Durant la Seconde guerre mondiale, le ghetto de Varsovie, le plus important ghetto juif au sein des territoires d’Europe occupés par les nazis, parvient à endiguer une épidémie de typhus, alors que la faim, le froid et la terreur font rage.
Varsovie, 1940. Dans le plus important ghetto juif d’Europe créé par l’Allemagne nazie, la faim et le froid font rage. 450.000 Juifs, soit environ 40% de la population de la ville, vivent dans des conditions insalubres. Ils ont été placés par les autorités allemandes sur une surface d’environ 8% de la superficie de Varsovie, autour de laquelle un mur d’enceinte a été construit. Dénutrition, terreur nazie, tuberculose, la population subit des conditions de vie effroyables.
A cela s’ajoute le typhus, à l’époque une maladie endémique en Europe de l’Est. Transmise par les poux et les puces, elle provoque une forte fièvre ainsi que des éruptions cutanées. Durant la Seconde guerre mondiale, entre 30 et 40 millions de personnes sont contaminées en Russie. Entre 3 et 5 millions en mourront. L’épidémie s’étend aussi aux camps de concentration, où des centaines de milliers de prisonniers mourront de cette maladie, comptant parmi eux Anne Franck. Mais à l’époque, à Varsovie, la population s’organise malgré tout et parvient à endiguer le typhus, selon une récente étude publiée dans la revue spécialise Science.
La peur de la transmission du typhus, prétexte pour un génocide
« La peur de la transmission du typhus en Allemagne durant la Seconde guerre mondiale a été utilisée comme prétexte par les Nazis pour isoler la population juive dans des ghettos et commettre un génocide« , expliquent les auteurs de l’étude. Dans le ghetto Juif de Varsovie, bondé et souffrant du manque de nourriture, de savon et d’eau, la maladie se propage alors facilement via les poux. Mais d’immenses efforts vont être déployés pour essayer de stopper la maladie, à commencer par la sensibilisation et l’information des prisonniers à cette pathologie.
« L’éducation sanitaire et l’hygiène sont devenus des sujets majeurs. De nombreux cours d’hygiène ont été initiés, traitent de l’hygiène publique mais aussi des maladies infectieuses. Plus de 900 personnes prenaient parfois part à ces cours. Des centaines de lectures publiques ont été organisées au sujet du typhus. Une université clandestine a été mise sur pied afin d’entraîner de jeunes étudiants en médecine. Et des études scientifiques sur la famine et les épidémies ont été lancées. » En parallèle, l’hygiène de la vie quotidienne a été particulièrement renforcée. « La propreté des bâtiments et des logements était encouragée, voire souvent forcée. La distanciation sociale était considérée comme du bon sens de base par tous, même si elle n’était pas forcée. L’isolement chez soi a été mis en place. »
Toutes ces mesures contribuèrent à éviter la transmission de la maladie à de plus de 100.000 résidents du ghetto, empêchant ainsi des milliers de morts du typhus, écrivent les auteurs. « Il s’avère que le ghetto de Varsovie comptait beaucoup de docteurs, avec même un scientifique nommé pour le Prix Nobel, le Pr Ludwik Hirszfeld, qui a découvert la transmission des groupes sanguins. Certains de ces médecins ont survécu et ont pu témoigner de leur expérience sur place. »
Une baisse soudaine au moment où l’épidémie de typhus aurait plutôt dû s’accélérer
Avec son équipe, le Dr Lewi Stone, professeur de biomathématiques à l’Université de Tel-Aviv, a utilisé une modélisation mathématique afin de savoir si le typhus s’est « éteint de lui-même » naturellement ou si ces mesures ont effectivement pu contribuer à sa disparition. Or il était impossible de travailler avec les données brutes qu’il restait de cette époque au sujet du typhus. « Il a été particulièrement compliqué de travailler sur ce sujet, déjà pour la simple raison que les prisonniers du ghetto n’aimaient pas déclarer leur maladie car cela pouvait entraîner des actions punitives de la part des autorités. J’ai par exemple appris pendant mes recherches que des hôpitaux étaient incendiés par les nazis, avec les patients encore à l’intérieur, simplement parce que la présence du typhus avait été constatée dans l’établissement. Des piqûres de phénol ont même étaient directement injectées dans le cœur de personnes malades afin de les tuer. »
L’équipe de recherche s’est donc intéressée au R0, le taux de transmission de la maladie à travers la population, et a constaté une baisse brutale de cet indicateur à l’automne. « J’ai été très étonné de voir cette baisse soudaine pile au moment où l’épidémie de typhus aurait plutôt dû s’accélérer. Nous savons que dans d’autres régions du monde, le typhus a persisté pendant tout l’hiver sans discontinuer. » Un signe pour l’équipe de recherche que l’intervention de la communauté de prisonniers a bien contribué à endiguer l’épidémie dans le ghetto de Varsovie. « Ajouté à cela, notre modèle mathématique a montré que sans ces mesures, l’épidémie aurait été deux à trois fois plus importante avec un pic au milieu de l’hiver. » Les chiffres officiels sur les décès liés au typhus ne correspondaient pas non plus aux journaux tenus à l’époque et à la littérature scientifique déjà existante sur le sujet. Grâce à leur modèle mathématique, les bio-informaticiens sont parvenus à estimer le nombre réel de cas de typhus à l’époque : au mois de juillet 1942, 100.000 personnes sont décédées du typhus combiné à la famine. « J’ai aussi été surpris du nombre réel de cas de typhus que notre modèle nous a indiqués. Les rapports officiels montraient des chiffres bien inférieurs. Mais en vérifiant dans les rapports d’épidémiologistes du ghetto, nous nous sommes aperçus que notre modèle était bien correct, avec environ 100.000 infections. »
Une leçon à tirer pour le Covid-19 ?
Avec l’émergence de la crise du Covid-19 au début de l’année 2020, les regards se tournent de plus en plus sur les précédentes épidémies qui ont jalonné l’Histoire, comme la peste noire en Europe au 14e siècle ou encore la grippe espagnole de 1918. Alors, que peut nous apprendre l’épidémie de typhus dans le ghetto de Varsovie ? « Le typhus est une bactérie et se transmet via les puces. Il s’agit d’une maladie dont les caractéristiques sont assez différentes du Covid-19. Ce dernier est plus contagieux tandis que le typhus est plus mortel. On ne sait pas si les efforts déployés contre le typhus auraient fonctionné contre le Covid-19« , explique le chercheur, qui souligne plutôt la ténacité et le mérite des prisonniers du ghetto. « Finalement, les efforts prolongés et déterminés des docteurs ainsi que de la communauté de travailleurs a porté ses fruits. » Si les deux maladies sont trop différentes pour être comparées, l’Histoire retiendra que les efforts continus malgré la situation catastrophique ont permis de contenir la maladie.