Membre de la communauté ultraorthodoxe, Yaakov Litzman a tardé à y faire respecter les consignes de distanciation sociale et de confinement, fragilisant ses coreligionnaires, durement touchés par le Covid-19.
Haro sur le ministre de la santé. Yaakov Litzman, sans conteste le ministre le plus impopulaire d’Israël, subit un flot de critiques depuis qu’il a été diagnostiqué, jeudi 2 avril, porteur du coronavirus, tout comme son épouse. Cette révélation a entraîné l’isolement du chef du gouvernement, Benyamin Nétanyahou, qui s’était trouvé à ses côtés à de multiples reprises, ainsi que du chef d’état-major, Aviv Kokhavi, du patron du Mossad, Yossi Cohen, et de la haute direction du ministère de la santé.
Selon la chaîne 12, M. Litzman, membre de la communauté ultraorthodoxe, avait ignoré les consignes de distanciation sociale de sa propre administration. D’après des témoignages de voisins rapportés par la presse, il aurait continué de se rendre dans une synagogue proche de son domicile, dans le quartier Ezrat Torah de Jerusalem, pour y prier en groupe. Yaakov Litzman a nié ces accusations.
Poste politique
Alors que le pays recense 9 755 personnes infectées et 79 morts, les appels à la démission n’ont suscité aucune réaction de M. Nétanyahou. Selon diverses fuites concordantes sur l’accord que le premier ministre négocie avec son opposition, en vue de former un gouvernement d’union, M. Litzman paraît voué à conserver son poste.
Sans éducation scientifique, ce ministre tient un poste éminemment politique. Il représente depuis avril 2009 au gouvernement un parti ultraorthodoxe fort de sept sièges à la Knesset, et solidement arrimé à la coalition de droite de M. Nétanyahou. « Il est le soldat le plus loyal que Nétanyahou aura jamais. C’est pour cela qu’il le défendra (…) même si le renvoyer ou le changer de poste serait une décision immensément populaire », note l’analyste de la chaîne 13 Barak Ravid.
M. Litzman, 71 ans, appartient à la communauté hassidique de Gour. Très proche de sa direction religieuse, il représente son parti, Agudat Yisrael, au sein d’un Etat que les ultraorthodoxes tiennent en grande défiance. Il contribue ainsi à maintenir des subventions publiques pour leurs écoles religieuses et les exemptions de services militaires accordées à leurs étudiants.
Corruption et fraude
M. Litzman fait de longue date l’objet du ressentiment d’Israéliens laïcs et juifs traditionnels, qui accusent notamment les ultraorthodoxes (représentant environ 10 % de la population), de vivre aux dépens de leurs concitoyens, dans un état de relative autarcie et d’impunité pour leurs dirigeants.
Avant la pandémie, la police israélienne et l’avocat général avaient cependant recommandé des poursuites en justice contre M. Litzman pour corruption, fraude et abus de confiance. Il est soupçonné d’avoir fait pression sur des psychiatres affiliés au ministère pour qu’ils déclarent l’irresponsabilité pénale de Malka Leifer, une ancienne directrice de lycée ultraorthodoxe, accusée d’avoir commis de multiples sévices sexuels dans un établissement de Melbourne, en Australie, ceci afin d’empêcher son extradition. Aggravant les choses, le quotidien Haaretz a aussi révélé que M. Litzman aurait utilisé son ministère pour faciliter des contrats financiers et immobiliers en faveur de sa communauté.
Avec l’arrivée du virus, c’est l’impréparation du ministère de la santé qui lui est désormais reprochée. La presse a soudain redécouvert le manque d’investissements qu’a connu le secteur depuis dix ans, et dans les faits depuis les années 1970. Cette critique visait M. Litzman mais surtout M. Nétanyahou lui-même, les deux hommes s’étant relayés à la tête du ministère durant cette période.
Soir après soir, M. Litzman est apparu à la télévision, chapeau de fourrure cylindrique traditionnel et longue barbe blanche, au côté de M. Nétanyahou, pour détailler les mesures prises afin de limiter la propagation du virus. Dans le même temps, en coulisses, le ministre cherchait à obtenir le maintient des activités religieuses de sa communauté, insistant pour que la police ne gêne pas les festivités de Pourim, à la mi-mars. Il est apparu depuis que ces réjouissances ont constitué le premier grand pic de contaminations du pays.
« Le Messie nous sauvera »
Par la suite, M. Litzman s’est employé à maintenir les synagogues et les bains rituels ouverts aussi longtemps que possible. Interrogé à la mi-mars sur la possibilité que les Israéliens soient contraints à demeurer en isolement jusqu’aux fêtes de Pâques, il s’était dit assuré que « le Messie arrivera[it] et nous sauvera[it] tous des troubles du monde. »
« Il a été tiraillé entre les exigences de sa communauté et ses fonctions, mais Litzman est vraiment dédié à sa tâche : c’est l’ambition d’une vie pour lui », nuançait à la fin mars Jonathan Halevy, président de l’hôpital Shaare-Zedek de Jérusalem. Pourtant, la principale victime de ces retards demeure la propre communauté de M. Litzman : elle concentre la majorité des cas d’infections dans le pays. Dans les hôpitaux de Jérusalem, 75 % des patients traités sont des ultraorthodoxes. M. Litzman a failli dans son rôle de courroie de transmission entre l’Etat et une communauté pauvre, fragile et parlant souvent mal l’hébreu courant.
Mais les principaux responsables de cette débâcle demeurent les rabbins ultraorthodoxes. Le premier d’entre eux, Chaim Kanievsky, a longtemps refusé d’écouter les conseils des experts de santé, comme l’y incite la tradition rabbinique et comme M. Litzman aurait dû le faire lui-même, s’évertuant à maintenir ouvertes les écoles religieuses.
Aujourd’hui, en dehors de quelques sectes radicales, les ultraorthodoxes paraissent respecter les mesures d’isolement. Le gouvernement note que la communauté dispose d’atouts importants : elle est majoritairement jeune, donc moins fragile face au virus, et dotée d’une forte discipline de groupe. A tel point qu’aucune critique publique ne s’est encore élevée de son sein contre les errances de ses dirigeants.