Jean-Paul Stahl, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales au CHU de Grenoble, avoue « penser le plus grand mal » de ces manifestants anti-masque.
38 000 personnes ont manifesté à Berlin, selon les estimations de la police, et entre 200 et 300 personnes se sont rassemblées à Paris samedi 29 août pour dénoncer le port du masque, rendu obligatoire dans de nombreuses villes pour lutter contre la crise sanitaire du coronavirus. Invité de franceinfo dimanche 30 août, Jean-Paul Stahl, professeur émérite, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales au CHU de Grenoble, dénonce « une aberration sur le plan strictement médical. » Jean-Paul Stahl estime que « si on est anti-masque, c’est qu’on est pro-maladie, donc pro-séjour en réanimation, voire pro-décès des personnes infectées ».
franceinfo : Que pensez-vous des manifestations qui se sont multipliées contre le port du masque, en Allemagne, en Suisse, au Royaume-Uni, mais aussi à Paris, et qui dénoncent une « tyrannie médicale » ?
Jean-Paul Stahl : J’en pense le plus grand mal. Sur le plan strictement médical, c’est une aberration. Si on est anti masque, ça veut dire qu’on est pro-maladie, donc pro-séjour en réanimation, voire pro-décès des personnes infectées. Ça n’est absolument pas rationnel, d’un point de vue médical.
Craignez vous de voir ce mouvement se développer en France à mesure que les villes imposent de plus en plus le port du masque ?
Probablement. Plus il y a d’obligations, plus il y a de personnes qui sont réfractaires à l’obligation. C’est quelque chose qui est largement répandu, on vient de le voir dans différents pays dans le monde, et malheureusement, j’ai l’impression, plus particulièrement en France. Si on prend aussi l’exemple des vaccins, on a exactement la même chose. La France est malheureusement le pays record du monde pour la défiance envers les vaccinations, ce qui est là aussi totalement irrationnel.
Vous voyez un parallèle entre les anti vaccins et les anti masques.
Je n’ai pas l’expertise sociologique pour dire si c’est les mêmes personnes, mais j’ai l’impression que c’est le même courant de courant de pensée. C’est à dire qu’on est contre ce qui est recommandé pour le bien des autres. C’est une forme d’égoïsme : pour moi, le masque ou le vaccin est une contrainte, donc je n’en veux pas parce que je ne supporte pas la contrainte. Mais on ne regarde pas ce qui se passe autour de soi et on ne regarde pas l’impact que ça peut avoir pour les autres
Faut-il améliorer la communication, la prévention, la pédagogie autour du masque ?
Ce n’est jamais une mauvaise chose. Effectivement, il faut l’amplifier, l’améliorer, la marteler. Mais il faut être aussi sans illusion. On l’a vu également pour les vaccins : il y a une frange très très, très minoritaire de la population qui ne peut pas et qui ne veut pas être sensible aux arguments. Les réseaux sociaux y sont pour beaucoup, à la fois dans l’expansion et dans la lisibilité de cette minorité. Mais il ne faut pas non plus penser que la majorité des Français sont dans cette mouvance.
A Paris, le rassemblement contre le port du masque n’a en effet attiré que 200 et 300 personnes, samedi. 123 personnes ont d’ailleurs été verbalisée pour non port du masque. Est ce que vous pensez que le discours des autorités a manqué de clarté sur le masque ?
Je ne crois pas. Je crois que c’est la complexité de la maladie et surtout sa nouveauté qui a entraîné ces fluctuations dans le discours. Au début, il faut quand même rappeler que tout le monde a raisonné sur le schéma de la grippe parce qu’on n’avait pas d’autre schéma. Pour la grippe, il est parfaitement montré que le port du masque en population générale a très peu d’utilité. Donc, il était tout à fait logique au début de raisonner de cette façon. Et puis après, les connaissances se sont accumulées, montrant que, en particulier, la contamination par les personnes asymptomatiques était beaucoup plus importante que ce que l’on pensait au début. D’où modification de la doctrine. Je crois que c’est plutôt sain, au contraire, qu’il y ait une adaptation des recommandations en fonction des connaissances.
Mais on a quand même parfois du mal à suivre les médecins et scientifiques. Dans les écoles, par exemple, les autorités disent que le masque est obligatoire à partir de onze ans. Et puis, on lit une tribune dans Aujourd’hui en France-Le Parisien d’un collectif de professionnels de santé qui disent qu’il faut rendre le masque obligatoire pour les enfants dès six ans.
C’est difficile de s’y retrouver parce qu’il y a un manque de concertation sur le discours. Six ans ou onze ans, la différence n’est pas si importante que ça. Après, il faut regarder la faisabilité de ce qu’on recommande. Si c’est recommandé pour que ce soit innapplicable, ce n’est pas la peine de le recommander. Je crois qu’il faut se garder des recommandations ou des expressions purement individuelles. Il faut regarder ce que dit l’expertise scientifique et s’y conformer, et confronter cette expertise scientifique à la faisabilité sociale. La combinaison de tout cela conduit à une prise de décision et à une recommandation. Et pour l’instant, je crois que les recommandations sont tout à fait correctes.