Le judaïsme orthodoxe traditionnel ne reconnaît pas de femmes rabbins. Mais en Israël, elles auront désormais le droit de passer les mêmes tests que les hommes.
« Il y a des choses qui changent, mais tout ne peut pas changer ! » Le conseiller Eliezer Weisz résume en ces termes l’hostilité du Grand Rabbinat d’Israël à la nomination de femmes rabbins. Cet organisme étatique, qui possède jusqu’à présent tout pouvoir sur les affaires juives du pays, de la certification de la nourriture casher au mariage, sera peut-être bientôt contraint de s’adapter à une nouvelle évolution.
Le Grand Rabbinat d’Israël forme l’ensemble des rabbins payés par l’Etat et faisant autorité pour toutes les questions religieuses. Il n’empêche que de très nombreux Juifs d’Israël se revendiquent de courants différents de celui représenté au sein de l’institution : étant donné que le judaïsme n’est pas centralisé, au contraire du catholicisme, de nombreux courants s’expriment. Ainsi existe-t-il quelques organismes orthodoxes (environ sept à travers le monde) qui forment des femmes rabbins, alors même que d’autres communautés au sein de l’orthodoxie s’y opposent.
Le procureur général israélien, Avichaï Mandelblit, a néanmoins annoncé, à la fin du mois de juin, que les examens du Grand Rabbinat devraient désormais s’ouvrir aux femmes, d’une manière ou d’une autre. Il répondait favorablement à une pétition présentée à la Haute Cour de justice israélienne par l’organisation Nashot Halakha (« Les femmes de la Loi juive »), le centre Rackman de l’université Bar-Ilan pour la promotion des femmes, le centre Kolech pour un féminisme orthodoxe, et six femmes rabbins, dont Sarah Segal Katz, Rachel Keren, Deborah Evron et Avital Engelberg. Ces trois organisations et ces femmes sont représentées par le Centre de promotion de la vie juive.
Ces six femmes ont reçu le titre de rabbin de la part d’organismes indépendants du Grand Rabbinat israélien ; par conséquent, elles n’ont pas accès aux avantages auxquels un diplôme étatique leur donnerait droit, à savoir la possibilité d’avoir la charge d’une communauté comme rabbin, emploi financé par l’Etat, mais également une meilleure évolution professionnelle à certains postes de la fonction publique.
« Sexisme et misogynie »
La pétition ne réclame donc pas l’ordination officielle de femmes rabbins, mais la simple autorisation à passer l’examen pour avoir accès à un diplôme universitaire et aux avantages liés. L’Israélienne Avital Engelberg est devenue rabbin en 2015 à New York, après des études au sein de la première organisation juive orthodoxe au monde à avoir ordonné des femmes, la yeshiva Maharat. Elle est ensuite retournée vivre en Israël, où elle dirige actuellement un séminaire pour filles dans un kibboutz du nord du pays. Elle a signé la pétition et explique : « Il ne s’agit pas pour nous de nous saisir des plus hautes positions hiérarchiques, simplement d’obtenir une reconnaissance étatique de nos études. »
Eliezer Weisz, conseiller du Grand Rabbinat, réagit poliment mais avec suspicion à cet argument : « Pourquoi ces femmes passeraient-elles le test, dans ce cas ? D’abord, elles demandent à pouvoir se présenter à l’examen. Et une fois qu’elles l’auront, pourquoi ne demanderaient-elles pas à devenir rabbins ? » Or, selon lui, la tradition juive s’oppose à cette revendication : « Il existe une chaîne de transmission ininterrompue depuis Moïse jusqu’à aujourd’hui. Les femmes y ont leur place, elles peuvent être professeurs… mais pas rabbins. »
« C’est faux ! », s’insurge la philologue Liliane Vana. Talmudiste, spécialiste de la halakha (la Loi juive), elle a toujours défendu la présence des femmes dans l’espace synagogal en France. Elle a notamment fondé un groupe de prière inclusif, LectureSefer, qui organise à Paris des lectures de la Torah et des prières, auxquelles des femmes juives orthodoxes prennent part, devant une salle où hommes et femmes sont présents, séparés par un voile.
« Selon la Loi juive, une femme peut occuper des charges rabbiniques exactement comme un homme, martèle la docteure en sciences religieuses. Elle peut célébrer des mariages, répondre à des questions de halakha… Ceux qui s’y opposent le font par sexisme et misogynie. On ne veut pas de femmes savantes car elles prétendraient à trop de fonctions dans la vie publique. C’est une volonté de conserver un leadership masculin. »
Une autre raison explique par ailleurs la fermeté de cette opposition aux yeux de la philologue : « Dans un contexte de course à l’extrémisme, la discrimination à l’égard des femmes est malheureusement devenue un instrument dans de nombreux courants de l’orthodoxie pour mesurer le degré de rectitude religieuse. »
« Déni de réalité »
En Israël et aux Etats-Unis, un mouvement orthodoxe égalitaire prend pourtant de l’ampleur depuis une dizaine d’années, dans lequel des femmes, soutenues par des hommes de leur communauté, prennent la parole en public à la synagogue, mènent des offices religieux, voire deviennent rabbins. Selon Bitya Rozen-Goldberg, Française issue d’une famille alsacienne pratiquante et devenue rabbin en Israël, où elle vit depuis quinze ans, ce phénomène reste très limité, mais gagne de l’influence : « Des communautés non égalitaires s’inspirent de ce que nous faisons ; il y a de plus en plus de femmes qui participent au rite pour certaines fêtes, comme Pourim. »
En France, en revanche, on assiste selon Liliane Vana à « un déni de réalité : on fait comme s’il n’existait nulle part de femmes rabbins orthodoxes ». Contactée, Yaël Hirschhorn, porte-parole du grand rabbin de France Haïm Korsia, confirme qu’il n’est pas question d’une ouverture du séminaire rabbinique aux femmes. « Mais il existe un centre d’études pour femmes dans la grande synagogue de la Victoire », laquelle abrite le Consistoire israélite de Paris.
Pour l’heure, en Israël, Avital Engelberg et les autres signataires de la pétition attendent que le Grand Rabbinat présente fin octobre une solution afin que des femmes puissent passer un examen reconnaissant leurs études rabbiniques. Début août, la Haute Cour de justice a donné quatre-vingt-dix jours au Grand Rabbinat pour la trouver.
Cet examen sera probablement administré par le ministère de l’éducation ou par celui de l’enseignement supérieur, le Grand Rabbinat s’y refusant – le grand rabbin séfarade d’Israël Yitzhak Yosef a même menacé en juin de faire grève si l’Etat le forçait à faire passer l’examen aux femmes.
Mme Engelberg estime que la réaction si vive du Grand Rabbinat exprime sa crainte plus générale de voir s’effriter son monopole sur les affaires religieuses. Bitya Rozen-Goldberg partage cette opinion : « Il est possible que cette pétition force la main au Rabbinat sur cette question précise, mais elle ouvre surtout le débat sur la fin de son pouvoir exclusif. »
Car en dehors de la question des femmes, le Grand Rabbinat est de plus en plus souvent défié par des certificateurs de casherout indépendants. De nombreux citoyens israéliens juifs athées ou appartenant à des courants religieux diversifiés expriment leur refus de se marier ou de divorcer selon les règles exclusives du Grand Rabbinat.
Une évolution qui rapproche peut-être le rapport israélien à la religion d’une tradition juive plus ancienne, dans laquelle il n’existait pas d’organisme centralisé pour nommer des rabbins ou certifier casher un établissement, mais des relations de confiance, fondées sur l’érudition ou la réputation, au sein de chaque communauté.