Le 12 avril 1978, un homme de petite taille, lunettes épaisses, distribue un tract polycopié à ses étudiants dans les locaux de l’Unité d’Enseignement et de Recherche de l’Université Lyon 2, située quai Claude Bernard.
Le titre de ce tract n’est pas anodin : « Le Problème des “chambres à gaz”, ou la rumeur d’Auschwitz ». Cet homme s’appelle Robert Faurisson. Né en 1929, il est maître de conférences en littérature du XXème siècle contemporaine dans cette université marquée à gauche. Dans le livre de sa faculté où il a été élu en décembre 1973, il précise ses domaines de spécialité : “critique de textes et de documents, recherche du sens et du contresens, du vrai et du faux ». Docteur ès lettres depuis le 17 juin 1972 pour une thèse sur Lautréamont, Faurisson n’est pas historien. On le voit, en 1971, présenté comme critique littéraire, dans l’émission Post Scriptum de Michel Polac. A l’époque, il est déjà connu pour son goût immodéré pour la provocation, un narcissisme très développé et une appartenance idéologique à l’extrême-droite qui ne fait plus aucun doute depuis qu’il publie régulièrement des articles dans la revue Défense de l’Occident. Son cours de maîtrise, sur l’étude critique des documents, lui offre une vitrine universitaire pour contester l’authenticité du Journal d’Anne Frank.
Le contenu du tract de Faurisson du 12 avril 1978 est d’une énormité grossière que l’on pourrait résumer ainsi : “les crématoires oui, les chambres à gaz non”. Toute la technique de Faurisson est celle du faussaire qui consiste à extrapoler à partir de considérations techniques sur la question des chambres à gaz homicides. Selon lui, si les chambres à gaz n’ont pas existé, alors la Shoah serait un mythe, avant de conclure son propos dans une abjection totale : “Le nazisme est mort, et bien mort, avec son Führer. Reste aujourd’hui la vérité. Osons la proclamer. L’inexistence des « chambres à gaz » est une bonne nouvelle pour la pauvre humanité. Une bonne nouvelle qu’on aurait tort de tenir plus longtemps cachée”.
Rapidement, deux autres tracts suivent : « Les retombées politico-financières du “génocide” des Juifs » (23 mai) et « Pour une histoire véridique de la Seconde Guerre mondiale » (23 mai). Il abreuve, pour ne pas dire “harcèle” les grands quotidiens de propositions de tribunes qui sont toutes refusées. Comme le rappelle l’historienne Nadine Fresco, « En quatre ans, il a écrit 29 fois au Monde au sujet des chambres à gaz ». Son obsession est là. Les événements vont lui donner l’occasion de sortir, un peu plus, de l’ombre.
Le 25 octobre 1978, l’Express publie une interview de 15 pages de Darquier de Pellepoix, antisémie viscéral, ancien Commissaire général aux Question Juives sous le régime de Vichy et alors en fuite en Espagne. Dans cet entretien, il lâche : “A Auschwitz, on n’a gazé que les poux. » Le tumulte est considérable. Le CRIF, la LICA et le MRAP saisissent la justice. Le 16 novembre 1978, Le Matin de Paris donne la parole à Faurisson dans un entretien intitulé « Les chambres à gaz : ça n’existe pas » et à la faveur duquel il applaudit aux propos de Darquier. A l’Université Lyon 2, Faurisson se fait molester. C’est sans doute cette agression qui expliquera, un mois plus tard, l’inexplicable. Le 29 décembre 1978, Le Monde publie une tribune de Faurisson qui n’est autre que la reprise abrégée du tract du 12 avril 1978. Le grand quotidien de référence, sous couvert de pluralisme, a franchi ce jour-là la ligne rouge en offrant une visibilité inespérée à des thèses qui ne méritaient pas de sortir des groupuscules d’extrême-droite qui les affectionnent tant.
Début 1979, les étudiants de l’UEJF empêchent la tenue des cours de Faurisson. Il n’enseignera plus à Lyon 2 et sera détaché au CNED non sans bénéficier d’une mesure collective de promotion en devenant Professeur des Universités.
La même année, la LICRA et d’autres associations poursuivent Faurisson notamment pour diffamation raciale et incitation à la haine raciale. En décembre 1980, l’avocat de la LICRA, Robert Badinter plaide : « Il ne vous restait, en présence de la vérité, que ce qui est le prix du faussaire ; il ne vous restait, en présence des faits, qu’à les falsifier ; en présence des documents, qu’à les altérer ou à les tronquer ; en présence des sources, à ne pas vouloir les examiner ; en présence des témoins, à refuser leurs dires… Face à la vérité, M. Faurisson et ses amis n’avaient que le choix d’être des faussaires, et c’est le parti qu’ils ont adopté en se drapant dans une dignité qui n’était pas la leur, celle de la science historique… Avec des faussaires, on ne débat pas, on saisit la justice et on les fait condamner”.
Ce sera chose faite. Il faudra attendre 1990 pour que la loi française intègre des sanctions pénales spécifiques au négationnisme. Faurisson, lui, finira sa carrière négationniste sur scène, aux côtés de Dieudonné M’Bala M’Bala.