En ces temps de confinement et d’introspection, pourquoi ne pas plonger dans l’histoire de la psychanalyse avec un documentaire sur Freud ?
Romain de Becdelièvre, producteur délégué de Par les temps qui courent, vous propose de vous confiner en compagnie d’un hôte inattendu, le père de la psychanalyse, avec le documentaire Sigmund Freud, un juif sans Dieu de David Teboul, diffusé sur Arte le 6 avril et déjà disponible sur arte.tv.
Biopic d’un patriarche
A l’heure où Netflix cherche à nous vendre sous le nom de « Freud » un médecin profileur, cocaïnomane et crypto-sulfureux, il semble salutaire de revenir aux sources historiques. Le documentaire de David Teboul s’empare du sujet Sigmund Freud avec précaution. « Mon père disait que les biographes étaient tous des menteurs » met en garde Anna Freud, la fille du patriarche, née en même temps que la psychanalyse. La phrase résonne comme un avertissement adressé au film lui-même. Face aux écueils de la biographie documentaire, le film de David Teboul laisse déborder son sujet dans une profusion d’images d’archives, tout en suivant un cadre rigoureux.
Ne cherchant pas à percer un hypothétique et clinquant « mystère Freud », David Teboul suit fidèlement la chronologie de la vie du père de la psychanalyse. Depuis sa naissance en Moravie jusqu’à sa mort, en exil à Londres aux portes de la guerre, en septembre 1939. Il évoque ses origines juives, la tradition orale, Vienne à la fin du 19ème siècle, son livre L’interprétation des rêves, publié en 1900, au tournant du siècle, et la patiente élaboration d’un savoir nouveau. Toutes choses bonnes à apprendre pour qui n’est pas versé dans l’histoire de la psychanalyse, ni dans celle de l’Europe centrale.
Le film est porté par un casting de voix prestigieuses : Mathieu Amalric campe un Freud sobre, Isabelle Huppert joue le rôle central d’Anna, Denis Podalydès prend en charge la narration, et Catherine Deneuve fait une apparition en Marie Bonaparte, patiente célèbre. Le documentaire met en avant l’entourage de Freud, et accorde une grande place à la lecture des correspondances intimes. La famille du psychanalyste figure au premier plan, ainsi que ses acolytes, le médecin Wilhelm Fliess, Carl Gustav Jung, avec le récit de leurs ententes et de leurs brouilles successives.
Le travail des images
Un homme plonge au ralenti, pendant que le narrateur déplie la pensée de Freud sur l’énergie sexuelle. Des enfants jouent aux cow-boys et aux indiens, pendant que la voix d’Amalric/Freud explique la partition de l’esprit entre le ça, le surmoi et le moi. Le geste le plus fort de Freud, un juif sans Dieu tient dans ces associations, dans le montage de ces archives d’origines extraordinairement diverses, qui construisent une narration parallèle au récit biographique.
On verra par exemple des images de carnavals, de processions rituelles, accompagner les descriptions freudiennes des symptômes d’Anna O., patiente atteinte d’hystérie, et cas fondateur pour Freud. Plus tard, ce sont des images d’un stade rempli de figures déguisées à l’antique, qui résonnent avec le texte de Malaise dans la civilisation : « Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée de ruine ». Ces images quotidiennes d’origines inconnues fascinent, inquiètent, et tissent une trame historique et mystérieuse. Les traumatismes individuels et intérieurs des patients de Freud croisent des travellings sur des foules ou des images de forêts. L’intime et le social viennent s’entrechoquer.
C’est tout un arrière-plan plastique et mythique qui se dessine avec ce montage, un lieu où vient s’ancrer la pensée freudienne. Freud, un juif sans Dieu a ainsi pour vertu principale de sortir le savoir psychanalytique de la bibliothèque (ou du cabinet), et de faire se rencontrer, par les images, l’actualité d’une époque avec l’histoire antique et la mythologie classique, dans une atmosphère trouble de libre association. Comme s’il s’agissait de montrer en acte le travail de la psychanalyse, ce savoir nouveau, qui emprunte tour à tour à la médecine, à l’anthropologie, à la littérature, et à la vie quotidienne.
Toutes ces images, muettes et couplées à une création sonore minutieuse, travaillent ensemble et font naître des rencontres étrangement inquiétantes. On tremble par exemple devant une chouette qui scrute au ralenti l’œil de la caméra, entre deux cartels qui retranscrivent le récit d’un rêve de Freud : celui de sa mère endormie, emportée dans un lit par d’étranges hommes à la tête d’oiseau… On y repense après coup.
Freud, une icône en mouvement
Une barbe blanche soigneusement taillée, des lunettes rondes qui cerclent un regard perçant, une main qui enserre un éternel cigare. L’image de Freud, connue de tous, s’est hissée au rang d’icône. Elle est devenue l’objet d’une mythologie mondiale, qu’il partage avec d’autres figures de savants (on peut penser à Einstein, ou à Marx). Freud, un juif sans Dieu nous offre la possibilité, tour à tour saisissante et inquiétante, de voir cette image habituellement fixe, en noir et blanc ou en couleur passée, s’animer littéralement sous nos yeux. Un travail subtil de ralenti parfois poussé à l’extrême (seulement quelques images par seconde) donne l’étrange sensation de voir des photos de familles ou une statue bouger, dans un temps indistinct.
On ignorait qu’il existât autant d’images filmées du créateur de la psychanalyse. Le documentaire de David Teboul leur accorde une large place. On voit ainsi Freud arpenter son jardin de la banlieue viennoise, puis sa résidence d’exil à Londres. Il cueille des fleurs dans un massif, s’assoit sur un transat et caresse Topsy, son chow-chow bien-aimé. Ces scènes tranquilles contrastent avec la lecture des lettres de Freud, à la fois analyste et patient de son propre cas, spectateur et sujet de ses propres pulsions de mort.
Sigmund Freud, un juif sans Dieu de David Teboul, diffusé sur Arte le 6 avril et déjà disponible sur arte.tv