Et si vous égayiez votre confinement avec l’histoire d’un homme qui perd sa femme puis son emploi, et se retrouve donc veuf et au chômage avec cinq enfants à élever ?
Pas de panique : le pitch est sinistre, mais la série est très drôle. Le comédien Reshef Levi – une figure familière des téléspectateurs israéliens – a réussi l’impossible : transformer ses pires angoisses en une comédie extrêmement réussie, parfois émouvante, mais le plus souvent hilarante. Voici donc Guy Nehama (Reshef Levi) qui rêvait, jeune homme, d’être comédien de stand-up, mais travaille ces temps-ci dans une entreprise de high-tech où il s’ennuie terriblement. À la maison, c’est une joyeuse pagaille, ce qu’on appelle en hébreu le balagan : avec cinq enfants qui vont du bébé à l’adolescente rebelle, Guy et Tamar n’ont pas le temps de s’ennuyer. D’autant que les crises d’angoisse de Guy, un hypocondriaque à la Woody Allen capable de se persuader que son cœur s’est déplacé à droite, pimentent elles aussi le quotidien. Et puis Tamar a un accident de voiture fatal qui prive notre héros de l’amour de sa vie tandis que se profile son licenciement.
Auteur d’un formidable documentaire intitulé Israël terre de séries (également visible sur la plateforme MyCanal), Olivier Joyard décrypte en ces termes la qualité remarquable des séries israéliennes : « le modèle israélien, paradoxalement, est plus proche de celui du cinéma d’auteur, celui qui a l’idée porte le projet, éventuellement avec un co-scénariste, pendant les deux ou trois ans de gestation ». À l’opposé, donc, de la writers room américaine, où une dizaine de scénaristes bûchent, chacun étant responsable d’un personnage ou d’un fil narratif.
Cette relative modestie se comprend aisément : la population n’atteint pas les neuf millions d’habitants, et un tiers des Israéliens ne regarde pas la télévision, notamment pour des raisons religieuses. Dans le cas de Nehama , cet intimisme de la production sert sans nul doute le propos : il s’agit d’une série à la première personne, qui fait entrer le spectateur comme par effraction dans la vie d’un homme à la fois drôle et dépassé par sa vie… un personnage forcément attachant.
Grand enfant et père de famille
« Les meilleurs films sont sur nos pires peurs, d’après Steven Spielberg, expliquait Reshef Levi l’an dernier, je me suis demandé : quelle est ma plus grande peur ? Moi, j’ai sept enfants et l’idée de perdre ma femme que j’aime tellement et avec qui je suis depuis le lycée, depuis trente ans, c’est ça ma plus grande peur. Et l’autre en tant qu’artiste, c’est de ne pas pouvoir être un artiste. J’ai combiné les deux : ma série parle d’un homme qui perd sa femme – il a cinq enfants – et essaie de réussir comme stand-up. » En dix épisodes, la série accompagne le parcours psychologique singulier d’un homme qui s’était toujours conduit comme le grand enfant de la famille et se trouve obligé de jouer son rôle de père comme jamais auparavant. Il doit aussi se colleter aux doutes qui l’assaillent. Son mariage était-il sans nuages comme il le croyait ? Ou cette chère Tamar cachait-elle quelques secrets ? Sa mort fait en tout cas remonter à la surface des secrets jusqu’alors bien dissimulés, et voici Guy Nehama qui réunit une bande d’amis autour d’un joint et d’une question : Tamar était-elle fidèle ?
Israël « est un petit pays, aux frontières mouvantes, rappelle Olivier Joyard. Il y a donc un désir très fort de dépasser ces frontières, de sortir de ce territoire si chargé par l’art, par la création. » Une aspiration qui se traduit en chiffres : Israël produit aujourd’hui 250 heures de contenus originaux par an, une série sur quatre est vendue à l’étranger ou adaptée, et le pays est depuis 2015 le troisième fournisseur de séries du marché américain. Gageons que Nehama, à l’image de Hatufim, devenue Homeland, ou de Be’ Tipul transformée en In Treatment , fera bientôt des émules. Raison de plus pour découvrir dès à présent ce petit bijou d’originalité et de drôlerie.