue de la Victoire. Mais cette période est paradoxalement un grand moment d’incertitude pour les citoyens français de confession juive. Il n’y aura jamais eu autant de départs vers Israël qu’en 2015, 8 000 personnes [contre moins de 2 000 par an en moyenne jusque 2012, ndlr]. Un triste record ! Il y a un contraste radical entre le soutien affiché et l’angoisse ressentie. Dans l’histoire des juifs en Europe, la peur d’être assassiné parce que juif fait son retour.
L’antisémitisme est-il, selon vous, une composante majeure du terrorisme islamiste ?
Majeure, je n’en sais rien. Nous n’avons pas encore suffisamment de recul et d’information pour le dire. Donc, je reste prudente. Mais, oui, c’est une composante de ce terrorisme et de la propagande des organisations terroristes. En jouant sur le registre émotionnel, elles utilisent l’antisémitisme comme facteur de cohésion dans les pays arabes par rapport au conflit israélo-palestinien, en appuyant leur rhétorique sur le sort des enfants palestiniens. Thème de propagande parmi d’autres, l’antisémitisme est instrumentalisé dans le recrutement des terroristes. Lors de la vague des attentats de 2015, l’Etat islamique insistait beaucoup là-dessus.
Peu d’ex-otages de l’Hyper Cacher ont accepté de témoigner lors du procès. Cela vous surprend-il ?
Pas vraiment. Ce sont des vies broyées. Il faut respecter leur choix. Certains ont besoin de parler, d’autres de demeurer en retrait. Ressasser ce genre d’événement est très douloureux. En 2020, nous sommes à la fois loin et très proches des faits. Il y a beaucoup de recherches actuellement sur les processus liés à ces traumatismes. Ceux-ci sont semblables à des traumatismes de guerre. Nous commençons à peine à saisir ce qui est nécessaire en termes d’accompagnement. Mais les associations sont actives pour apporter un soutien psychologique ou matériel.