Le 16 juillet 1995, Jacques Chirac devenait le premier président français à reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs, 50 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
« Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français« . Le 16 juillet 1995, dans un discours lors de la cérémonie commémorative de la rafle du Vel’ d’Hiv, Jacques Chirac devient le premier président français à reconnaître la responsabilité des autorités françaises, et des Français, dans la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre Histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français », déclare alors Jacques Chirac, 50 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Cette reconnaissance marque un véritable tournant dans le récit historique français officiel, qui faisait la part belle à la Résistance, et voyait dans Vichy une force ennemie, non légitime dans ses actions. « L’État de Vichy était vu comme exceptionnel, déconnecté de l’Histoire française, donc ce n’est pas nous », explique à BFMTV.com Myriam Cottias, historienne et directrice de recherches au CNRS.
« La France n’a pas d’excuses à donner »
« Vichy fut toujours et demeure nulle et non avenue« , déclarait en effet le général de Gaulle dès août 1944. Ses successeurs Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand s’inscriront dans la même lignée. « La France n’a pas d’excuses à donner, ni la République », avait répondu ce dernier lors d’un entretien en 1994, considérant que cette demande de reconnaissance contribuait à « l’entretien de la haine, et ce n’est pas la haine qui doit gouverner la France ».
Dès la fin de la guerre pourtant, la tragédie du Vel d’Hiv est commémorée par les survivants et les familles des victimes, avec parfois des centaines de gens rassemblés, parfois des officiels, raconte Sarah Gensburger, chercheuse en science politique au CNRS, contactée par BFMTV.com. L’histoire des victimes « a toujours existé, transportée avec les personnes qui l’ont vécue », explique-t-elle.
Mais il n’y a alors pas forcément de mise en cause de la police ou de l’État français, il s’agit avant tout de commémorer le sort des victimes de la Shoah, et que la communauté juive puisse faire son travail de deuil.
« La barbarie nazie était évoquée, mais jamais les complices de cette barbarie nazie que furent les policiers français« , raconte Serge Klarsfeld, historien et avocat français, défenseur de la cause des déportés juifs, dans un livre d’entretiens de Claude Bochurberg (1997). « Entre les notables juifs, aussi bien sous la IVe que sous la Ve République, régnait alors une sorte de règle commune, lors des commémorations de la tragédie juive: à l’instant de désigner les responsables, on résumait par les termes ‘barbarie nazie‘ ».
« La reconnaissance des crimes historiques se fait toujours dans un rapport de force »
Mais « depuis le début des années 90, cette mémoire historique de l’Occupation, ce récit canonique du passé prescrit par l’État depuis la Libération, fait l’objet d’une contestation sociale« , écrit Sarah Gensburger dans Les Justes de France (2010). « La question de la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs devient récurrente », et fut d’ailleurs à de nombreuses reprises posée à François Mitterrand.
Myriam Cottias explique que ces réclamations historiques sont habituellement le fait de la société civile: « l’impulsion peut venir d’associations ou de descendants, qui conduisent ensuite l’État à reconnaître » et prendre en compte leurs demandes.
François Mitterrand avait fait un premier pas, en devenant par exemple le premier président français à assister aux commémorations du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1992. Mais une partie de l’assistance, jugeant ce geste insuffisant, avait hué le président, réclamant une reconnaissance de responsabilité de l’État français. « Vous m’avez fait honte! » avait ce jour-là lancé aux protestataires Robert Badinter, alors président du Conseil Constitutionnel, « vous déshonorez la cause que vous croyez servir ».
« Plus facile pour Chirac de prendre du recul »
« La reconnaissance des crimes historiques se fait toujours dans une rapport de force, jamais de façon sereine », note Myriam Cottias. Pour arriver à comprendre dans leur globalité des événements du passé, et à les admettre, « il faut qu’il y ait une profondeur historique« , explique-t-elle. Concernant par exemple des faits de la guerre d’Algérie, « il a fallu que du temps passe, que certains acteurs disparaissent pour que l’on puisse à nouveau en parler ».
« Contrairement à François Mitterrand, Jacques Chirac n’a pas vécu comme adulte la Seconde Guerre Mondiale « , rappelle également Sarah Gensburger. Quand le premier a connu l’administration Vichy et la Résistance de l’intérieur, le second avait 12 ans quand la guerre se termine. « François Mitterrand a son propre vécu avec cet événement, il est plus facile pour Jacques Chirac de prendre du recul ».
Cette approche différente selon les générations s’observe également avec la guerre d’Algérie. Si Jacques Chirac, qui a fait son service militaire en Algérie, a éludé le sujet pendant ses mandats, Emmanuel Macron a amorcé un changement, en reconnaissant en septembre 2018, que le militant de l’indépendance de l’Algérie Maurice Audin avait « été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile », en 1957. Des propos qui interviennent 61 ans après les faits.
« 1995 n’est pas 1945, la nation peut entendre, et même souhaite entendre, une autre leçon d’Histoire que celle, alors politiquement nécessaire, que lui proposa le chef de la France libre au sortir du conflit », explique l’historien Marc-Olivier Baruch, dans son livre Des lois indignes ? Les historiens, la politique et le droit (2013).
Il peut aussi y avoir un effet de résonance entre le passé et le présent qui peut jouer à un moment donné. « Le passé, c’est un endroit où se rencontrent des questions d’aujourd’hui. La Shoah renvoie à l’antisémitisme, l’esclavage au racisme« , explique Sarah Gensburger.
« Un rapport entre l’ombre et la lumière »
Ces reconnaissances, émanant de la plus haute autorité de l’État, « ne signifient pourtant pas que la société les accepte par la suite », souligne Myriam Cottias, « mais c’est nécessaire et cela reste très fort, crée un symbole« .
De façon plus concrète, cette acceptation ouvre une toute nouvelle perspective pour les victimes et descendants des victimes, et peut par exemple entraîner des formes d’indemnisation. « Après la déclaration du président Jacques Chirac, du 16 juillet 1995, une mission d’étude a évalué l’étendue des spoliations des Juifs en France, et a présenté un rapport particulier sur le pillage de l’art« , explique la CIVS (Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations), qui s’applique à restituer ou indemniser les biens culturels spoliés entre 1933 et 1945.
Toutefois, à la dichotomie État de Vichy / Résistants de Londres, succède une autre dichotomie. Ainsi, le 16 juillet est la journée nationale « à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français », mais aussi « d’hommage aux ‘Justes’ de France« , ces personnes qui pendant la Seconde Guerre mondiale ont sauvé des Juifs. De même, le 10 mai est la « journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage » mais aussi « de leur abolition ».