Dans les territoires palestiniens, l’ancien chef de la sécurité dans la bande de Gaza est considéré comme un « ennemi » car soupçonné d’un « coup d’État » contre Mahmoud Abbas.
« Le traître ! » Les mots roulent depuis une semaine dans la bouche de responsables palestiniens qui accusent l’énigmatique dissident Mohammad Dahlan, désormais conseiller de l’émir d’Abou Dhabi, d’être l’architecte dans l’ombre de la normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis.
Vendredi 14 août 2020. Au lendemain de l’annonce par Donald Trump d’un accord entre le cheikh Mohammad ben Zayed al-Nahyane, alias MBZ, et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pour normaliser les relations entre les deux pays, de premiers manifestants descendent dans la rue à Jérusalem, Naplouse et Gaza. Les portraits de Netanyahu, MBZ et Trump sont piétinés puis brûlés. Le lendemain, lors d’une manifestation à Ramallah, un quatrième mousquetaire apparaît sur des affiches : Mohammad Dahlan, dont la photo, accolée à celle de MBZ, subit le même sort.
Mohammad Dahlan, 58 ans, n’est pas étranger à la polémique. Ancien chef de la sécurité dans la bande de Gaza, il a été cloué au pilori en 2007 par ses camarades du Fateh, parti du président palestinien Mahmoud Abbas, lorsque ce dernier perd le contrôle de Gaza au profit du Hamas. En 2011, Dahlan est même exclu du comité central du Fateh, après avoir été accusé de « subversion » contre le président Abbas. Et sa maison est perquisitionnée par les forces de sécurité. Le message est clair : il est temps de plier bagage !
Le « parrain » ?
Le dissident voyage puis s’installe à Abou Dhabi, où il porte désormais les habits de conseiller spécial du cheikh Mohammad ben Zayed al-Nahyane, l’un des hommes forts du Moyen-Orient qui vient de parapher un accord de normalisation avec l’État hébreu.
À l’annonce de l’accord, fustigé par les dirigeants palestiniens, plusieurs à Ramallah et Gaza croient voir la signature de Dahlan. « Nous sommes convaincus qu’il est le complice et le parrain de la normalisation entre Israël et les Émirats », tonne Adnan al-Dumairi, porte-parole des services de sécurité palestiniens à Ramallah. Idem à Gaza, dit une source proche du Hamas.
Mohammad Dahlan a-t-il ou non favorisé l’accord entre Israël et les Émirats arabes unis ? Ancien chef du Shin Beth, les services de renseignements intérieurs israéliens, Yaakov Peri, connaît bien Mohammad Dahlan pour avoir coordonné avec lui la sécurité dans cette enclave palestinienne. Et les deux hommes restent en contact à titre « personnel », dit-il. « À Abou Dhabi, il est devenu très proche du pouvoir comme conseiller économique doté d’une bonne connaissance d’Israël (…) mais ceux qui l’accusent pour l’accord entre les Émirats (et Israël) sont dans le tort », dit M. Peri. « Plusieurs Israéliens qui sont passés par Dubaï et Abou Dhabi avant l’accord l’ont rencontré (…) mais il n’est pas vraiment le moteur de cet accord », ajoute-t-il.
À Ramallah, Dahlan reste « l’ennemi » car soupçonné d’un ancien « coup d’État » contre Mahmoud Abbas qui veut encore aujourd’hui « s’assurer qu’il ne revienne pas dans l’arène politique palestinienne », dit l’ancien patron du renseignement israélien.
Soutien mitigé
Des Émirats arabes unis, Mohammad Dahlan prépare-t-il un retour en territoires palestiniens pour succéder à Mahmoud Abbas, 84 ans ? « Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas le bienvenu », souligne M. Peri. « S’il revient, il risque de ne pas rester en vie bien longtemps », résume un autre observateur.
Au cours de la dernière décennie, des partisans de Mohammad Dahlan ont quitté les territoires palestiniens ou en rasent les murs. « Plusieurs politiques le soutiennent, mais ne le diront pas en public car ils ont peur de perdre leur job si cela arrive aux oreilles du président (Abbas) », affirme Dimitri Diliani, un membre pro-Dahlan du Conseil révolutionnaire du Fateh. Mohammad Dahlan compte beaucoup de partisans de l’ombre à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, selon M. Diliani.
Selon un baromètre récent du Centre de recherche palestinien sur la politique et les sondages (PCPSR), les appuis de Mohammad Dahlan restent limités en territoires palestiniens. « Il a environ 15 % (de soutiens) dans la bande de Gaza et 1 % en Cisjordanie », estime Khalil Shikaki, directeur de ce centre. « Qu’il ait ou non joué un rôle dans l’accord ne change rien car il y est à présent associé, et cela ne pourra que fragiliser ses appuis », dit-il.