Dans une tribune adressée au « Monde », le microbiologiste de Marseille, promoteur de l’utilisation de l’hydroxychloroquine contre les infections à coronavirus, justifie ses méthodes et s’en prend aux règles éthiques actuellement en vigueur en France.
Il est nécessaire que la société s’exprime sur les problèmes de l’éthique, et, en particulier, de l’éthique médicale. Des institutions ont été créées pour y répondre, telles que le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ou les Comités de protection des personnes, chargés de l’évaluation des projets de recherche médicale. Malheureusement, ces structures ont évolué sous l’influence des spécialistes de la méthode et, petit à petit, la forme a fini par prendre le dessus sur le fond.
Les vrais problèmes moraux et déontologiques ne me semblent plus y être prioritaires. Je m’en étais d’ailleurs ouvert au professeur Didier Sicard, qui présidait auparavant le CCNE, sur un certain nombre de points. Il était entièrement d’accord avec moi. L’avis du comité d’éthique sur la vaccination obligatoire ou sur la restriction de médicaments de base devait faire l’objet de l’avis d’un « vrai » comité d’éthique.
Par exemple, dans le projet de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) que j’ai créé il y a dix ans, était inscrite la création d’un comité de « déontologie » ou de « morale ». Depuis, ce comité nous a donné plusieurs avis qui me paraissent plus en accord avec ce que je crois.
Premièrement, il a insisté (avant même la loi de Xavier Bertrand [2011], en partie écrite par Dominique Maraninchi) sur l’importance de la transparence et des liens d’intérêt. Les gens ne doivent pas porter d’avis sur les domaines où ils ont un lien d’intérêt, car ceci devient un conflit d’intérêts. Ainsi, quelqu’un qui travaille sur la thérapeutique peut donner un avis sur le diagnostic ou l’épidémiologie, pas sur une thérapeutique qui contiendrait des produits sur lesquels il a travaillé. Dans la situation actuelle, un rappel de cette notion de bon sens pourrait être important.
Médicament pas meilleur, juste aussi bon
La deuxième chose est que nous avons interdit les contacts directs, à l’intérieur de l’IHU, entre les représentants des entreprises pharmaceutiques (visiteurs médicaux) et les praticiens. Je crois que nous sommes une des rares, ou la seule, institution qui ait adopté une démarche de cette nature en France.
Enfin, alors que les comités d’éthique et les comités de protection des personnes ne voient aucun problème éthique aux études de non-infériorité, nous les avons interdites. Il s’agit de démontrer que le médicament que l’on teste n’est pas plus toxique ni moins efficace que le traitement habituel. Pas meilleur, juste aussi bon. Et on est censé dire au malade qu’on va lui donner au hasard soit le médicament dont on sait qu’il marche, soit le médicament dont on ne sait pas s’il marche.
Dans ces conditions, il est de mon point de vue totalement impossible qu’un malade accepte. S’il le fait, ceci signifie juste qu’il n’est pas bien informé. En effet, les exigences des comités de protection des personnes entraînent des documents de plusieurs pages à lire, et à signer, comme des contrats d’assurance, que les patients ne comprennent pas la plupart du temps. Ils ont juste confiance en la personne qui leur demande de signer.
Dictature morale
Enfin, l’envahissement des méthodologistes amène à avoir des réflexions purement mathématiques. Husserl disait : « Les modèles mathématiques ne sont que les vêtements des idées. » C’est-à-dire que l’on utilise la méthode, en réalité, pour imposer un point de vue qui a été développé progressivement par l’industrie pharmaceutique, pour tenter de mettre en évidence que des médicaments qui ne changent pas globalement l’avenir des patients ajouteraient une petite différence. Ce modèle, qui a nourri une quantité de méthodologistes, est devenu une dictature morale. Mais le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste.
Il existe deux exemples fameux de réflexion illustrant cette pensée. Le premier est le paradigme (le modèle) du parachute. Jamais personne n’a comparé dans un essai l’efficacité du parachute. Un collègue anglais avait proposé, pour obéir à la dictature de la méthode, de faire sauter, au hasard, 100 personnes portant un sac avec ou sans parachute pour répondre aux normes actuelles de validation d’un essai thérapeutique. Le problème était de trouver des volontaires…
Une autre forme moins médicale s’appelle la « méthode de Tom ». Le médecin interrogé pour savoir ce qu’il faisait dans une situation où il n’y avait pas de traitement ayant vraiment fait la preuve de son efficacité disait : « J’applique la méthode de Tom », et il expliquait que Tom était son fils et qu’il traitait chacun comme si c’était son propre fils ! Et c’est le fond du serment d’Hippocrate. C’est ainsi que, lors de la crise Ebola, des débats furieux ont été mis en place pour savoir si, dans une maladie dont la mortalité était supérieure à 30 %, il fallait faire des études placebo contre un médicament.
Personnellement, j‘y étais hostile compte tenu du fait que les études comparatives sont suffisantes. D’autres prêchaient absolument pour la méthodologie… en Afrique. Dans le même temps, en France, ou en Europe, à chaque fois que quelqu’un était hospitalisé, il recevait 4, 5, 6 molécules à la fois, tout ce qu’il y avait de disponible. Personne n’est rentré dans un essai, car les essais sont bons pour les autres. C’est la stratégie de Tom, mais que certains réservent à ceux qui sont dans leur environnement immédiat.
Il faut nous débarrasser des mathématiciens
Je pense qu’il est temps que les médecins reprennent leur place avec les philosophes et avec les gens qui ont une inspiration humaniste et religieuse dans la réflexion morale, même si on veut l’appeler éthique, et qu’il faut nous débarrasser des mathématiciens, des météorologistes dans ce domaine.
On voit bien dans le cadre actuel de la lutte contre le coronavirus les gens qui s’occupent de maladies infectieuses, dont le travail thérapeutique a consisté à faire des comparaisons d’essais thérapeutiques chez des patients infectés par le virus du sida entre des molécules nouvelles. Ils ne sont pas en phase avec les moments de découvertes, où la mise au point rapide de stratégies thérapeutiques évolutives est nécessaire.
Ceci explique pourquoi je n’ai pas voulu continuer de participer au conseil scientifique, dans lequel on trouvait deux modélisateurs de l’avenir (qui pour moi représentent l’équivalent de l’astrologie), des maniaques de la méthodologie. Les médecins confrontés au problème du soin représentaient une minorité qui n’a pas nécessairement l’habitude de s’exprimer et qui se trouvaient noyés par cet habillage pseudoscientifique. Enfin, il y a un conflit d’intérêt entre devenir le porte-parole de la stratégie gouvernementale et la présidence du Comité d’éthique.