Un nouveau cercle d’étude a rassemblé, ce mois de juillet à Paris, une jeunesse juive en quête d’une pratique exigeante de sa religion, mais ouverte à davantage de mixité homme-femme. Une ligne que le judaïsme institutionnel français ne propose pas pour l’instant.
Un grand appartement loué sur Airbnb, en plein cœur de Paris. C’est le cadre informel qu’ont choisi Émile et Myriam Ackermann pour lancer cet été le « pilote » de leur future communauté rabbinique. Ces époux de 24 ans forment un duo atypique : ils étudient tous les deux à New York pour devenirs rabbins, bien que cette fonction soit inaccessible aux femmes dans le judaïsme orthodoxe dont ils se revendiquent.
Leur néo-communauté estivale intitulée « Base » (une émanation française d’un concept déjà présent à Berlin et Manhattan) a proposé tous les soirs de juillet des cours d’études bibliques, des conférences, suivis de moments conviviaux. « Nous visons les jeunes juifs qui, sortis des mouvements de jeunesse et rentrés dans la vie active, voient des synagogues institutionnelles désertées par les gens de leur âge », expose le couple Ackermann.
Le défi est majeur pour le judaïsme dans l’Hexagone. Près de 80 % des Français de confession juive n’auraient pas de vie cultuelle car ils ne se retrouvent pas dans les instances religieuses officielles, selon les estimations du mouvement libéral Judaïsme en mouvement. Les deux futurs rabbins français à l’origine de cette communauté ne seront ordonnés qu’en 2023. Mais ils travaillent pourtant à populariser un mouvement encore embryonnaire en France, déjà populaire aux États-Unis : « l’orthodoxie moderne ». Ce sont d’ailleurs des mécènes juifs américains issus de ce courant qui financent le cercle d’étude éphémère des Ackermann.
Cette sensibilité revendique l’intensité de la pratique de l’orthodoxie classique (prière, étude, respect des lois juives) mais aussi une place plus grande pour les femmes et la communauté juive LGBT. Une ligne qui n’existe pas pour l’instant dans le judaïsme institutionnel français, incarné par le Consistoire israélite de France.
L’institution orthodoxe réserve aux pratiquantes une place périphérique dans la vie juive, et son offre pour les jeunes adultes reste limitée. « C’est vrai que pour les jeunes, on ne sait pas bien faire, il y a un trou dans la raquette », reconnaît un rabbin du Consistoire, sous le couvert de l’anonymat. Mais c’est aussi l’approche « égalitaire » homme-femme qui séduit de jeunes juifs passés par la communauté du couple Ackermann cet été. « La séparation homme-femme dans les synagogues orthodoxes finit par créer un décalage avec la vie très mixte qu’on mène pendant nos études », note Nessi Gerson, 23 ans, étudiant en sciences politiques. « Beaucoup de pratiquantes se posent des questions, confirme Anna Gourdikian, 26 ans, cofondatrice du cercle d’étude Ladaat (savoir). Cette communauté permet d’allier respect de la tradition et davantage de place pour les femmes dans la vie juive. »
Dans la communauté Base, plusieurs sensibilités du judaïsme français se sont côtoyées pendant quelques semaines. De jeunes juifs orthodoxes, libéraux, l’ancien grand rabbin de France Gilles Bernheim ou la militante féministe Daria Marx s’y sont succédé, le temps d’un cours, d’une conférence, ou d’un repas. « On ne peut pas continuer avec le modèle d’exclusion des femmes si on veut continuer à transmettre le judaïsme, plaide Myriam Ackermann. Nous ne présentons que des options qui sont fidèles à la Loi juive et nous évaluerons au fur et à mesure jusqu’où le public français est prêt à nous suivre. »
De fait, quand cette dernière a procédé un soir de shabbat au « kiddouch » (la bénédiction rituelle d’un repas), pratique traditionnellement réservée aux hommes mais théoriquement autorisée aux femmes par la Loi juive, l’innovation a bousculé un fidèle, qui n’a pas caché un certain « malaise ». « Mais il n’est pas parti pour autant », souligne, satisfait, Émile Ackermann.
En privé, quelques rabbins orthodoxes interrogés par La Croix expriment leur sympathie pour l’émergence de ce « jeune judaïsme ouvert », mais réclament la discrétion pour ne pas froisser leur institution. « Le Consistoire est à fleur de peau car il perd peu à peu son leadership, au profit des libéraux comme des loubavitchs », analyse un président de communauté orthodoxe. Pour le jeune couple, le pari communautaire est « réussi » et cette première expérience servira de point de départ à la communauté qu’il souhaite créer à son retour des États-Unis. Tout en reconnaissant des points d’amélioration. « Maintenant, projette Émile Ackermann, notre défi est d’insuffler peu à peu plus de vie religieuse à un cercle de jeunes qui s’est d’abord construit sur le côté intellectuel et convivial. »
Héloïse de Neuville