Comment appréhende-t-on le passage au déconfinement ? Qu’a-t-on rencontré «pendant» que l’on tient à conserver «après» ? «Libération» a posé la question à Delphine Horvilleur, rabbin.
« Je regarde mes poissons rouges tourner en rond. Je regarde mon chat nous observer, très surpris de ne pas disposer de l’appartement pour lui tout seul. Et je m’aperçois que je ne me suis jamais autant identifiée aux animaux que pendant le confinement. En ces temps particuliers, il me semble qu’on partage une même condition, eux et nous. A force d’être avec eux j’en reviens aux questions de la philosophie : qu’est-ce qui distingue fondamentalement les humains ? Il me semble que la spécificité humaine réside non dans le langage, les outils, ou la capacité à faire société, mais dans le récit, le besoin de se raconter des histoires, d’imaginer des narrations, de recourir aux mythes. Au début de l’épidémie, je lisais peu de fictions, mais toutes les études sur la virologie et l’immunologie, renouant ainsi avec mes premières études : la médecine. Je suis fascinée par la découverte qu’on porte tous dans notre ADN un pourcentage important de matériel viral que nos ancêtres ont croisé et surmonté. On garde la trace de la vulnérabilité et des contaminations surmontées dans notre génome. »
« Même dans le domaine de la virologie, la science nous montre que penser la santé en termes de pureté n’a aucun sens. Il n’y a pas d’un côté les gens qui seraient « purement » sains et les autres. Je me suis remise à lire des textes mystiques qui tous expliquent eux aussi que le monde se transforme à coups de brisures, et que la faille fait partie intégrante du changement. Par ailleurs, dans le creux de ce confinement, des conversations entre générations se retissent qui elles aussi revisitent le passé – à condition que l’heure ne soit pas à la survie, quand il s’agit de survivre, le temps n’est pas à la conversation. Il y a un renforcement des liens entre les générations comme je n’en avais jamais expérimenté. Je ne compte pas les gens qui m’expliquent qu’ils cuisinent un bortsch avec la recette de leur grand-mère en l’accommodant avec leurs propres ingrédients, qu’ils lisent le journal de guerre de leur grand-oncle pour mieux penser ce qui nous arrive, ou encore qui sortent les vieilles machines à coudre pour confectionner des masques… Qu’autant de personnes se livrent pendant cette crise à une réappropriation de leur passé, nous montre à la fois notre besoin d’héritage et d’histoires, et que la tradition n’a de sens que lorsqu’on la transforme pour en faire une donnée personnelle. »
« Avant l’épidémie de Covid et depuis des lustres, tout était analysé à l’aune d’une fracture générationnelle. Qu’on prenne le féminisme, le harcèlement sexuel, la question du genre, le cinéma, les conflits sociaux : tout était pensé selon un avant et un après. Selon nos dates de naissance, on ne pouvait pas se comprendre. Je m’aperçois que je suis très méfiante à l’égard des conceptions qui opposent nouveau et ancien monde. Je ne crois pas à la table rase. »
«Le ramadan commence, on vient de fêter Pessa’h, la Pâque juive. J’ai accompagné ma communauté dans sa sortie d’Egypte. Et les récits, les mots, les textes qu’on se raconte chaque année et qui demeurent inchangés ont pris une résonance que je n’avais jamais entendue. J’ai 45 ans, je n’avais jamais vécu une telle sortie d’Egypte. Comme si le caractère inédit de ce qu’on traverse nous mettait étonnamment en lien avec ce qu’on nous avait transmis. La tradition prend son sens lorsqu’on a le sentiment qu’elle nous parle, comme elle n’a jamais parlé à quiconque auparavant.»
Voir également cette vidéo de Delphine Horvilleur datant du 28 mars et disponible sur Arte jusqu’au 20 mars 2021.
Bonsoir,
Je trouve saint de revoir son histoire, enfin celle que on connait, ou que on nous a transmise, peut-être parce que nous avons le temps de repenser à nos proches disparus, mais aussi à nos compagnons que sont les chats ou d’autres animaux, quant à la sortie d’Égypte, cela fait longtemps que j’imagine les préparatifs, mais aujourd’hui, c’était différent car j’ai penser à la mer des roseaux et je me suis souvenu qu’Ariel Sharon l’avait fait à l’envers avec ces soldats en 73.