Une affiche anti-israélienne diffusée au nom de l’ayatollah Khamenei révèle la haine d’Israël et le peu de considération du régime iranien pour Assad, suscitant le trouble à Damas.
La propagande iranienne s’est souvent surpassée dans le mauvais goût, surtout quand il s’agit de nier l’existence même de l’Etat d’Israël, un des actes de foi de la République islamique. Un nouveau palier vient d’être franchi avec la diffusion par les services de l’ayatollah Khamenei, « Guide suprême » du régime depuis 1989, d’une affiche représentant une prière collective sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, le troisième lieu saint de l’Islam. Il s’agit de la vision fantasmatique, mais ô combien éloquente, de ce que pourrait être la prise de contrôle de la ville sainte par l’Iran et ses partisans. Dans le ciel, une nuée épouse le profil du général Soleimani, le chef des forces Al-Qods (Jérusalem), les troupes de choc des Gardiens de la Révolution. Ce grand architecte de l’expansion iranienne dans la région a été tué dans un bombardement américain à Bagdad en janvier dernier.
Assad relégué au troisième rang
La place d’honneur de cette cérémonie virtuelle revient à Hassan Nasrallah, reconnaissable au turban noir des supposés descendants du prophète Mohammed. Il est depuis 1992 le chef du Hezbollah, le « parti de Dieu » pro-iranien au Liban, qui reconnaît Khamenei comme autorité à la fois politique et spirituelle. En revanche, Bachar al-Assad, qui a succédé à son père à la tête de la Syrie en 2000, n’apparaît qu’au troisième rang à gauche. Cette rétrogradation protocolaire suscite le trouble au sein de la dictature syrienne, qui n’a dû sa survie depuis 2011 qu’à l’engagement au sol du Hezbollah et des milices pro-iraniennes, encadrées par les Gardiens de la révolution. Assad n’a en effet cessé de se présenter comme le fer de lance de la « résistance » à Israël, assimilant ainsi l’opposition syrienne à un « complot sioniste ». Voir celui qui est officiellement le « président de la République arabe syrienne » relégué derrière des chefs de milice conduit à s’interroger sur la solidité du soutien iranien à son régime.
Une telle humiliation intervient au moment où la famille Assad étale ses règlements de compte en public. Ces différends au sommet sont eux-mêmes amplifiés par les critiques inédites émises depuis Moscou à l’encontre de la dictature syrienne et de son incapacité à sortir d’une pure logique de guerre. Déjà très dépendant de la Russie sur le plan militaire, le régime Assad l’est encore plus de l’Iran, dont les partisans disposent en Syrie de véritables privilèges extra-territoriaux. Ces facilités multiformes ont permis à l’Iran d’établir, via la Syrie, une véritable continuité depuis son territoire et l’Irak, en partie sous son protectorat, jusqu’au littoral méditerranéen tenu au Liban par le Hezbollah. La rétrogradation symbolique d’Assad dans l’affiche de Khamenei n’est que la consécration de la place somme toute subordonnée que le régime iranien assigne à la dictature syrienne dans son grand dessein régional.
Les dangers d’une propagande de haine
Cette affiche illustre également comment la haine obsessionnelle d’Israël fédère pour Khamenei les différentes composantes de sa politique dans la région. Car c’est bel et bien Khamenei, aux commandes depuis trois décennies, qui est le véritable maître de l’Iran, et non le président de la République élu au suffrage universel, qu’il soit « radical » comme Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), ou « modéré » comme Hassan Rouhani, au pouvoir depuis près de sept ans. C’est Khamenei qui, face au coronavirus, a accrédité la fable d’un « complot américain » et nié l’ampleur de la pandémie, faisant de l’Iran l’épicentre moyen-oriental de la crise sanitaire. Et c’est toujours Khamenei qui, face à la contestation populaire du régime, choisit la fuite en avant de la confrontation avec les Etats-Unis, avec de nouvelles provocations en Irak et le lancement d’un satellite militaire.
Le 22 mai, Khamenei a prononcé un discours solennel à l’occasion de la « journée de Jérusalem », instituée par l’ayatollah Khomeyni peu après sa prise du pouvoir à Téhéran en 1979. Cette célébration est chaque année marquée par un déferlement de slogans hostiles à Israël et appelant à sa destruction. Khamenei a cette fois osé tracer un parallèle entre le sionisme et le coronavirus: « aujourd’hui, le coronavirus est une réalité et tous les hommes raisonnables s’accordent pour dire qu’il est nécessaire de le combattre; sans aucun doute, le virus ancien du sionisme ne tardera pas désormais à disparaître et sera anéanti grâce à la détermination, la ferveur et la foi des jeunes ». Deux jours après une déclaration aussi abjecte, le Guide suprême fait diffuser l’affiche ci-dessus à l’attention des mêmes « jeunes ».
Autour de Nasrallah figurent le successeur de Soleimani à la tête de la force Al-Qods (Esmaïl Qaani), le leader des Houthistes pro-iraniens au Yémen (Abdel Malik al-Houthi), deux dignitaires chiites, l’un déchu de sa nationalité au Bahreïn (Issa Qassim), l’autre emprisonné au Nigéria (Ibrahim Zakzaky), ainsi que les chefs des mouvements palestiniens Hamas (Ismaïl Hanyeh) et Jihad islamique (Zyad al-Nakhala). A gauche de Nasrallah, se tient son ancien adjoint militaire, Imad Mughnyeh, assassiné en 2008 par le Mossad à Damas, notamment pour sa responsabilité dans un sanglant attentat antisémite en Argentine, quatorze ans plus tôt. La déroutante représentation d’un défunt au milieu d’un parterre de responsables bien vivants vise à exalter un « martyr » tombé face à Israël, mais surtout à protéger l’identité, gardée secrète, du chef actuel de la branche armée du Hezbollah.
Que cette vision soit un fantasme de puissance n’enlève rien à ce qu’elle révèle des pulsions hégémoniques de l’Iran à l’échelle de la région. On comprend mieux pourquoi elle perturbe tant la clique au pouvoir à Damas.
Jean-Pierre Filiu