Vous dormez beaucoup, et parfois cela vous fait culpabiliser sur tous ce temps perdu? Vous avez tort! Dormir nous fait du bien selon le chercheur israélien Lior Appelbaum !
Pourquoi dort-on ? Pour réparer la casse effectuée sur nos neurones par notre cerveau pendant la phase éveillée. Autrement dit, dormir permet de « soigner » nos neurones, nous dit le chercheur israélien Lior Appelbaum, qui nous avait ouvert les portes de son laboratoire de Tel-Aviv quelques semaines avant le confinement.
La nuit porte conseil, dit l’adage. La nuit, le sommeil aurait surtout une autre fonction : réparer les dégâts accumulés durant la journée par le simple fait d’être éveillé et actif. « Pendant la journée, vous accumulez de la casse sur vos neurones, plus précisément sur leur ADN », explique Lior Appelbaum, chercheur reconnu à l’université de Bar-Ilan, en périphérie de Tel-Aviv, dont le campus s’étend à perte de vue et ressemble à n’importe quel autre campus universitaire, les palmiers et les cèdres en plus.
« C’est la grande tour là-bas », indique un étudiant amusé de nous voir tourner en rond depuis dix minutes. La tour en question, la plus haute du campus, est un institut de recherche en nanotechnologies. Donc spécialisé dans le « très petit » ; c’est cocasse. C’est là que se trouve l’Appelbaum Lab, laboratoire dédié à la recherche sur le sommeil.
Lior Appelbaum a commencé sa carrière universitaire par l’étude de la biologie marine, avant de s’intéresser aux horloges biologiques qui habitent tout organisme vivant. « Pour mon postdoc, j’ai rejoint à Stanford un laboratoire de recherche qui étudiait le sommeil ». Il y découvre les poissons-zèbres, favoris des chercheurs pour l’étude du cerveau. Une dizaine d’années plus tard, il est à la tête de son propre laboratoire et s’attache à comprendre pourquoi l’on dort… grâce à l’étude des poissons-zèbre.
Humain et poisson-zèbre, même combat
Dans une salle, des poissons-zèbres d’âges différents s’ébattent dans des petits bacs marqués d’une date. Leur corps est gris translucide. « Le poisson-zèbre est un modèle parfait pour étudier et comprendre les troubles du sommeil. Ils sont petits et transparents. Et par bien des aspects, ils se rapprochent de nous ». Et pour cause puisque le poisson zèbre présente 70% de gènes en commun avec l’humain.
« Il y a bien des avantages à travailler avec des poissons-zèbres : vous pouvez en réunir beaucoup dans un même petit espace, ils sont très résilients, la structure de leur cerveau est très proche de celle des humains – les cellules qui gèrent la transition du sommeil au réveil sont similaires ». Enfin, ils sont propres à la manipulation génétique.
Il désigne du doigt les bacs-aquariums qui tapissent les murs de la salle. « Vous voyez là ? Chaque aquarium – et ses poissons – a un génotype différent, on peut adapter les poissons selon les expériences en utilisant CRISPR ». Et surtout, comme ils sont transparents, il est possible pour les chercheurs de les observer « en très haute résolution ». Jusqu’à récemment, l’étude du sommeil se faisait par le biais de capteurs EEG, développe le chercheur. Autrement dit, des électrodes qui enregistraient l’activité cérébrale sous la forme d’ondes. « Là, grâce à nos microscopes et l’imagerie 3D, on peut aller jusqu’à voir ce qui se passe sur une cellule ».
C’est une vraie plateforme pour tester les remèdes aux troubles du sommeil
Concrètement, l’équipe de Lior Appelbaum agit sur les poissons-zèbres à l’état d’œufs en « éteignant » la fonction d’une cellule grâce à la technologie d’ingénierie génétique CRISPR. « En fait, c’est une vraie plateforme pour tester les remèdes aux troubles du sommeil ». Pour éviter que le poisson-zèbre ne bouge pendant l’observation, les chercheurs ajoutent une gelée. Et effectivement, au microscope, on peut observer le sang qui coule et les battements du cœur. Pour observer les cellules et l’activité des chromosomes (donc l’ADN), les chercheurs insèrent des molécules fluorescentes – « de l’ADN de méduse » – qui font office de marqueurs. C’est ainsi que Lior Appelbaum a fait sa plus étonnante découverte, publiée dans la revue Nature en mars 2019 : « En se relayant jour et nuit pour observer l’activité neuronale des poissons, à l’échelle d’une cellule, on s’est aperçus que contrairement à ce qu’on pourrait penser, les chromosomes bougent beaucoup plus pendant la nuit ».
Sur un ordinateur, Lior Appelbaum pointe une myriade de petits points. Les chromosomes s’agitent pendant le sommeil du poisson. Pourquoi ? « Pour réparer l’ADN des neurones, assène le scientifique, pendant la journée, simplement en restant éveillé, vous soumettez votre cerveau à des casses sur l’ADN de vos neurones ». Un phénomène corrigé pendant le sommeil : « Vous vous endormez, vous cessez d’introduire de nouvelles informations dans votre cerveau, la phase que nous appelons « maintenance cellulaire » peut démarrer ». Autrement dit, lorsqu’on dort, notre cerveau est au sommet de ses capacités d’auto-réparation.
Oui, mais quand nous dormons, nous rêvons aussi ; nous introduisons de nouvelles informations à digérer, glisse-t-on entre deux explications. « Oui, c’est la grande question. Je peux toutefois vous rappeler qu’on ne rêve pas une très grande partie de la nuit. En tout cas, ce qui est manifeste, c’est que comme vous accumulez durant la journée des dommages sur votre ADN, vous avez besoin de sommeil, pas seulement pour le plaisir de ne pas être actif, de se reposer ou de renforcer votre mémoire ou votre capacité d’apprentissage, mais pour vous réparer et être prêt à affronter la journée suivante ».
Une leçon à considérer en ces temps où les chercheurs, les GAFA et même les studios de cinéma travaillent – comme on peut le lire dans le dernier numéro d’Usbek & Rica – à contrôler ou à « rentabiliser » nos rêves.