La journaliste, essayiste et romancière française signe avec Les Lumières de Tel-Aviv un thriller haletant, troisième opus de son cycle israélien. Elle imagine que les ultrareligieux prennent le pouvoir en Israël et en chassent les Arabes israéliens. Le salut viendra des laïques juifs et arabes. Réflexion sur l’arbitraire des religions.
En six personnages pour autant de points de vue (un ultraorthodoxe qui met les voiles, deux jeunes Palestiniens en exil, un conseiller du Premier ministre dans le doute…), la directrice adjointe de la rédaction de Libération Alexandra Schwartzbrod imagine avec Les Lumières de Tel-Aviv (1) un futur pas si lointain où les ultrareligieux sont au pouvoir à Jérusalem. Dans ce Grand Israël, un nouveau mur surveillé par des robots tueurs voit le jour tandis qu’à Tel-Aviv, la résistance s’organise dans une belle humanité où laïques juifs et arabes font preuve de solidarité, d’entraide et de partage. Soit un salutaire parfum d’espoir pour un pays, en paraphrasant l’auteure, » de plus en plus déchiré par les haines et les incompréhensions « . La lecture de ce roman coup de poing, nécessaire, engagé et nuancé laisse pourtant un goût amer. Comme lors d’une histoire d’amour impossible où se mêlent colère sourde, frustration légitime et, surtout, tristesse infinie.
Il y a vingt ans, vous embarquez homme et enfants à Jérusalem pour devenir la correspondante permanente de Libération en Israël. Vous souvenez-vous de votre état d’esprit de l’époque ?
L’été 2000 – je suis partie en juin -, c’était les négociations de Camp David entre Ehoud Barak et Yasser Arafat. Le 15 septembre de la même année devait naître un Etat palestinien. Ça nous paraît tellement loin aujourd’hui mais j’étais convaincue de l’importance historique du moment. Quand j’y pense aujourd’hui, c’était complètement fou. On avait emmené aussi le piano quart de queue de ma fille et la moto de mon ex-mari. J’avais envie d’en finir avec la routine. Et puis, le Moyen-Orient m’attirait, m’attire énormément.
Une fois sur place, vous vous baladez dans les territoires occupés, histoire de prendre le pouls de l’histoire en marche. Qu’est-ce que vous percevez ?
En tant que Français, on était bien accueillis dans les territoires. Ils connaissaient Zinedine Zidane et Jacques Chirac. J’ai commencé à comprendre que c’était beaucoup moins simple que je ne le pensais. Plus les semaines avançaient et plus ça me semblait bizarre. Les Palestiniens étaient remontés contre les Israéliens mais aussi contre l’Autorité palestinienne. A la suite des accords de paix d’Oslo (NDLR : le 13 septembre 1993), la colonisation aurait dû progressivement s’arrêter, alors qu’elle s’intensifiait.
Le 28 septembre 2000, le patron du parti israélien de droite Likoud, Ariel Sharon, se rend sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem. Sa visite est vue comme une provocation par les Palestiniens et les premiers affrontements commencent. Etes-vous sur place ?
Oui, parce qu’on sentait tous qu’il allait se passer quelque chose, c’était palpable. A l’époque, Ariel Sharon n’existe plus politiquement et là, il revient dans l’actualité, se rend sur l’esplanade en voulant faire un coup et ça marche tellement que les Palestiniens qui prient lancent des pierres par-dessus le mur des Lamentations. Il y a eu des échauffourées et le lendemain, les territoires s’embrasaient.
Sans entrer dans une sphère trop privée, comment concilier vie de famille et votre métier de journaliste ?
Disons qu’il y a eu l’Intifada à l’extérieur et l’Intifada à l’intérieur. Mon couple a explosé. Il y a une violence qui n’est pas forcément physique mais qui est très présente à Jérusalem. C’est difficile de ne pas être affecté.
Comment l’écriture arrive-t-elle dans votre vie ?
A la fin des années 1990, j’en ai marre d’écrire sur les hommes et les armes et j’écris un roman, Koutchouk, qui sera publié chez Denoël en 2000 , l’histoire romancée de cette danseuse du ventre avec qui Gustave Flaubert a passé une nuit torride quand il a remonté ou descendu le Nil. Ce qui est drôle, c’est que c’est vraiment la vision de l’Orient par une Occidentale. L’Orient que je découvre à Jérusalem est beaucoup plus violent et mon second roman, Balagan, est l’opposé de Koutchouk. Il y a de la violence, des attentats, témoins de mes trois ans à Jérusalem.
Les Lumières de Tel-Aviv est un roman choral. Parce que sa forme propose autant de points de vue autour de ce contexte explosif ?
Bien sûr. Je voulais d’abord reprendre les personnages d’Ana et d’Eli Bishara, déjà présents dans Adieu Jérusalem où ils se séparent à la fin du roman. Bishara était déjà présent dans Balagan. Ce personnage me débloque tout. Il est source d’imagination dingue parce qu’il est Palestinien d’Israël. Il fallait donc que son amour perdu, Ana, soit de la partie aussi. Ensuite, c’était assez simple. Je voulais un ultraorthodoxe, qu’on appelle un » sortant « . Ce sont des gens qui s’échappent vers un monde laïque. Ils sont mis au ban de leur communauté, ils sont rejetés par leur épouse et leurs enfants. Certains se suicident, déboussolés par ce retour au réel.
Les Lumières de Tel-Aviv est un thriller âpre et engagé avec un nouveau mur surveillé par des robots tueurs. Pourquoi ?
Parce que le mur est déjà là. Pour raconter tous ces murs qui se construisent partout. Même aujourd’hui, avec le coronavirus (NDLR : l’entretien s’est déroulé à Bruxelles le 7 mars dernier), tout le monde se calfeutre, on ne s’embrasse plus, pour d’autres raisons, certes… J’ai surtout voulu raconter ce qui risque de se passer, ce qui va se passer, si Israël continue dans cette même voie. Le livre, c’est l’étape d’après, celle des nationalistes russes qui chassent les Palestiniens d’Israël et les Palestiniens de Cisjordanie. Il n’y a plus un seul Palestinien en Israël.
Malgré tout, Les Lumières de Tel-Aviv reste lumineux. Vous refusez de désespérer ?
On ne peut pas. J’ai voulu rêver un peu et imaginer les Israéliens laïques qui recréent l’utopie des premières années mais cette fois, en y ajoutant les Arabes. En ne refaisant pas la même erreur qu’au début des années 1940. J’ai voulu imaginer ces laïques juifs et arabes retranchés à Tel-Aviv construisant un monde idéal, comme à l’époque des kibboutzim, où les enfants sont élevés à part pour permettre aux parents de travailler aux champs ou partir pêcher pour nourrir la communauté.
Vos romans tournent autour de cette même question, dont vous avez peut-être la réponse. Comment la religion peut-elle s’intégrer dans la société moderne ?
Je n’ai rien contre la religion. Je me sens totalement laïque, je ne crois en rien de particulier, j’aimerais bien croire, ça doit être plus facile. Je comprends qu’on puisse croire mais ce que je ne supporte pas, c’est qu’avec cette croyance, on rejette ceux et celles qui ne croient pas comme vous. La laïcité devient aussi compliquée. Il y a les laïques qui ne supportent pas les signes religieux, quels qu’ils soient. Tous ces mondes construisent des murs entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas ou qui refusent que d’autres croient. Finalement, j’ai voulu raconter cette difficulté de vivre ensemble. Même au sein d’une communauté ouverte.
Vous faites aussi écho à la loi Israël, la loi sur l’Etat-nation adoptée par la Knesset le 19 juillet 2018 où, je cite : » Pour la première fois, Israël se définissait officiellement comme un Etat purement juif niant tous ses droits à la minorité arabe et en abandonnant son statut de démocratie. «
Ce fut un choc pour la minorité arabe qui se sent israélienne. C’est pour cela que je tenais au personnage de Eli Bishara. Il est à la fois Israélien et Palestinien. Ça doit être terriblement compliqué. Lui se sent solidaire de ses frères arabes, tout en se sentant très israélien. Si un Etat palestinien venait à se créer, je ne suis pas certaine qu’il serait tenté d’y vivre. Il véhicule tous les sentiments ambivalents que vous pouvez ressentir en Israël, aujourd’hui encore. Sur place, j’ai rencontré beaucoup d’universitaires formidables et, pourtant, le personnel politique est médiocre. Les Palestiniens, c’est pareil sauf qu’ils sont sous cloche mais ils n’ont pas un personnel politique à la hauteur non plus. Tous ces gens-là méritent autre chose. C’est ce que j’essaie de montrer dans mes romans. Ce ne sont pas les méchants contre les gentils. Il y a des gens formidables des deux côtés. Des affreux des deux côtés avec, toutefois, un peuple oppressé d’un côté. Il y a une responsabilité dramatique de l’Etat d’Israël d’occuper, de traiter ce peuple de cette façon-là. En ce moment, c’est tragique. Le processus électoral est toujours coincé, le pays toujours paralysé. C’est vraiment triste parce que c’est une région qui mérite d’autres leaders. Il manque un leader charismatique qui tape sur la table en disant : » Ça suffit ! On arrête ces conneries ! » Et puis, Benjamin Netanyahou a tellement joué sur la politique de la peur pour se faire réélire, la peur de l’Iran, la peur du Hamas, que – ce que je peux comprendre aussi – beaucoup d’Israéliens continuent à voter pour lui malgré ses casseroles. Même ses opposants appliquent cette politique droitière et personne de sensé n’émerge.
(1) Les Lumières de Tel-Aviv, par Alexandra Schwartzbrod, Rivages/Noir, 283 p.
Faudrait demander à Alexandra Schwartzbrod de changer son fusil d’épaule.
Elle s’enfonce dans la solution de deux Etats sur laquelle les Palestiniens juifs (les Israéliens) et les Palestiniens musulmans (les « Palestiniens) butent depuis les accord d’Oslo (1993). Et elle aimerait que la résistance au fanatisme territorial des orthodoxes s’organise en Israel !
Elle ferait mieux de nous parler sérieusement d’un seul Etat couvrant Israel et la Cisjordanie, n’acceptant pas le retour des « réfugiés » et de leur descendance, auxquels pas un seul pays arabe n’a donné les clés de l’avenir, malgré que quelques tombereaux de dollars versés par l’UNRWA depuis des dizaines d’années.
Qu’elle se renseigne : il y a bien quelques chercheurs en science politique de par le vaste monde qui doivent une idée de comment ça pourrait se passer !