Les mesures de confinement que nous connaissons actuellement étaient déjà prescrites dans l’Ancien Testament et le Talmud. Cette conscience aiguë du bénéfice des mesures individuelles d’hygiène au profit de la collectivité est centrale dans les textes de la sagesse juive.
Prendre soin de chaque patient, c’est l’objectif de tous les soignants face à l’épidémie de Covid-19 qui sévit actuellement dans le monde. En première ligne figure le personnel soignant des hôpitaux qui gère les cas les plus graves, en collaboration avec l’ensemble des soignants en ville qui apportent les soins nécessaires pour tenter de décharger les urgences hospitalières. La réponse à cette pandémie ne peut être que collective.
Coopération entre les soignants, mais aussi avec l’ensemble de la population qui doit prendre ses responsabilités en restant confinée chez elle pour limiter les contacts et appliquer les gestes barrières au quotidien. La moindre négligence de l’un d’entre nous peut avoir des conséquences sur l’ensemble de la population. Il n’est plus question d’individualisme aujourd’hui, on l’aura compris, mais d’un élan collectif. Cette crise sanitaire d’une ampleur considérable, en révélant notre vulnérabilité, pourrait nous faire entrer dans l’ère d’un altruisme authentique, d’une générosité spontanée dans l’espoir de réparer un monde qui vacille.
Les ordres de Moïse et d’Isaïe
S’il y a bien une leçon à tirer de cette épidémie, c’est le constat de notre interdépendance les uns envers les autres, mise en relief par le respect commun des règles de santé publique. Cette conscience aiguë du bénéfice des mesures individuelles d’hygiène au profit de la collectivité est centrale dans les textes de la sagesse juive. On peut lire dans le Talmud (Traité Baba Kama 60b) que si une « épidémie sévit dans une ville, il faut faire en sorte de rester chez soi ». Une recommandation qui date de plus de quinze siècles, et qui est argumentée par les rédacteurs du Talmud en apportant non pas une source scripturaire – comme à l’accoutumée –, mais trois sources pour montrer le bien-fondé de cette mesure.
La première citée est un extrait du Livre de l’Exode (Exode 12, 22). Moïse s’adresse aux anciens d’Israël avant que l’Égypte soit affligée de la dernière plaie, celle qui frappe de mort l’ensemble des premiers-nés du royaume. Il leur dit : « Que pas un d’entre vous ne franchisse alors le seuil de sa demeure, jusqu’au matin. » Confinement avant l’heure de la délivrance pour ce peuple esclave en Égypte. Toutefois, les rabbins du Talmud, craignant que cette source scripturaire amène à penser que le confinement ne doive se limiter qu’à la nuit, proposent un deuxième extrait. Dans le Livre d’Isaïe est exprimée l’idée d’un confinement nécessaire durant toute la période au cours de laquelle sévit l’épidémie. « Va, mon peuple, retire-toi dans tes demeures, et ferme les portes derrière toi ; cache-toi un court instant, jusqu’à ce que la bourrasque soit passée » (Isaïe 26, 20). Cette exhortation du prophète Isaïe évoque indéniablement les mesures de confinement que nous vivons.
Aucune dérogation possible
On notera que si les rabbins du Talmud ont bien conscience que l’isolement peut avoir des effets psychologiques néfastes et attenter au moral des gens confinés, ils préfèrent néanmoins avertir en expliquant que les angoisses engendrées par de telles mesures restent bien moindres que le risque d’être victime de l’épidémie. Ils apportent ainsi la troisième source scripturaire issue du Deutéronome : « Au dehors, l’épée fera des victimes, au dedans, ce sera la terreur : adolescent et adolescente, nourrisson et vieillard » (Deutéronome 32, 25). Il est alors clair, pour les rédacteurs du Talmud, que rien ne justifie de déroger aux règles sanitaires.
Le médecin est d’ailleurs au centre de la société juive ; ses soins et son expertise sont vivement recommandés par les rabbins. On ne peut habiter une ville où il n’y a pas de médecin, selon le Talmud (Sanhédrin 17b). Simon Ben Sira, scribe du IIe siècle avant notre ère, auteur du Siracide, va jusqu’à formuler le célèbre dicton repris plus tard dans le Talmud : « Honore le médecin avant d’avoir besoin de lui. » Il n’est pas concevable pour les rabbins de s’en remettre exclusivement à la Providence en cas de maladie, et notamment dans un contexte d’épidémies. On peut ainsi lire dans le traité Taanit du Talmud, sous la plume de Rabbi Yanaï : « Quelqu’un ne doit pas se tenir dans un lieu où il y a une situation périlleuse en arguant que du ciel on fera un miracle pour lui, peut être que le miracle attendu ne viendra pas. » Il est donc nécessaire de prendre soin de sa vie comme le prescrit le texte du Deutéronome : « Prenez bien garde à vous-mêmes! » (Deutéronome 4-15).
Cette injonction à prendre soin de soi ne doit évidemment pas occulter l’importance de la prière et sa place centrale dans la guérison selon la tradition juive. La première occurrence du mot « prière » dans le texte biblique est d’ailleurs associée à la notion de guérison (Genèse 20-17). Il s’agit d’un passage qui relate l’enlèvement de Sarah, épouse d’Abraham, par le roi Abimélec dans la ville philistine de Guérar. Selon les commentateurs de la Bible, Dieu envoie une maladie à Abimélec afin qu’il soit dans l’incapacité d’abuser de Sarah. Si elle est finalement relâchée, le roi n’en est pas guéri pour autant. Il faudra qu’Abraham accepte de prier pour que la guérison d’Abimélec soit rendue possible.
La prière apaisante
Bien qu’il ne soit pas question de substituer la prière aux soins médicaux, il est néanmoins intéressant de remarquer que la prière fait partie de l’arsenal thérapeutique dans la tradition talmudique. Elle peut contribuer à apaiser un malade en situation de détresse morale ou de souffrance physique. Au-delà du besoin de se raccrocher à des forces spirituelles, la prière est aussi le refus de toute forme de fatalisme. L’histoire du roi Ézéchias, roi du royaume de Juda (715-687 avant notre ère), atteint d’une maladie mortelle, en est la parfaite illustration. Le prophète Isaïe, venant à la rencontre du roi pour lui annoncer qu’il allait mourir, entend la réponse royale : « Mets fin à ta prophétie et va t’en car j’ai reçu cet enseignement de la maison de mon père, que même si un glaive aiguisé est posé sur le cou d’un homme, il ne doit pas s’abstenir d’implorer la Miséricorde divine. » Malgré la prophétie d’Isaïe, les prières du roi Ézéchias furent exaucées et il fut guéri.
Ariel Toledano est médecin et auteur de plusieurs livres sur la médecine et la sagesse juive. Dernier ouvrage paru : La médecine de Rachi, pour une approche humaniste du soin (In Press Éditions, 2020).
Source lemonde
Magnifique choix, merci !