Le procès de l’auteur présumé de l’attentat de Halle, en octobre 2019, s’ouvre ce mardi 21 juillet à Magdebourg, dans l’est de l’Allemagne. Il intervient alors que les passages à l’acte de la part de groupes néonazis, en pleine mutation, sont de plus en plus nombreux dans le pays.
Le 9 octobre 2019 à 12 h 30, une cérémonie bat son plein dans la synagogue de Halle, ville de près de 240 000 habitants du Land de Saxe-Anhalt, dans l’ancienne Allemagne de l’Est. C’est le jour de Yom Kippour, la fête la plus importante du calendrier hébraïque. La salle accueille « 70 à 80 » fidèles, selon Max Privorotzki, le président de la communauté juive de la ville, lorsqu’un homme « lourdement armé, avec un casque en acier et un fusil », tente de forcer l’entrée de l’édifice, bien fermé et protégé. N’y parvenant pas, il se met à tirer en pleine rue, tuant au hasard une passante, puis un homme attablé dans un restaurant turc. Deux jours plus tard, il est arrêté par la police. Il s’appelle Stephan Balliet, est âgé de 27 ans, et reconnaît être l’auteur de cet attentat commis pour des motifs antisémites.
Plus de neuf mois plus tard, son procès s’ouvre à Magdebourg, capitale de la Saxe-Anhalt, ce mardi 21 juillet. Face à l’auteur de l’attaque, de nombreux survivants y participeront, a indiqué Mark Lupschitz, avocat de neuf des victimes au journal Bild am Sonntag. « Il est primordial pour eux de découvrir et de comprendre comment cet acte a pu survenir », rappelle-t-il.
Trois attaques de l’extrême droite en neuf mois
Pour eux, et pour tous les Allemands. Car ce procès s’ouvre alors que les violences commises dans le pays par des groupes néonazis connaissent un véritable regain. En moins d’un an, l’Allemagne a subi trois attaques de ce type (voir en bas de l’article).
Et si le nombre de militants d’extrême droite baisse dans le pays depuis le début des années 1990, ceux que les services de renseignements allemands considèrent comme violents ont, au contraire, significativement augmenté. Estimés à environ 1 400 personnes sur le territoire en 1990, année de la réunification allemande, ils sont passés à 2 200 en 2000, puis à 5 600 en 2010 et 12 700 en 2020.
C’est entre 2015, au moment où l’Allemagne accueille plus d’un million de réfugiés, principalement syriens, et décembre 2016, après l’attentat au camion bélier dans un marché de Noël berlinois, que les groupes d’extrême droite et néonazis basculent dans une violence assumée, selon Nele Wissmann, chercheuse associée à l’Institut français des relations internationales(Ifri). « Le climat sociétal en Allemagne a presque autant changé à ce moment-là que lors de la chute du Mur, martèle-t-elle. C’est ce qui a occasionné, fin septembre 2017, l’entrée du parti AfD (Alternative für Deutschland) au Bundestag – l’assemblée parlementaire fédérale allemande, NDLR – et une libération du discours extrêmement violent. »
La scission Est Ouest toujours prégnante
Mais cette diffusion plus large du discours extrémiste dans la population allemande est surtout un marqueur de la division persistante du pays entre anciennes RDA et RFA, rappelle Patrick Moreau, docteur en histoire et en sciences politiques et auteur de L’Autre Allemagne, le réveil de l’extrême droite (1). Alors que les mouvements néonazis sont infimes à l’Ouest, ils se normalisent dans l’ex-RDA, tirant avantage de ce que le chercheur qualifie de « déperdition économique ». L’écart entre l’Est et l’Ouest sur la rémunération, la productivité et le chômage stagne ainsi à 20 %, selon un rapport du centre économique IWH de Halle en 2019.
Au-delà de ces inégalités persistantes, poursuit Patrick Moreau, les groupes néonazis s’ancrent à l’Est autant par aversion pour les partis venus de l’Ouest après la réunification de pays, il y a trente ans, que par un rejet plus assumé de la mondialisation et de l’immigration. « La majorité des néonazis aujourd’hui se revendique surtout antiaméricaine, anti-impérialiste et anticapitaliste », relève-t-il.
Des thématiques bien connues de l’extrême droite, mais qui ne font pas le pont avec l’idéologie exterminatrice du Troisième Reich, tant les mouvements néonazis actuels tentent de s’éloigner de cette dernière et de ses symboles. « Les véritables nostalgiques de la période hitlérienne ne sont pas pris au sérieux par les néonazis », abonde le chercheur, qui note une évolution de ces mouvements, même si certains encensent toujours Hitler. En septembre 2018, lors d’une perquisition du groupuscule « Nordic Division », la police allemande a ainsi découvert que ses membres s’échangeaient des messages à la gloire du national-socialisme sur la messagerie cryptée Telegram.
Tentative de conquête de l’opinion allemande
Le profil des militants néonazis serait donc en pleine mutation. « 98 % d’entre eux ont entre 15 et 30 ans », indique Patrick Moreau, tandis que les femmes sont de plus en plus nombreuses parmi eux. Ces jeunes, ajoute-t-il, cherchent une cause dans laquelle s’engager, une communauté dans laquelle s’investir, puis quittent le mouvement lorsqu’ils trouvent une stabilité, par l’emploi ou en fondant une famille. Pour s’implanter dans les petites villes et les villages principalement, les mouvements néonazis savent utiliser des méthodes rassurantes, remarque Nele Wissmann, « ils vont proposer des discussions au bar du coin, sur le fonctionnement des gardes d’enfants ou l’utilité des crèches ».
Selon les chercheurs, l’installation dans le paysage politique allemand de l’extrême droite, auparavant rejetée, a poussé les mouvements néonazis à chercher eux aussi une adhésion de la population. Des figures comme Alice Weidel, coprésidente du groupe parlementaire AfD, pacsée avec une femme d’origine sri-lankaise, mais ne s’interdisant pas de s’opposer à l’immigration et à l’accès au mariage des personnes homosexuelles, ont permis d’attirer des profils inhabituels.
Une politique de mémoire pas assez efficace
Par ailleurs, les procès des dernières personnes impliquées sous le régime nazi se poursuivent. 29 procédures sont encore en cours, comme celle visant l’ancien gardien du camp polonais de Stutthof, Bruno Dey, âgé de 94 ans. Lundi 6 juillet, le procureur a requis à son encontre une peine de trois ans de prison pour complicité de meurtre de 5 230 prisonniers. « Même si les accusés sont très âgés et si les victimes ne demandent pas nécessairement une incarcération, l’État fédéral ne veut pas laisser passer ces crimes, commente Nele Wissmann. Nous sommes encore au début du chemin vers la compréhension de cette idéologie implantée en Allemagne, nous devons saisir ce que nous n’avions pas vu et adapter l’éducation civique. »
Face à ce travail sur la mémoire toujours en cours en Allemagne, la jeune génération peine à s’emparer de l’histoire du pays, note encore Patrick Moreau. « Il y a une distorsion, analyse-t-il, entre l’intensité du devoir de mémoire et la réception par les jeunes générations, qui n’en peuvent plus d’entendre le refrain selon lequel l’Allemagne est responsable, leurs parents sont responsables, eux-mêmes sont responsables, et leurs enfants seront responsables. »
En moins d’un an, trois attentats d’extrême droite
Le 19 février 2020. Neuf personnes sont tuées dans l’attaque de deux bars à chicha à Hanau (Hesse). Quelques semaines plus tard, un coup de filet dans dix Länder permet la dissolution des « Peuples et tribus allemandes unies », groupe mêlant complotistes et négationnistes.
Le 9 octobre 2019. Un homme armé tente en vain d’entrer dans la synagogue de Halle (Saxe-Anhalt), avant de tuer au hasard une passante, puis un homme attablé dans un restaurant turc. Le 23 juin dernier, le groupe des « Aigles du Nord » (Nordadler en allemand), accusé de complaisance dans ses contenus en ligne, est démantelé.
Le 2 juin 2019. Le préfet de la ville de Kassel (Hesse), Walter Lübcke, est assassiné d’une balle dans la tête à la terrasse de son domicile. Cet élu de la CDU d’Angela Merkel a été pris pour cible en raison de ses positions pro-migrants. Le procès de l’assassin présumé, Stephan Ernst, a commencé mardi 16 juin. Le groupuscule dont il faisait partie, « Combat 18 », a été interdit en Allemagne.
(1) Éditions Vendémiaire, septembre 2017, 300 p., 22,50 €.