Des soignants qui jettent l’éponge, des familles impuissantes qui attendent un appel, une « newsletter » avec le bilan redouté: dans l’un des Ehpad les plus touchés de Paris, appartenant à la fondation Rothschild, l’épidémie ravage à huis clos.
Près de 500 personnes, issues de toutes classes sociales, occupent les chambres de cet établissement, l’un des plus grands de la capitale. Dans l’aile Gila, l’un des quatre bâtiments de cette vaste institution privée, le téléphone sonne dans le vide depuis des jours.
Zone grise depuis le début de l’épidémie, les décès dans les Établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) – plus de 7.500 en France -, étaient jusqu’à la semaine dernière encore exclus du décompte prenant seul en compte les décès à l’hôpital.
Selon le dernier bilan lundi, au moins 2.417 personnes sont mortes en Ehpad ou dans les autres centres médico-sociaux depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Entre deux phrases dites par sa mère avec difficulté au téléphone, Clarisse Marquez comprend qu’on « lui a mis quelque chose dans le nez ».
Il lui faudra plusieurs jours pour réussir à joindre une aide-soignante: un test au Covid-19 a été réalisé sur sa mère; elle est « malade depuis plusieurs jours », lâche la soignante avant d’écourter la conversation. Depuis, Clarisse Marquez affirme n’avoir reçu aucune autre information, si ce n’est que le test a été positif. « Un patient de 90 ans » est déjà guéri, lui a dit un médecin pour tout réconfort.
« Pénurie »
Depuis le 12 mars, après avoir déjà restreint les visites et mis en place des mesures barrières, la maison de retraite de la fondation Rothschild, s’est confinée pour empêcher le virus de toucher ses occupants, particulièrement à risque.
Du portail de la rue Picpus (XIIe arrondissement) seul entre et sort le personnel soignant. Il y a quelques jours, une entreprise a livré des cercueils. Pendant une semaine, aucun nouveau bilan dans l’établissement n’a été communiqué. La direction, sollicitée par l’AFP, n’a pas souhaité, dans un premier temps, répondre aux questions.
Fin mars, une équipe de l’Agence régionale de Santé (ARS) s’est rendue dans l’établissement pour s’assurer de la mise en œuvre des mesures de protection. « L’ARS a des contacts réguliers avec l’établissement », assure l’agence à l’AFP.
Dans un courrier aux familles quelques semaines plus tôt, la directrice de l’établissement, Hélène Valentin, assurait que « les personnels intervenant sur un résident porteur du virus sont entièrement équipés de surblouses, masques, lunettes, et gants de protection ».
Pour les cas ou suspicions, « des regroupements sont organisés à certains étages afin d’éviter la propagation », ajoutait-elle. Toutefois, selon des sources concordantes, l’établissement fait face à une pénurie de soignants, eux-mêmes contaminés ou qui ont exercé leur droit de retrait sous forme d’arrêts maladie.
La direction a informé les familles être « en train de recruter » et les a même sollicitées, leur demandant d’orienter vers elle les professionnels de santé qu’elles connaîtraient. La direction contestait lundi soir cette situation, évoquant certains salariés « contaminés, ou malades, ou empêchés du fait de gardes d’enfants ». « Mais ils ont toujours été remplacés au planning par des intérimaires ou par des heures supplémentaires effectuées par leurs collègue », a indiqué la directrice générale de la Fondation Lucile Rozanes Mercier à l’AFP.
Selon une aide-soignante membre du réseau d’Ehpad de la fondation, elle-même en arrêt maladie, le personnel dans le réseau en Ile-de-France manque, les soins sont limités au minimum et des consignes comme « faire la toilette en dernier aux malades » du Covid pour éviter la propagation, ont été données. Elle dénonce un manque de matériel de protection en début d’épidémie, corroboré par un mot de la direction aux familles les remerciant pour leurs « dons de masques ».
Depuis, selon une source syndicale au sein de l’établissement, des arrivées de matériel permettent aux soignants de tenir « au jour le jour ». Selon la direction de la Fondation, la question du lien avec les familles dans ce moment dramatique, jugé insuffisant par certaines, a été en partie résolu par la mise en place de rendez-vous par « Skype » organisés lorsque cela est possible entre les résidents et leurs proches.
« Irréalité »
Un responsable du culte israélite de cet établissement, qui accueille de nombreux pensionnaires juifs, dont plusieurs survivants de l’époque de la Shoah, n’a pas eu de nouvelles de l’établissement depuis trois semaines. « C’est comme si je n’existais pas », dit-il à l’AFP sous couvert d’anonymat. La synagogue a été fermée le 3 mars. A ce moment-là, les visiteurs doivent alors répondre à un questionnaire de santé à leur entrée, prendre leur température et se laver les mains.
Pour le premier tour des municipales, il sera interdit aux pensionnaires « de se déplacer pour voter ». Une cellule pour enregistrer les procurations est mise en place au pavillon Malka. C’est là que vivait Marguerite Derrida, 87 ans. La psychanalyste, épouse du célèbre philosophe français Jacques Derrida, avait rejoint il y a un an l’établissement, recommandé à ses deux fils.
L’un d’eux, Jean, réussit à la voir une dernière fois avant l’interdiction des visites édictée au niveau national le 11 mars. « Les dames de compagnie étaient là, le personnel, comme d’habitude semblait un peu débordé, mais sans plus », se souvient-il. « Est-ce à ce moment-là que le virus a circulé? », s’interroge-t-il.
Quelques jours plus tard, quatre premiers cas de Covid-19 dans l’établissement sont confirmés aux familles. Ils sont logés au même étage que Marguerite Derrida, où s’alignent, avec vue sur un jardin, une quarantaine de chambres.
Rapidement, une suspicion de contamination plane sur elle. Un médecin dit à Jean « ne pas être optimiste ». Et un samedi matin, un bref coup de fil annonce la nouvelle: c’est fini. Sa mère sera enterrée aux côtés de son mari, seuls ses deux fils seront présents.
Face aux questions sur les dernières heures de sa mère, l’infirmière écourte: « j’ai senti qu’ils avaient des consignes », dit-il, encore surpris par « l’irréalité » de la vitesse à laquelle ça c’est produit. Vendredi, après une semaine marquée par une montée en puissance de l’épidémie en France, l’établissement s’est décidé à envoyer un nouveau courrier aux familles.
Dernier bilan: 117 résidents contaminés, soit un sur quatre en trois semaines, 34 morts. La semaine précédente, il y avait 19 morts. En recevant ce courrier, Clarisse Marquez a repris sa vaine tournée d’appels. « J’ai peur qu’on apprenne juste froidement que c’est fini », dit-elle. Aux dernières nouvelles, sa mère a été placée sous assistance respiratoire.