Depuis le début du confinement, vous rêvez bien plus que d’habitude ? Ou alors, vous faites des cauchemars en lien avec le coronavirus, au cours de nuits angoissantes ? La science offre quelques éléments de décodage.
Tout le monde vit différemment cette période inédite de confinement en pleine pandémie de coronavirus, en fonction de notre métier, de notre logement, de nos ressources économiques, de notre état d’esprit, voire en fonction que nous et nos proches ayons été touchés ou non par le coronavirus. Mais certains phénomènes humains dépassent ces conditions et se retrouvent dans toutes sortes de foyers, chez des individus aux situations bien différentes. Parmi les phénomènes récurrents du moment, il y a les rêves. La pandémie et le confinement semblent avoir déclenché, chez beaucoup de personnes, un changement dans la façon de rêver. Soit une augmentation des songes, dont l’on se rappelle davantage, soit une recrudescence de cauchemars angoissants au cours de nuits tout sauf reposantes.
Des lecteurs et lectrices de Numerama ont partagé avec nous ces changements profonds dans leur sommeil. À l’appui de ces témoignages, nous avons cherché des explications dans la littérature scientifique. Cela dit, le domaine des rêves n’est pas encore entièrement décodé par la science, il ne faut donc pas s’étonner si certaines réponses fournies par les études ne semblent être que partielles.
Des rêves plus fréquents et/ou angoissants
« Je fais plus de rêves en ce moment, et même beaucoup plus car je m’en rappelle jamais habituellement », nous confie Jonathan*, qui a remarqué ce changement « dès le début du confinement ». Au moment où il nous partage ce vécu, il sort justement d’une sieste de vingt minutes après sa pause déjeuner, durant laquelle il a rêvé, ce qui ne lui « arrivait jamais avant ». Cette augmentation du nombre de rêves dont l’on se souvient est même valable pour des personnes habituées à rêver énormément, mais pour qui la fréquence augmente encore davantage. C’est le cas pour Audrey*, qui « rêve toujours beaucoup » en temps normal, mais « plus que d’habitude » en ce moment. Et les thématiques ont évolué.
Audrey* précise que ce changement thématique se traduit par des rêves prenant une teinte « post-apocalyptique », mais, pour certaines personnes, le virage est encore plus radical. Martin* nous explique qu’ils ne sont pas seulement plus fréquents, ils sont aussi plus intenses, plus angoissants. Régulièrement, « au réveil, ce sont des rêves qui sont épuisants émotionnellement voire physiquement ». Et il y a toujours un lien avec le coronavirus. Durant l’un d’eux, il était sur le lieu de vacances de son enfance, dans un appartement. « On était confinés et une dispute en lien avec le coronavirus a dégénéré dans une autre résidence, ça s’est transformé en émeute et je voyais au loin des scènes de guerre avec la police qui est arrivée. Ça explosait de partout et il y avait des morts. J’étais juste tranquillement en train de travailler confiné dans l’appartement et tout a basculé. »
Une scène qui est assez proche d’un cauchemar cette fois-ci récurrent que nous raconte Maria*. « Je suis avec mon conjoint et mes deux garçons, dont un de 17 ans qui, dans le rêve, a des symptômes. Je souhaite ensuite me faire tester mais personne ne me prend au sérieux et je vois mon conjoint devenir lui aussi malade, mais je suis totalement impuissante puisque personne ne me prend au sérieux. Je me réveille en sueur et presque persuadée d’être moi aussi malade. »
Tous ces rêves racontés par nos lectrices et lecteurs ont un point commun : ils sont particulièrement « réalistes ». Ils ne se souviennent pas de tout le contenu ni de tous les rêves, mais bien davantage que d’habitude, et beaucoup de ces rêves et cauchemars laissent une marque claire, nette, dans la mémoire.
Des émotions difficiles à gérer
Les rêves ont probablement plusieurs rôles et les recherches scientifiques explorent tous ces rôles potentiels. Il y a autant de fonctions possibles que de théories sur ces fonctions. Il y aurait par exemple certains rêves aptes à développer notre créativité en journée. Les auteurs d’une étude empirique expliquent ainsi que ces rêves créatifs peuvent aider à inspirer une œuvre, à mieux se comprendre émotionnellement, ou à résoudre un problème en journée. Mais plusieurs autres fonctions complémentaires, mises en lumière par des travaux de recherche en psychologie et en neurosciences, pourraient permettre d’éclairer le phénomène actuel qui change les nuits confinées.
Nos songes, rêves ou cauchemars, nous aident à gérer les émotions et les événements les plus difficiles à appréhender consciemment. Plus quelque chose de vécu en journée est émotionnellement intense pour nous, plus il a de chances de se refléter dans nos rêves. C’est la conclusion d’une recherche publiée dans Social Cognitive and Affective Neuroscience. Cette approche se voit confirmer par d’autres travaux ayant repéré que le centre des émotions de notre cerveau est très actif lorsque l’on rêve pendant notre sommeil, là où l’activité des tâches rationnelles est faible.
Des neuropsychologues italiens se sont également penchés, dans Frontiers in Psychology, sur ces fameux rêves qui vont parfois inclure une bizarrerie, des éléments illogiques, absurdes, ridicules, fictionnels, en lien avec le trauma ou l’émotion intense. Ces bizarreries ont selon eux pour fonction directe d’appauvrir la charge négative des émotions ressenties en journée. Être poursuivi par un dinosaure sur lequel on a aucun contrôle ou se voir soudain envahi chez soi par ses voisins, comme nous l’a raconté Zélie*, parmi ses rêves intenses du moment, peut s’ancrer dans cette mécanique. Une autre lectrice, Clara*, nous raconte un rêve mettant en scène le décès d’un membre de sa famille, mais sous la forme d’un scénario proche d’un récit de science-fiction : une façon, si l’on en croit l’étude des neuropsychologues italiens, d’éloigner la crainte d’un tel décès en faisant d’elle une sorte de fiction lointaine.
La proximité avec la menace : le flou de covid-19
Être personnellement et directement touché par un événement traumatique ne semble pas être une condition sine qua non pour que cela se reflète dans nos songes. Une étude menée par des psychiatres a montré qu’après le crash tragique de la navette spatiale Challenger, en 1986, des enfants en ont fait des cauchemars pendant plusieurs semaines, même en n’ayant pas vu l’événement en direct à la télé et même en n’ayant strictement aucun lien avec les personnes touchées. La portée de cette étude est importante : il n’y a pas besoin d’être individuellement concerné pour ressentir de fortes émotions se reflétant alors durant le sommeil. Dans le cas d’émotions négatives précisément, c’est alors un « trauma lointain ».
Le cas de Covid-19 entre d’autant plus dans le cadre de cette problématique que la menace est en quelque sorte diffuse. Même si Maria ne se sent pas angoissée en soi par la maladie, elle nous confie « une angoisse venant de toutes les infos contradictoires que l’on reçoit et de la vague impression que notre gouvernement ne contrôle pas grand chose ». Martin*, quant à lui, nous a indiqué que même pendant les attentats de 2015, il n’avait pas rêvé aussi intensément. Le confinement et la pandémie ont ceci de particulier que cela concerne tout le monde, puisque même en n’étant pas touché, il faut se protéger, rester confiné, compter sur ses proches pour qu’ils fassent de même, tout ceci se traduisant par le sentiment que le coronavirus est partout. Sans compter que l’impact économique est, lui aussi, une charge mentale.
« Cette routine me stresse »
La plupart des personnes que nous avons interrogées n’arrivaient pas bien à discerner s’ils rêvaient davantage ou s’ils s’en souvenaient davantage. Le début de réponse fournie par la science est là aussi lié aux émotions intenses et, plus précisément, le stress. Les rêves les plus « réels » — ceux qui sont les plus clairs et dont on se souvient le mieux — adviennent généralement durant la phase de sommeil paradoxal. Or, en cas d’anxiété en journée, cette phase du sommeil peut se révéler plus difficile et raccourcie. Les insomnies récurrentes entraînent, pour cette raison, davantage de rêves, souvent plus intenses car on a tendance à se souvenir davantage.
Pourtant, la plupart des personnes interrogées par Numerama au sujet du confinement relèvent que leurs nuits accompagnées de rêves sont aussi celles où elles dorment le moins bien, soit parce qu’elles se réveillent tôt soit parce que la nuit apparaît peu reposante. Jonathan relève même qu’il stresse pendant ses rêves, qui ne mettent en scène rien de plus que son quotidien. « Avec le confinement, j’ai sensiblement les mêmes journées qui reviennent en boucle. Je déteste faire les mêmes choses tout le temps, donc cette routine me stresse. » Et même s’il ne rêve pas directement du coronavirus, ses songes mettent en scène cette fameuse routine journalière stressante pour lui. La recherche scientifique, comme une étude publiée dans Sleep Medecine en 2016, tend justement à montrer que plus l’on est stressé, plus les rêves contiennent des émotions négatives et des éléments centrés sur soi, comme ce que Jonathan décrit.
Le confinement peut donc aussi provoquer des rêves qui n’ont rien de bizarre ou de cauchemardesque, mais qui sont simplement le fruit du stress de la journée, peu importe vos raisons personnelles de ce stress (famille, routine, travail, sport…). Les rêves qui en résultent pourront n’être que la condensation de ces émotions négatives, sous la forme de scènes relativement normales, mais à une fréquence plus forte et un souvenir plus marqué de leur contenu pour les raisons précédemment expliquées.