Je me suis réveillé en sursaut, vers 4 heures du matin, avec cette phrase en tête : « Pourquoi tue-t-on des Juifs en France ? »
J’avais lu, avant de m’endormir, cette liste : « 20 janvier-13 février 2006 : assassinat d’Ilan Halimi. 19 mars 2012 : assassinats à l’école juive Ozar-Hatorah. 9 janvier 2015 : assassinats à l’Hyper Cacher de Vincennes. 4 avril 2017 : assassinat de Sarah Halimi. 23 mars 2018 : assassinat de Mireille Knoll. 20 septembre 2018 : inscriptions sur une porte cochère de la rue Ordener : « Ici vivent des ordures juives. Notamment au troisième ». »
J’ai lu cette liste glaçante dans Il y a l’antisémitisme, un petit livre de Stéphane Habib qui vient de paraître aux éditions Les Liens qui libèrent. En 90 pages décisives, l’auteur condense ce qu’il en est de l’antisémitisme aujourd’hui : « la mise à mort de corps juifs ». Sa seule fin, dit-il – l’unique objet de cette haine qui n’en finit pas –, c’est le meurtre.
Stéphane Habib remarque bien cette volonté qu’a l’antisémitisme de s’intégrer dans le débat, de se faire accepter comme une « opinion » : la perversité consistant à « prêcher partout la croisade antijuive […] au nom des institutions démocratiques, au nom de la liberté d’opinion ». Car dans une société où triomphe le règne des communautarismes, tel adversaire de telle communauté s’octroie désormais le droit d’avoir tous les droits.
L’antisémitisme n’est pas une opinion
Mais l’antisémitisme n’est pas une opinion, ni même une simple opposition à la communauté juive : c’est, dit Stéphane Habib, une structure, un langage, une « affaire politique ». Réécrivant Jean-Claude Milner, Stéphane Habib définit le politique comme une « inquiétude pour la survie de corps parlants les uns avec les autres ».
On remarque qu’il ne s’agit déjà plus d’en appeler au « vivre-ensemble », comme on le faisait après 2015, mais de témoigner d’un « survivre-ensemble », ce qui en dit long sur la menace criminelle qui rôde à chaque instant dans les rapports en France, menace qui ne relève d’ailleurs pas seulement de la possibilité d’attentats islamistes ou de l’abjection antisémite, mais d’une désinhibition radicale de chacun qui s’exprime par exemple sur les réseaux sociaux, où les appels au meurtre sont devenus une routine : en 2020, chaque conscience veut la mort de l’autre.
Le livre de Stéphane Habib pense cette folle diffraction de la mise à mort. Il analyse très bien ce qu’il y a d’ambigu dans l’antisionisme, qui peut tout à la fois répondre à l’abjection des lois proposées en Israël, et maquiller une haine des Juifs. Il redonne à penser le mot « réel », c’est-à-dire ce sur quoi on bute. Il relit l’extraordinaire lettre écrite le 4 mai 1924 par Arnold Schoenberg à Kandinsky (allez-y voir). Il se demande ce que c’est que de vivre une époque où tous les signaux passent au rouge.