Le numéro un du commerce en ligne vient d’annoncer un « chariot express » qui utilise un mélange de capteurs et de caméras pour scanner les articles. Avec ses enseignes Amazon Go ou sa solution « Just Walk Out », il se positionne comme un acteur majeur du paiement sans contact ni délai. Une tendance favorisée par la crise sanitaire et qui pourrait prochainement se matérialiser en Europe.
Alors que le monde vit encore à l’heure du coronavirus, Amazon accélère son offensive pour créer un monde sans caissières. Mardi 14 juillet, l’entreprise a annoncé un « chariot express », le Dash Dart, capable d’identifier et de facturer lui-même les articles pris par le client. Ce dernier peut donc sortir du magasin sans faire la queue…
La technologie utilisée est un mélange de capteurs et de caméras équipées de vision informatique, comme dans les voitures autonomes. Ce système est également installé sur les plafonds et les étagères des supérettes Amazon Go. Et, depuis le 11 mars, il est vendu par l’entreprise de Jeff Bezos aux distributeurs qui souhaitent eux aussi mettre en place des commerces sans caissières. « Cela change la donne », estime Max Hammond, analyste de l’institut d’études Gartner.
Les observateurs du secteur sont enthousiastes : « Le confinement et les mesures de distanciation liées au Covid-19 ont installé dans nos esprits la notion de commerce sans contact et sans friction », affirme Andrew Lipsman, auteur pour le cabinet eMarketer d’un rapport sur ces tendances, paru en mai. L’analyste souligne aussi qu’Amazon Go, lancé en 2018, est en train de changer d’échelle, avec désormais vingt-sept boutiques aux Etats-Unis.
« Nous n’avons pas de raison de retarder leur arrivée en France »
Les magasins sans caissières d’Amazon ne sont pas encore présents sur le marché français. Pour le moment… « Nous n’avons pas de raison de retarder leur implantation en France, car ils sont plébiscités par la clientèle », a assuré, le 28 avril, le directeur d’Amazon France, Frédéric Duval, lors d’une audition sénatoriale organisée en pleine polémique sur les mesures sanitaires contre le Covid-19, sans toutefois « pouvoir donner de date précise ».
L’arrivée d’Amazon Go en Europe serait en tout cas imminente : un promoteur anglais a annoncé, le 10 mars, sur Instagram une ouverture « prochaine » dans le quartier londonien de Notting Hill, avant de supprimer son message à la hâte.
Jusqu’à récemment, Amazon Go était vu comme une expérimentation à l’avenir incertain. Le projet a été développé en secret, dès 2012, autour du conseiller de Jeff Bezos, Dilip Kumar, devenu responsable de la branche « commerces physiques ». Mais il a fallu des années et des millions de dollars avant l’ouverture, fin 2016, d’un « faux » magasin-test, à Seattle (Etat de Washington), puis, début 2018, d’une « vraie » boutique.
Craintes pour l’emploi
« Début 2018, il y avait une mode autour d’Amazon Go et d’autres solutions sans caisses, mais ces technologies n’étaient pas encore totalement fiables », raconte M. Hammond. Le système avait des ratés en cas de grosse affluence. Certains observateurs s’interrogeaient sur son utilité même. Et beaucoup s’inquiétaient des conséquences sur l’emploi. Le groupe américain a d’ailleurs dû revoir ses objectifs initiaux, qui envisageaient jusqu’à 3 000 Amazon Go d’ici à la fin de 2021.
Mais l’ambiance, depuis, a changé : « Vous allez voir une grosse offensive des technologies sans caissières, sous diverses formes », estime Mark Mahaney, de la banque d’affaires RBC Capital Markets. « Une fois que vous avez essayé, vous devenez moins patient », assure cet adepte d’Amazon Go, tout en admettant que changer les habitudes prendra « cinq à dix ans ». « La meilleure preuve que cela fonctionne, c’est qu’Amazon a ouvert davantage de magasins », assure-t-il.
Depuis 2018, Amazon Go a inauguré six boutiques à Seattle, cinq à San Francisco, huit à New York et sept à Chicago. Toutes sont des petites surfaces, d’environ 200 m2, entre l’épicerie et la supérette. Adaptées à l’employé urbain pressé qui veut attraper un sandwich ou une boisson. Et concurrentes des échoppes 7-Eleven, Pret A Manger ou Subway. Amazon Go est « un distributeur automatique sous stéroïdes », dit en s’amusant M. Lipsman.
« On pourrait construire cinq fois ou dix fois plus grand »
Mais Amazon voit déjà plus grand et a ouvert, fin février, à Seattle, Amazon Go Grocery, une supérette cinq fois plus vaste, de 1 000 m2. Avec des fruits et légumes ou des produits de partenaires, comme les fromages Beecher’s. « Et on pourrait construire cinq fois ou dix fois plus grand », a assuré M. Kumar, lors du lancement.
D’ailleurs, le « chariot express » sera utilisé dans un supermarché de 3 000 m2 qu’Amazon va ouvrir à Los Angeles, d’ici à la fin de l’année. L’objectif : surmonter la difficulté d’équiper des grandes surfaces, dotées de nombreux produits. A l’avenir, Amazon pourrait aussi, selon certains, convertir les 508 supermarchés bio de sa chaîne Whole Foods, rachetée en 2017.
L’essor des techniques « sans caissières » dépendra de leur coût. Mais un élément pourrait l’accélérer : Amazon a commencé à vendre sa solution, sous le nom « Just Walk Out ». Le groupe propose d’équiper, « en quelques semaines », des magasins, nouveaux ou existants. Et d’assurer, ensuite, « une assistance vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». Seule différence avec Amazon Go : à l’entrée, les clients s’identifient en scannant leur carte de crédit et non leur smartphone équipé de l’application Amazon.
Premier à adopter Just Walk Out, le groupe de commerces d’aéroports OTG va l’installer dans des snacks. Le distributeur Levy Restaurants va, lui, équiper des boutiques de stades, comme le fief de l’équipe de basket des Chicago Bulls.
Le modèle économique de Just Walk Out n’a pas été dévoilé : Amazon facture-t-il un montant forfaitaire, des frais de licence récurrents ? Pour la partie logicielle, le groupe a cofondé une structure baptisée « Dent », avec la fondation Linux, un fabricant de semi-conducteurs, un opérateur de réseaux… Cette approche ouverte en open source (« code source ouvert ») vise à « imposer un standard », analyse M. Lipsman. D’une manière générale, Amazon est connu pour savoir commercialiser des activités développées au départ pour son propre compte, comme dans l’informatique dématérialisée ou la logistique.
Question sur le respect de la vie privée
L’offensive du numéro un de l’e-commerce contre les files d’attente en caisse pose, bien sûr, des questions : sur le respect de la vie privée, sur le droit à utiliser de l’argent liquide si on ne possède pas de smartphone ou qu’on souhaite payer anonymement… Mais aussi, pour Just Walk Out, sur la concurrence et l’accès aux données d’achats. « En tant que distributeur, vous ne voulez pas forcément nouer un partenariat avec votre plus grand rival », met en garde, dans la note d’eMarketer, Jordan Fisher, PDG de Standard Cognition, qui a développé sa propre solution « sans caissières ».
Les géants comme le français Carrefour ou l’allemand Metro choisiront peut-être une alternative à Amazon comme Standard Cognition, Zippin ou Grabango. Ou bien essaieront leur propre technologie, comme Walmart. De son côté, Amazon assure « interdire l’usage des données de Just Walk Out à d’autres fins que celles de servir les commerçants-clients ». Dans tous les cas, le consommateur verra ses usages en magasin davantage épiés.
Un lancement d’Amazon Go susciterait probablement des résistances en France, où le marchand en ligne est déjà accusé de détruire des emplois en même temps qu’il en crée. Selon Amazon, dans les magasins sans caissières, les employés restent « essentiels » et peuvent « se concentrer » sur « l’accueil, le réapprovisionnement des rayons ou les recommandations produits ».
Cela n’a pas empêché le syndicat américain de la distribution de dénoncer Just Walk Out comme une « menace directe » : « Les candidats aux élections de 2020 se coucheront-ils devant les PDG milliardaires comme Jeff Bezos ou se battront-ils pour des emplois américains de qualité ? », a interrogé Marc Peronne, président du syndicat UFCW, qui compte 3,6 millions d’employés de caisses. Une partie de la réponse pourrait être donnée lundi 27 juillet, quand le PDG d’Amazon sera auditionné par le comité antitrust de la Chambre américaine des représentants.