Devant la caméra de Nurith Aviv, sept jeunes racontent leur passion pour cette langue découverte grâce aux grands poètes de l’entre-deux-guerres.
Ils sont sept. Sept jeunes d’aujourd’hui, garçons ou filles, juifs ou non juifs, à avoir un jour éprouvé un véritable coup de foudre pour le yiddish et pour ces grands poètes yiddish de l’entre-deux-guerres qui avaient grosso modo leur âge il y a une centaine d’années. Et ils racontent cette rencontre devant la caméra de Nurith Aviv, dans une construction très rythmée faite de longs plans-séquences entrecoupés de poèmes lus à haute voix. Le film est sobre, épuré, afin de mettre la poésie en valeur.
Chaque séquence apparaît construite sur le même mode. Un jeune apparaît dans une rue de Berlin, Paris, Vilnius ou Tel-Aviv, entre dans son appartement, s’assoit dans son salon et parle d’une traite du lien qui l’attache au yiddish. De temps à autre, la caméra se déplace vers la fenêtre entrouverte et filme l’extérieur vu de l’intérieur, symbole du monde sur lequel nous ouvrent ces conteurs. Mais aussi un jeu avec les mots, comme Nurith Aviv les affectionne, le mot «sefer» en hébreu signifiant aussi bien les lèvres, le langage, que le bord (d’une fenêtre), et le mot «beït» la maison mais aussi la strophe d’un poème.
Chaque témoignage a sa valeur propre et permet d’expliquer pourquoi le yiddish n’est pas seulement une langue du passé, elle reste vivante pour beaucoup. Ainsi Raphaël Koenig, né à Paris, diplômé de Harvard en littératures comparées. «J’aurais aimé apprendre le yiddish chez moi mais je viens d’une vieille famille juive assimilée, j’ai donc dû le faire par moi-même. Dans ma famille, cela a toujours été un problème, cette histoire d’assimilation. Cela veut dire quoi être juif si on doit être comme tout le monde ? C’est le genre de question que se posait Kafka. En 1912, quand il a découvert le yiddish, il s’est dit que là était la solution.» Le yiddishland n’était pas un pays alors mais une langue (à 80 % germanique avec apport d’hébreu et de russe) qui unissait plus de 10 millions de juifs avant la Seconde Guerre mondiale. Koenig cite en exemple le poète juif soviétique Peretz Markish qui fit partie de cette avant-garde yiddish et publia notamment en 1922 Die Kupe («le monceau»), un poème visionnaire sur le massacre des juifs en Ukraine.
Tout au long des mois de mars et d’avril, des débats seront organisés après la projection de Yiddish au cinéma les 3 Luxembourg (Paris VIe), avec des psychanalystes ou des écrivains. «Ce sera très talmudique, note Nurith Aviv, qui a longtemps travaillé avec Agnès Varda. Il y aura le texte, qui est le film, puis l’interprétation du texte, le débat.»