Les laboratoires entendent bien tirer parti du possible intérêt de la chloroquine dans la lutte contre le Covid 19 et se livrent à une surenchère d’offres de comprimés. Une aubaine pour rétablir leur image sérieusement écornée ces dernières années.
C’est à celui qui en fera le plus. Dès qu’a pris naissance le débat sur la supposée efficacité de la chloroquine dans la lutte contre le Covid 19, plusieurs laboratoires se sont manifestés pour offrir leurs services. Sanofi propose de mettre à la disposition de la France plusieurs millions de doses, pour traiter gratuitement 300 000 patients. Il s’engage aussi à financer la recherche engagée par l’AP-HP (les hôpitaux de Paris). Le Suisse Novartis met lui sur la table 130 millions de comprimés, et il lance un fond d’aide mondial de 20 millions de dollars. Bayer va aider financièrement les hôpitaux de Lombardie. Quant au laboratoire israélien Teva, il propose de fournir 6 millions de doses dans un premier temps aux hôpitaux américains.
Dans le même temps, tous se disent prêts à augmenter leur capacité de production pour faire face aux besoins, si l’avenir devait confirmer l’intérêt de cette molécule. Mylan propose même de reprendre une production de chloroquine qu’il avait abandonnée. Certains s’engagent à ne pas profiter de la situation.
« Notre entreprise de médicaments génériques Sandoz maintient des prix stables pour un certain nombre de médicaments essentiels qui pourraient aider au traitement des cas de coronavirus. » déclare lsur son site internet.
Cette mobilisation peut sembler d’autant plus désintéressée qu’une production accrue de chloroquine leur rapporterait peu. Utilisée depuis les années 40, c’est un médicament générique qui rapporte de faibles marges.
Une opération de communication
Leur implication relèverait donc d’un engagement citoyen. Mais ces multinationales utilisent aussi la crise comme un outil de communication. « Les firmes ne font pas les choses gratuitement » souligne Nathalie Courtinet, économiste à l’université de Paris 13 et spécialiste des laboratoires pharmaceutiques. « Si c’était le cas, pourquoi ne distribuent-elles pas gratuitement ses anti paludiques en Afrique subsaharienne ? ».
On peut donc aussi voir dans ces gestes, une stratégie qui vise à redresser une image passablement écornée ces dix dernières années. En courant après les profits, de nombreux laboratoires ont, en effet, raté le rendez-vous de la recherche sur les virus voisins du Covid 19. Après la crise du SRAS, en 2003, de nombreux chercheurs s’étaient mobilisés, y compris en France. Mais en 2006, les financements publics se sont taris. Et le secteur privé n’a pas pris le relais. Aucune recherche sérieuse n’a donc été menée ces dix dernières années, sur ce type de virus.
A cela s’ajoute des affaires de pénuries de médicaments qui n’ont cessé d’augmenté. On a dénombré 871 ruptures de stocks en 2018 (contre 44 en 2008), et près de 1 200 en 2019. Toutes liées à des réorganisations de groupes pharmaceutiques en fonction de critères de rentabilité. Aujourd’hui l’Inde et la Chine concentrent soixante et un pour cent des capacités de production des produits actifs que nous utilisons pour fabriquer nos médicaments. Seuls 22% d’entre eux sont produits localement. Le gouvernement a d’ailleurs bien identifié le risque. De peur de voir fuir nos stocks de Cholroquine, il a dû interdire toute exportation de comprimés.
La seule entreprise française en redressement
Le comble dans cette situation, c’est que l’unique entreprise de production du produit actif de la chloroquine qui se trouve en France, à Saint-Genis-Laval dans la banlieue lyonnaise, est en redressement judiciaire. Famar, c’est son nom, a été lâchée par le fond d’investissement KKR qui la contrôlait. Et l’audience au cours de laquelle devait se jouer sa survie a dû être reportée, justement à cause de l’épidémie de Covid 19.
Dans ce contexte, les offres généreuses des laboratoires constituent donc aussi une opportunité en terme de redressement d’image : « Les firmes continuent de dire qu’elles vont fermer certaines usines parce qu’elles ne sont pas suffisamment rentables » rappelle Nathalie Courtinet. « D’où l’intérêt pour elles de dire aussi : ‘on va vous donner nos médicaments' ».