Attaché de police israélien en France, le commissaire divisionnaire David K. revient pour «Libération» sur l’arrestation de deux personnes pour des «arnaques au président» pendant la pandémie de Covid-19.
Leur arrestation en Israël, en pleine épidémie, n’a eu quasiment aucun retentissement en France. Interpellés le 21 avril à Ra’anana, Fabrice Avraham Benini, 56 ans, et Yann Moshe Zouaghi, 35 ans, ont pourtant fait de très nombreuses victimes de ce côté de la Méditerranée. Profitant de la crise sanitaire pour piéger leurs cibles, les deux hommes sont suspectés d’avoir escroqué plus d’une vingtaine de sociétés françaises, notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire et de la construction. A chaque fois, ils téléphonaient à des employés du service comptabilité en se faisant passer pour le patron de l’entreprise ou un de ses avocats, puis leur demandaient d’effectuer discrètement des virements pour de soi-disant projets confidentiels. Dans le milieu, on parle d’«arnaques au président», une spécialité franco-israélienne. Grâce à leur tchatche, Benini et Zouaghi ont également poussé des particuliers à investir dans des projets fictifs de recherche médicale, d’exploitation d’or ou dans l’immobilier. Plusieurs centaines de milliers d’euros ont ainsi été escamotés avant d’être blanchis dans différents pays européens, selon les premières investigations. Placés en détention provisoire, les deux hommes doivent être extradés dans les prochaines semaines en France.
Signe de l’importance accordée à cette affaire, l’attaché de police israélien en France, responsable pour la zone «Europe Sud-Ouest», a accepté de répondre aux questions de Libération. En poste depuis mai 2016, ce commissaire divisionnaire n’avait encore jamais accordé la moindre interview. «C’est l’ampleur du phénomène et les résultats de notre coopération renforcée qui ont poussé mon état-major à accepter», explique en anglais David K., qui a fixé trois conditions à l’entretien : ne pas être reconnaissable, ne pas voir son nom divulgué et pouvoir relire ses citations. Installé à Paris, le policier de 41 ans a notamment pour mission de faciliter la coopération opérationnelle entre la police israélienne et les autorités judiciaires de cinq pays (France, Espagne, Suisse, Italie et Portugal). Dès la fin du mois de mars, ses services ont été alertés sur des tentatives d’escroquerie visant des sociétés françaises. «Ça a commencé une semaine après le début du confinement en France, précise le policier. Nous pensons que ces sociétés ont été ciblées car elles ont maintenu leur activité durant la crise du Covid. Elles constituaient des proies d’autant plus vulnérables qu’elles travaillaient dans l’urgence.»
La législation israélienne n’autorise pas David K. à nous dire si Fabrice Avraham Benini et Yann Moshe Zouaghi étaient déjà connus des services de police en Israël, où ils vivent depuis plusieurs années. David K. précise toutefois que les deux hommes opéraient depuis le même bureau à Ra’anana, et bénéficiaient de plusieurs complices sur lesquels des investigations sont toujours en cours. En France, l’enquête a été confiée à un juge d’instruction du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne et aux gendarmes de la section de recherches de Reims (Marne).
«Nous mutualisons les preuves»
Dans le paysage de la grande criminalité transnationale, les escroqueries au président sont devenues un «phénomène majeur» en à peine dix ans. «Avant, elles étaient l’apanage d’une poignée de fraudeurs, souligne David K. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de joueurs, la pyramide des escrocs s’est élargie.» Avec une constante, toutefois : la base de cette pyramide reste fermement ancrée dans la communauté franco-israélienne. «Nos investigations ont montré qu’il s’agissait souvent de citoyens français qui ont émigré en Israël et utilisent leur connaissance de la langue pour cibler des entreprises ou des particuliers en France.»
A Tel-Aviv, un connaisseur du milieu, passé par l’école du «Forex» (fraude sur le marché des changes) et des casinos en ligne, raconte l’attrait de ces arnaques pour les nouveaux immigrants français, souvent rétifs à l’apprentissage de l’hébreu et refusant les emplois sous-qualifiés et sous-payés. «En Israël, ils sont frustrés par la barrière de la langue, celle des contacts, et puis surtout les salaires, qui sont plus bas qu’en France. Ceux qui se lancent, ce ne sont pas forcément des gens brillants, mais ceux qui ont la tchatche, qui savent sentir l’actualité, la fièvre du moment. Avant, c’était le business des faux encarts publicitaires vendus à des entreprises. Puis il y a eu le Forex, légal au début bien que pas très moral. Puis le bitcoin, les cryptomonnaies… Maintenant, c’est les arnaques au président. Là, ils ont vu le Covid, ils ont sauté dessus, ils ont adapté. Ils se font passer pour des entreprises pharmaceutiques ou des fabricants de masques avec des connexions en Chine. Ils utilisent des comptes basés en Chine, appellent les services comptabilité de boîtes françaises et leur mettent une pression de dingue : « On a un super deal, mais c’est maintenant, le stock est limité. » Ils jouent sur l’urgence.» L’affaire Benini-Zouaghi est le second dossier d’arnaque présumée impliquant des citoyens français en Israël depuis le début de la pandémie. Deux Françaises suspectées d’escroquerie à la vente de masques de protection FFP2 à des sociétés françaises ont été arrêtées début avril à Netanya, ville au nord de Tel-Aviv où vit aussi une importante communauté française.
Pour les policiers israéliens comme pour leurs homologues français, ces escroqueries sont d’autant plus difficiles à désarticuler qu’elles se déploient dans plusieurs pays et profitent des différences des systèmes judiciaires. Mais à en croire David K., l’extradition imminente de Benini et de Zouaghi incarne un changement radical de doctrine dans la lutte contre ce type de fraudes, évolution à l’œuvre selon lui depuis deux ou trois ans : «Avant, les autorités françaises nous sollicitaient à la fin de leur enquête pour recueillir des preuves supplémentaires, entendre un témoin en Israël ou obtenir des informations bancaires sur un suspect… Désormais, dès qu’une fraude est identifiée, nous sommes mis dans la boucle. Nous ouvrons alors notre propre dossier en Israël, ce qui nous permet d’opérer sur une base judiciaire locale, et plus simplement sur la base d’une commission rogatoire internationale. Nous menons nos propres investigations et nous mutualisons les preuves. A la fin, en fonction des éléments recueillis, on décide s’il est plus pertinent de poursuivre les suspects en Israël ou en France. Cela rend les choses bien plus efficaces que par le passé.»
Trouver refuge
Autre priorité des deux pays : saisir l’argent avant qu’il ne disparaisse via un entrelacs de faux comptes et de sociétés fantômes. Généralement, les sommes détournées sont blanchies en Chine, au Moyen-Orient, mais aussi au cœur de l’Europe. «Longtemps, l’argent n’allait que dans une seule direction. Désormais, tout est beaucoup plus éclaté, explique David K., qui refuse de cibler un pays en particulier. Nous essayons de le saisir le plus tôt possible, car dès qu’il a été investi, dans l’immobilier par exemple, il devient beaucoup plus difficile de faire le lien avec l’infraction de départ.»
Si l’attaché de police a accepté de parler, c’est aussi pour battre en brèche l’idée persistante que les escrocs trouveraient refuge en Israël. «La France n’extrade pas ses propres ressortissants, et certains pensent que c’est la même chose en Israël, s’offusque-t-il. Mais c’est faux, nous extradons tout le temps, et pas seulement vers la France.» Comment expliquer ce malentendu ? Ces dernières années, plusieurs Franco-Israéliens poursuivis ou condamnés en France ont donné le sentiment de narguer leurs victimes depuis l’Etat hébreu, comme Ulcan (hacker accusé d’avoir causé la mort d’un homme par infarctus après un canular sordide) ou Gilbert Chikli (condamné en mars pour avoir soutiré des millions d’euros en se faisant passer pour le ministre Jean-Yves Le Drian). En Israël aussi, cette impunité de façade laisse parfois un goût amer.
Fin septembre, la saison 8 de Masterchef Israël a été remportée par Vanessa Vidal Abittan, olah hadasha («récente immigrée», en hébreu) française de 42 ans. Au bout des fourneaux, la gloire cathodique, 100 000 shekels (environ 26 000 euros) et une nouvelle cuisine : success story à l’israélienne. Mais l’histoire a vite été éclipsée par la présence dans le public du mari de la championne, un certain Eddie Abittan. Bien à l’aise sur le plateau de l’émission, lançant des petits «ça sent bon !» en français dans les effluves de cuisine. Petit souci : Abittan a été condamné par contumace en France à six ans de prison pour son implication dans plusieurs volets de la fraude à la taxe carbone, condamnation dont Abittan a fait appel. Depuis, la France, qui a demandé son extradition, n’a pas eu de nouvelles.
«Israël n’est ni meilleur ni pire
Dix ans après la tentaculaire affaire de taxe carbone, qui a vu s’envoler plus de 5 milliards d’euros au niveau européen, de nombreux dossiers judiciaires ont abouti à des extraditions et à des condamnations lourdes. «Israël n’apprécie pas du tout de cette réputation de « refuge » pour les criminels, car ce n’est pas vrai, renchérit Yehuda Sheffer, ex-adjoint au procureur de l’Etat, en charge du crime financier. La vérité est que les criminels profitent toujours des variations et des failles des systèmes juridiques partout dans le monde, en sautant d’une juridiction à l’autre. Israël n’est ni meilleur ni pire que les autres pays. En fait, le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux, qui établit la norme mondiale en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, a déclaré que les résultats d’Israël étaient d’un très haut niveau. La France sera inspectée l’année prochaine, et je doute qu’ils obtiennent le même résultat.»
Pour le magistrat, l’affaire Benini-Zouaghi est surtout le rappel d’un phénomène immuable : «Partout dans le monde, les connexions des diasporas sont utilisées à des fins criminelles. Aujourd’hui, Israël est un pays moderne avec une économie moderne, mais aussi une criminalité moderne, du monde entier. Nous luttons contre cela, mais nous n’en sommes pas protégés.»
et
Je trouve anormal qu Israël extradé des ressortissants qui ont la nationalité israélienne, si ils ont la nationalité israélienne, Israël devrait les juger et les condamner sévèrement car ils ternissent l image d Israël