Le réseau social, qui valorise la « liberté d’expression », revendique déjà plus d’un million d’utilisateurs. Il fait le bonheur des conservateurs et de l’extrême-droite, y compris d’élus, qui fustigent la politique de modération de Twitter.
« On ne peut plus rien dire sur les réseaux sociaux ! » Formule en vogue chez un certain nombre de conservateurs américains, tenants de la droite voire de l’extrême-droite. Qu’à cela ne tienne : certains migrent sur Parler, un réseau social disponible sur smartphone et ordinateur, qui se présente comme une alternative à Twitter, la « liberté d’expression » en plus. Si parler.com existe depuis 2018, la plateforme connaît un regain d’affluence depuis juin. En cause : le durcissement des règles de modération de Twitter, qui a notamment masqué des messages du président Donald Trump, entraînant l’ire de ses supporters.
Et ce réseau social n’est pas un épiphénomène, relève Numérama : Parler était ainsi le 25 juin dernier l’application la plus téléchargée dans la catégorie « actualité » sur l’Apple Store et le Google Play Store aux États-Unis. Problème : une modération plus que laxiste donne lieu à des propos xénophobes, racistes ou antisémites. Voici un aperçu de cette appli controversée en plein essor.
L’application promet une « libre expression sans violence »
Inutile d’essayer d’accéder à parler.com si vous n’avez pas de compte. Contrairement à Twitter, la création d’un profil est obligatoire. Et avant même de s’inscrire, la page de présentation de Parler donne la couleur. « Libre expression, respect de la vie privée de l’utilisateur », annonce-t-elle : « Parler est un réseau social non engagé (…) Nos contenus sont modérés selon les critères de la FCC (la Commission fédérale des communications américaines, ndlr) et de la Cour suprême, qui autorisent la libre expression sans violence. » Autant de promesses qu’il convient de souligner avant d’aborder la suite.
Puis vient le moment de l’inscription, somme toute assez traditionnelle. Si vous n’êtes pas obligé de divulguer votre vrai nom (« respect de la vie privée de l’utilisateur »), vous êtes tout de même tenu de fournir un numéro de téléphone, afin que parler.com vous envoie un code pour finaliser votre adhésion.
Première suggestion de compte à suivre : « Team Trump »
L’application vous propose alors, pour débuter, de suivre certains comptes influents, procédé là encore habituel lorsque l’on vient de s’inscrire sur un réseau social. Mais pas de Barack Obama ou de New-York Times dans les suggestions (pour cause, ces derniers n’ont pas de compte). Parmi les propositions : « Team Trump », « Eric Trump », « Laraleatrump »… Si le réseau social se présente comme « non engagé », ses figures de proue sont avant tout de fervents supporters de Donald Trump. Avec aux premières loges donc, Eric Trump, troisième enfant du président, ou encore Lara Trump, sa femme.
Et si Donald Trump lui-même n’a pas de profil, un certain nombre de Républicains ont déjà rallié Parler et sont mis en avant dans les suggestions de comptes à suivre. Paul Gosar (membre hyper conservateur de la chambre des Représentants, connu pour des positions conspirationnistes), Andy Biggs (considéré comme l’un des élus les plus conservateurs du Congrès, climatosceptique) ou Rand Paul (élu du très à droite Tea Party). Ce dernier, comme d’autres élus Républicains, a d’ailleurs incité ses abonnés sur Twitter à le rejoindre sur parler.com :
It’s about time y’all joined me on @parler_app . What’s taking the rest of you so long?!
— Senator Rand Paul (@RandPaul) June 24, 2020
Refuge des « parias » de Twitter
Dans la liste des suggestions également de Parler, des personnalités comme Laura Loomer, partisane d’une frange radicale de l’extrême-droite américaine (l’alt-right), congédiée en 2018 de Twitter et qui compte aujourd’hui plus de 600.000 abonnés sur parler.com (elle s’y décrit en majuscules comme « LA FEMME LA PLUS BANNIE DU MONDE »).
Sans oublier les comptes de médias là encore conservateurs, notamment « The Epoch Times », dépeint ainsi par le site Conspiracy Watch : « Considérant que le président américain Donald Trump rejoint son propre agenda, le site lui est très favorable et est ainsi très relayé dans la sphère conservatrice américaine, ainsi que sur plusieurs plateformes conspirationnistes. » Bref, un mélange de la famille Trump, de soutiens de Trump… et aussi d’anonymes, à la parole parfois haineuse.
Racisme et antisémitisme décomplexés
En effet, au bout de plus de deux heures passées sur Parler, force est de constater que les propos racistes, xénophobes ou antisémites, sans être systématiques, sont récurrents. Dirigés contre les Noirs notamment, dans le sillage des manifestations à la suite de la mort de George Floyd. Certains messages, que nous ne rapporterons pas, relèvent de l’appel au meurtre pur et simple. D’autres relèvent d’un racisme décomplexé : « Si vous n’aimez pas l’Amérique, déménagez en Afrique ».
Les hashtags contre le mouvement BlackLivesMatter sont également nombreux. #BlackLiesMatter (« Les mensonges noirs sont importants », 998 occurrences), ou encore #DefundBlackLivesMatter (« Mettez fin au financement de BlackLivesMatter », 1.300 occurrences).
Les messages antisémites sont également présents, parfois très violents. Là aussi, nous ne les reproduirons pas mais nombre d’entre eux associent « juifs » et « argent » ou « profits ». Sans compter des montages antisémites avec des étoiles de David épinglées sur des personnalités, ainsi que des propos négationnistes que nous ne relaierons pas ici.
Beaucoup de messages sont conspirationnistes, dont certains si extrêmes qu’ils paraissent parodiques : « Le coronavirus combiné à l’islam de BlackLivesMatter, c’est en fait un montage pour propager le cancer causé par les vaccins contre le Covid-19, sans compter les micropuces pour vous espionner et vous suivre à la trace. » (sic)
« Libre expression sans violence », promettait Parler sur sa page d’accueil : c’est raté. La plateforme revendique aujourd’hui plus d’un million d’utilisateurs selon Forbes. Un nombre à relativiser : nous sommes encore loin des 50 millions d’utilisateurs américains de Twitter, et des 175 millions d’inscrits sur Facebook aux États-Unis.