Les militaires, chargés de la logistique du camp de Cercottes (Loiret), ont été mis en examen. La justice penche pour un règlement de comptes d’ordre privé.
Les espions ont beau soigner leur image, y compris dans des séries télé, il y en a toujours un pour gâcher la fête. Trois militaires parachutistes affectés à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) viennent, à eux seuls, de ruiner des années d’efforts de communication. Ils dépendaient de la garde du camp de Cercottes (Loiret), base du service action de la DGSE chargé des opérations clandestines.
Mis en examen, le 28 juillet, au tribunal de Paris, les trois hommes sont suspectés de tentative d’assassinat. Après avoir hésité entre l’hypothèse d’un malentendu lié à un exercice d’entraînement et un « contrat » réalisé pour un tiers extérieur à la DGSE, comme cela s’est déjà produit, la justice penche désormais pour un règlement de comptes d’ordre privé. Comme l’a indiqué Le Parisien, lundi 3 août, ces militaires sont également poursuivis pour « vol de voiture, détention d’arme et association de malfaiteurs ».
Tout a débuté le 24 juillet, en pleine journée, à Créteil, dans le Val-de-Marne. Des policiers de la sécurité publique patrouillent quand leur attention est attirée par le comportement suspect de deux hommes habillés en noir dans une voiture à l’arrêt. Après vérification de son immatriculation, il apparaît que le véhicule a été déclaré volé. Les policiers interviennent et découvrent un collage de deux plaques l’une sur l’autre ainsi qu’une arme à feu. Les deux individus sont alors interpellés et placés en garde à vue.
Les intéressés vont vite décliner leur identité et leur âge ; 25 et 28 ans. De source proche de l’enquête, on indique que ces militaires du rang ne sont pas des membres à part entière de l’unité opérationnelle de la DGSE, le service action, dont les membres, plus âgés, sillonnent le monde pour des opérations clandestines. Ceux-là appartiennent à la Compagnie de commandement et de logistique (CCL), chargée du soutien apporté aux gros bras de la DGSE : sécurité du camp de Cercottes, pliage des parachutes, cuisine, etc. Les rares missions extérieures confiées à ces hommes, habilités « secret-défense », se limitent à des déplacements pour sécuriser des ambassades à l’étranger.
Interrogés dans le cadre de l’enquête de flagrance, ces militaires ont reconnu avoir participé à un projet hostile concernant indirectement une femme qui résidait près de l’endroit où s’est produite leur arrestation. Cette personne, auditionnée à son tour, a confirmé l’existence d’un différend et d’un contexte menaçant sans pour autant en expliquer la raison. Enfin, les deux suspects ont fini par révéler aux policiers le rôle joué par un troisième militaire dans la préparation de cette opération. Egalement affecté à la garde du camp de Cercottes, ce dernier a été interpellé le 26 juillet et déféré le même jour que ses complices. Tous trois ont été incarcérés.
Dimension « privée » de l’affaire
Au regard de leur appartenance à la DGSE, le parquet de Créteil s’est dessaisi au profit du tribunal de Paris et le dossier a été confié aux policiers aguerris de la Brigade criminelle de la préfecture de police de Paris. D’après nos informations, le parquet de Paris a pris attache avec la DGSE avant d’ouvrir l’information judiciaire, afin d’y voir plus clair sur le profil des personnes arrêtées. Le renseignement extérieur français aurait d’emblée conforté la justice parisienne sur la dimension « privée » de cette affaire et aurait coupé court à tout autre scénario. Ce refus de couvrir les trois militaires aurait conforté le parquet de Paris dans sa décision de confier rapidement cette affaire à un juge d’instruction. L’enquête de flagrance peut en effet durer huit jours.
La judiciarisation d’affaires visant des agents de la DGSE n’est pas chose aisée. Face aux services secrets, la justice ne sait jamais vraiment à quoi s’en tenir. Le 12 septembre 2018, le parquet de Lyon estimait avoir déjoué une opération visant à assassiner, en France, le général congolais Ferdinand Mbaou, opposant au président Denis Sassou-Nguesso. Daniel Forestier, ex-agent de la DGSE, et Bruno Susini, un collaborateur occasionnel du service, avaient été mis en examen pour « participation à une association de malfaiteurs » et « détention d’explosif ». Six mois plus tard, Forestier était tué par balle en Haute-Savoie et l’affaire classée sans suite. Elle vient d’être rouverte, en juillet, après une plainte avec constitution de partie civile de M. Mbaou. L’enquête sur l’assassinat de Daniel Forestier est, elle, au point mort.
En novembre 2010, le parquet de Toulouse recevait la plainte du PDG d’une grande compagnie aérienne chinoise qui avait surpris par hasard trois personnes dans sa chambre d’hôtel. L’une d’elles fouillait son attaché-case pourtant sécurisé. Poursuivies par l’entrepreneur chinois et des membres de sa délégation, elles ont pris la fuite en oubliant un ordinateur portable et du matériel d’effraction. La police judiciaire a bouclé son enquête sans les identifier. Il faut dire qu’entre-temps, le renseignement intérieur avait fourni des explications au parquet de Toulouse, notamment sur l’appartenance des ces trois personnes à la DGSE. Pour éviter ce type de malentendu, lors des entraînements de ses agents sur le territoire français, la DGSE délivre des cartes dites « d’exercice » à présenter aux policiers, au cas où…