Diamantaire anversois émérite, pionnier du diamant de couleur, Arthur Langerman a constitué la plus grande collection au monde d’images antisémites avant de la léguer à l’Université technique de Berlin.
Mensch, ou mentsh, mot yiddish issu de l’allemand Mensch. Personne «d’intégrité ou d’honneur». Antonyme: Unmensch, personne qui traite autrui avec cruauté ou sans compassion.
Dès les premiers mois de sa vie, le petit Arthur a été chassé par les Unmensch et sauvé par d’autres Mensch. Né le 21 août 1942 à Anvers occupée («quelle idée saugrenue», sourit-il), où ses parents juifs d’origine polonaise, Zysla (Cécile) Blajwas, modiste, et Salomon Langerman, fourreur, mariés en 1941, étaient arrivés en 1926. En 1940, parents et grands-parents fuient en France, jusqu’à un village près de Bordeaux. Les nazis les amadouent, leur promettent la vie sauve s’ils rentrent. «La mère de ma mère a fait: ‘La Kievitstraat me manque. Rentrons.’» Depuis lors, cette crédulité le hante.
Le 28 mars 1944, la Gestapo arrête ses parents, déportés à la caserne Dossin (Malines), puis à Auschwitz. Sentant la fin proche, les Allemands confient Arthur à la pouponnière rue Baron de Castro (Etterbeek), gérée par la SIPO-SD dirigée par Karl-Constantin Canaris, neveu de l’amiral de l’Abwehr, Wilhelm Canaris. Une intervention de la Reine Elisabeth aurait suspendu la déportation d’une centaine de bébés, dont Arthur.
Frappés de la mention « Juif – Jood »
Récemment, peu avant son décès, une monitrice de ce home a envoyé au Musée juif de Bruxelles un album de photos où Arthur s’est reconnu. Il l’a montré à l’actuelle propriétaire espagnole de la demeure, qui n’a eu de cesse de rechercher les enfants accueillis là. Parmi les reliques de son enfance, il garde aussi un portrait de groupe avec les autres petits de la rue Baron de Castro et les cartes d’identité belges de ses parents, grands-parents, oncles et tantes, frappées de la mention «Juif – Jood».
Salomon, son père, meurt en déportation. Lors de la Selektion au bout de la rampe d’Auschwitz, l’officier nazi, sans doute Mengele, envoie Cécile à droite (la mort), se ravise et lui indique la gauche. Rescapée, trop faible à son retour pour reprendre Arthur, elle le laisse placé chez un couple protestant à Jumet, près de Charleroi, avec son cousin Arnold, orphelin. Il offrira plus tard une sépulture au couple, Edmond Houyoux et Emilia Sevrin, qui seront faits «Justes parmi les Nations».
En 1946, il retrouve sa mère. En 1948, elle donne naissance à son frère Theo, mais son deuxième époux (à la famille également décimée) meurt accidentellement en Argentine. Remariée, Cécile aura une fille, Jacqueline, en 1956, et meurt en 1976.
Collectionnite
«Le collectionneur est un malade qui n’a qu’une idée en tête. Il veut un objet, doit absolument l’avoir, quitte à ne plus jamais le voir.» Collectionneur de vases de Murano, Langerman passe un soir devant une vitrine milanaise, sonne, le marchand lui ouvre en pyjama. «Il me faut cette pièce», lui dit-il. L’autre annonce son prix, il le paie. À son retour, il range le vase dans une vitrine et n’a plus posé un œil dessus. Il n’en conserve pas moins plusieurs dizaines de ces verres de Murano au premier étage de sa maison uccloise, pièces dignes de Joan Mirò ou des Shadoks.
Atteint de collectionnite dès 6 ans, il commence par les billes puis ce sont les timbres, les montre-goussets, les netsuke (les boutons de kimono en ivoire), la BD (plus tard, Jean Van Hamme le transformera dans «Largo Winch» en Art Longman, agent du Mossad).
À 15 ans, il doit quitter l’école pour aider sa famille et se forme: il devient cliveur de diamants dans le bureau anversois d’un cousin américain. «Le diamant, c’est du carbone, donc du bois et, comme le bois scié ou fendu, le diamant est clivé, c’est-à-dire fendu.» Un jour, en 1965, taillant une pierre, un reflet cognac le fait tomber amoureux du diamant de couleur, alors peu prisé. Avec le temps, la valeur de cette variété de diamants a centuplé, et il en possède la plus grande collection au monde.